Quinzaine 50 : naissance, balbutiements et réussites de la plus libre des sections cannoises

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Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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« La Quinzaine des Réalisateurs est la plus libre des sections cannoises » rappelait Edouard Waintrop, son délégué général jusqu’à cette cinquantième édition. « Elle n’est tenue par aucune obligation. Ses préoccupations sont de faire connaître de nouveaux talents, surprendre avec des aspects nouveaux et inconnus de talents reconnus, varier les plaisirs, en un mot, montrer ce qu’il y a de plus excitant dans le cinéma mondial et ce qui affleure de plus intéressant dans ses nouveaux courants ».

Née en 1969, la manifestation est organisée en à peine plus de deux mois, même si son origine remonte aux événements de mai 1968. Née sur la lancée de l’arrêt de l’édition 68 du Festival de Cannes, la Société des Réalisateurs de Films (SRF) a été créée par des cinéastes « rebelles » (Godard, Truffaut, Costa-Gavras, Malle… ). Déjà unis dans le combat contre la décision de déloger Henri Langlois de la Cinémathèque Française, ils voient leur envie d’agir plus en profondeur scellée par cette interruption. François Truffaut appelle à des États généraux du cinéma qui mènent à de longs débats réunissant de nombreux participants de toutes les branches pour de multiples revendications sur la liberté de création, de production ou de diffusion… Le 14 juin 1968, la SRF naît officiellement, portée ainsi par l’idée de «défendre les libertés artistiques, morales, professionnelles et économiques du cinéma» et d’être «un instrument de combat».

Pour contrer la censure cinématographique qui a marqué les deux premières décennies du Festival, les réalisateurs ont plusieurs doléances : ils veulent un Festival sans tenue de soirée, doté d’un palmarès du public, avec accès gratuit aux projections et demandent également que la sélection soit choisie de manière indépendante.

Le Festival de Cannes rejette leurs revendications et, à l’initiative du réalisateur Jean-Gabriel Albicocco qui représentait la SRF au Conseil d’administration du Festival de Cannes, la jeune association de cinéastes décide de créer un « contre-festival ». Albicocco expliquait en quoi il se sentait légitime pour faire des reproches à la sélection officielle : «Étant Cannois, j’avais connu tous les festivals, et c’était à travers eux que j’avais découvert, aimé et appris le cinéma. J’étais donc à même de juger combien cette manifestation ne répondait plus aux réalités cinématographiques du moment, sentiment qui était partagé par l’ensemble des réalisateurs que nous représentions ».

La Quinzaine naît officiellement sur la Croisette le 9 mai 1969. Grâce à la modification du calendrier, sa cinquantième édition s’ouvrira le même jour, 49 ans plus tard. En présence de Martin Scorsese, excusez du peu.

Durant 30 ans, la Quinzaine sera entre les mains de Pierre-Henri Deleau, placé à ce poste prestigieux par le bon soin de Jacques Doniol-Valcroze. C’est à cet éminent membre fondateur de la SRF qu’on doit ce nom d’une simplicité biblique : «La Quinzaine des Réalisateurs». L’appellation «Cinéma en liberté» est pourtant choisie pour nommer la manifestation la première année. Il parvient néanmoins à accoler la mention «Quinzaine des Réalisateurs» sur l’affiche-programme. L’histoire donnera raison au réalisateur de La Maison des Bories, critiques et public adoptant rapidement ce nom aussi clair que celui des Cahiers du Cinéma dont il est également l’auteur. Jacques Doniol-Valcroze était un bon porte-bonheur. Après le départ volontaire de Deleau du poste de délégué général après 1998, les crises de direction sont régulières. Certaines années sont jugées trop faibles, l’équipement de l’ex Hilton et désormais Marriott vieillit. Mais avec Olivier Père (2004-2009) puis Edouard Waintrop (de 2012 à cette année), la sélection « off » continue bon an mal an à avoir du flair, à attirer un large public et à recevoir de belles critiques.

Record de Caméra d’or

La particularité de la Quinzaine est de mélanger les vétérans (la liste serait trop longue, de Bresson à Chahine en passant par Breillat, Goupil, Ivory, Fassbinder, les frères Taviani, Sembene, De Andrade etc…) avec les jeunes talents, les cinémas inconnus avec les cinématographies réputées. Depuis 1969, les grands noms s’y sont succédé : futurs grands talents comme cinéastes légendaires. Si on prend la Caméra d’or, prix qui récompense depuis 1978 le meilleur premier film toutes sélections cannoises confondues, la Quinzaine a été distinguée quinze fois. Un record célébré en 2016 avec Divines qui permettait à la sélection de passer devant Un certain regard et ses 14 lauréats.

Une sacrée sélection pour la première édition

Cela constituerait en soi un palmarès flatteur. Mais cela ne suffirait pas. Dès sa première édition, on note la présence des premiers films de Bob Rafelson, Head, et d’André Téchiné, Pauline s’en va, le deuxième film de Luc Moullet, Les contrebandières, le troisième film de Bernardo Bertolucci, Partner, un film de Roger Corman, The Trip, ou encore deux films de Nagisa Oshima qui deviendra un abonné régulier de la sélection.

La Quinzaine a vocation à explorer le cinéma. Son générique projeté avant chaque film (et légèrement modifié chaque année par Olivier Jahan) prouve cette diversité. Nombreux sont les cinéastes qui y ont fait leurs débuts à Cannes, quand ce n’est pas carrément leur premier court ou long métrage qui a été présenté à la Quinzaine, bien avant qu’ils ne reçoivent une Palme, un Oscar, un César, ou qu’ils ne soient promus en sélection officielle, ou même qu’ils touchent un large public avec un succès populaire. Ils ont été sacrés par cette présence à l’écart de la sélection officielle. La Quinzaine les a anoblis et souvent révélés à travers leurs courts, moyens ou longs métrages.

Ces 80 cinéastes remarqués à la Quinzaine

Florilège à la Prévert : Werner Herzog, Werner Schroeter, Paul Vecchiali, Arturo Ripstein, Claude Miller, Philippe Garrel, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Lucian Pintilie, Volker Schlöndorff, Jacques Rozier, Alain Tanner, Laszlo Szabo, Ken Loach, Theo Angelopoulos, Otar Iosseliani, Patricio Guzman, Roy Andersson, Fred Schepisi, Benoît Jacquot, Michael Radford, Mike Newell, Wayne Wang, Spike Lee, Terence Davies, Mike Figgis, Michael Haneke, Roberto Benigni, Atom Egoyan, Bruno Podalydès, Guillaume Nicloux, Jacques Maillot, Bent Hamer, James Mangold, Todd Haynes, Catherine Corsini, Sergueï Bodrov, les frères Dardenne, Ferzan Ozpetek, Gaël Morel, Bruno Dumont, Djamel Bensalah, Todd Solondz, Jacques Nolot, Sébastien Lifshitz, Claire Simon, Paul Pawlikowski, Sólveig Anspach, Stéphane Brizé, Lee Chang-Dong, Alain Guiraudie, Mahamat-Saleh Haroun, Julie Lopes-Curval, Carlos Reygadas, Matteo Garrone, Lynne Ramsey, Pen-ek Ratanaruang, Bouli Lanners, Cristian Mungiu, Kornél Mundruczó, Eugène Green, Katell Quillévéré, Eric Khoo, João Pedro Rodrigues, Kleber Mendonça Filho, Corneliu Porumboiu, Yann Gonzalez, Nadine Labaki, Mia Hansen-Løve, Benny et Josh Safdie, Miguel Gomes, Albert Serra, Valérie Donzelli, Pablo Larrain, Michel Franco, Louis Garrel, Alice Rohrwacher…

Des signatures singulières, des cinéastes rattrapés et d’autres oubliés

Et puis on note des noms plus singuliers comme les chanteurs/auteurs/artistes John Lennon (1971) et Bob Dylan (1978), la photographe et écrivaine Susan Sontag (1969 et 1971), les romanciers Marguerite Duras (1976) et Emmanuel Carrère (2005), le metteur en scène de théâtre Robert Lepage (1995), l’acteur porno HPG (2006), l’auteur de BD Riad Sattouf (2009), les acteurs hollywoodiens Sean Penn, Tim Robbins, Steve Buscemi, Anjelica Huston, Tim Roth, Ethan Hawke ou John Turturro.

On remarque aussi que la Quinzaine a pris parfois le carrosse en marche avec des cinéastes tels Chantal Akerman, Brillante Mendoza, Aki Kaurismäki, Hou Hsiao-hsien, Hong Sangsoo, Takeshi Kitano, Jean-Pierre Mocky, Abderrahmane Sissako, Kiyoshi Kurosawa, Gregg Araki, Bertrand Bonello, Raoul Peck, Bong Joon-ho, Béla Tarr, Im Sang-soo, Amos Kollek, Sharunas Bartas, Shane Meadows, Ruben Östlund, Joachim Lafosse, Philippe Falardeau, Denis Villeneuve, Christophe Honoré ou Ang Lee.

On constate également que la Quinzaine a, comme les autres sélections cannoises, loupé de grands noms comme Pedro Almodovar, David Cronenberg ou ceux de la 5e génération chinoise des années 1980. Qu’enfin, la section s’autorise à choisir parfois des films de genre (William Friedkin, Takashi Miike), des signatures arty (Alejandro Jodorowsky, Agnès Varda) ou à repêcher des auteurs réputés (Arnaud Desplechin, Céline Sciamma) pour remplir sa mission d’éclectisme.

De George Lucas à Ma vie de Courgette

Pour compléter cette longue liste de découvertes, il faut ajouter quelques très beaux coups qui ont frappé l’histoire de la sélection au fil des ans: George Lucas avec THX1138 en 1971, Michael Apted dès son premier film, The Triple Echo, en 1973, Jacques Rivette avec Céline et Julie vont en bateau en 1974, Martin Scorsese avec Mean Streets en 1974 toujours, Nagisa Oshima avec L’empire des sens en 1976, Manoel De Oliveira avec Francisca en 1981, qui amorce la renaissance du cinéaste portugais, Stephen Frears avec The Hit en 1984 puis The Snapper en 1993, Susan Seidelman avec Recherche Susan Désespérément (et Madonna dans son premier rôle) en 1985, Denys Arcand avec Le déclin de l’Empire américain en 1986, Shekhar Kapur avec La Reine des bandits et P.J. Hogan avec Muriel en 1994 (sans doute l’une des plus belles années de la sélection), Sandrine Veysset avec Y aura t’il de la neige à Noël ? en 1996, Sofia Coppola avec The Virgin Suicides en 1999, Stephen Daldry avec Billy Elliot en 2000, Jean-François Pouliot avec La grande séduction en 2003, Michel Ocelot avec Azur et Asmar en 2006, Xavier Dolan et son premier long J’ai tué ma mère et Francis Ford Coppola qui signait son retour avec Tetro en 2009, Noémie Lvovsky avec Camille Redouble en 2012, les films d’animation Ernest et Célestine (2012) et Ma vie de Courgette (2016), Guillaume Gallienne avec Les garçons et Guillaume à table! en 2013, Damien Chazelle avec Whiplash en 2014, Philippe Faucon avec Fatima et Deniz Gamze Ergüven avec Mustang en 2015.

Un palmarès finalement assez exceptionnel pour une sélection sans réel palmarès. Il y a beaucoup de grands festivals qui aimeraient avoir ce catalogue cinématographique. Plus d’un millier de films qui nous ont bouleversé, intrigué ou ennuyé. Certains sont rentrés définitivement dans l’Histoire du cinéma quand d’autres ont sombré dans un anonymat parfois injuste. Ainsi va la vie des festivals de cinéma et de leurs sélections… Pour plus de détails sur la création de la SRF et de la Quinzaine des Réalisateurs, nous recommandons les ouvrages La S.R.F. et la Quinzaine des Réalisateurs : une construction d’identité collective d’Olivier Thévenin, publié en 2008 l’année de la quarantième édition et Quinzaine des réalisateurs : les jeunes années, 1967-1975 de Bruno Icher, édité cette année.

Vincy pour le site Ecran Noir

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