Critique : La belle jeunesse

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La belle jeunesse afficheLa belle jeunesse

Espagne, 2014
Titre original : Hermosa Juventud
Réalisateur : Jaime Rosales
Scénario :  Jaime Rosales, Emeric Rufas
Acteurs : Ingrid Garcia Jonsson, Carlos Rodriguez
Distribution : Bodega Films
Durée : 1h43
Genre : drame
Date de sortie : 10 décembre 2014

Note : 4.5/5

A 44 ans, le réalisateur espagnol Jaime Rosales est actuellement un des réalisateurs espagnols les plus importants. Même s’il est loin d’avoir atteint en France la notoriété de son compatriote Almodovar, 4 de ses 5 longs métrages ont été choisis pour figurer dans une des sélections du Festival de Cannes. C’était le cas, en particulier, il y a six ans, pour son deuxième long métrage, La Soledad, un film exceptionnel qui avait trusté les Goya cette année là … et n’avait réuni que 30 000 spectateurs dans notre beau pays ! Cette année, son dernier film, La belle jeunesse, figurait dans la sélection Un Certain regard et y a obtenu un prix spécial décerné par le jury œcuménique.

Synopsis :  Natalia et Carlos sont deux jeunes amoureux de 20 ans qui se battent pour survivre dans l’Espagne d’aujourd’hui. Remises de C.V., petits boulots, tournage d’un porno amateur : ils essaient de s’en sortir au jour le jour. Face à une crise qui n’en finit plus, les espoirs d’une vie meilleure se fragilisent. Et quand Natalia se découvre enceinte, les petits arrangements ne suffisent plus.

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Dur d’être jeune en Espagne

 

Natalia et Carlos sont deux jeunes adultes en couple qui vivent dans l’Espagne d’aujourd’hui. Les statistiques sont formelles : en 2014, plus de la moitié des jeunes espagnols de moins de 25 ans sont au chômage. Natalia et Carlos n’ont pas de travail. En tout cas, pas de travail fixe, officiel, déclaré. Ils subsistent comme ils peuvent, toujours à la recherche d’un petit boulot, des petits boulots payés avec des lance-pierres, genre 10 Euros la journée. Croyez vous qu’ils vont refuser si on leur offre 600 Euros pour tourner ensemble un film porno ? « 600 Euros, qui gagne une telle somme en une heure ? ». Et puis, pourquoi ne pas foncer lorsque, Carlos ayant eu la gorge tailladée au cours d’une altercation, un avocat lui fait miroiter une somme de 7000 Euros de dommages et intérêts ? Exactement ce qu’il faudrait à Carlos pour acheter d’occasion un petit fourgon lui permettant de gagner sa vie en faisant des déménagements. Des problèmes d’argent qui deviennent de plus en plus cruciaux lorsque Natalia donne naissance à une petite fille.

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Un état des lieux lucide 

Bien évidemment, c’est un état des lieux de la société espagnole actuelle que Jaime Rosales a voulu faire dans La belle jeunesse et ce, en s’intéressant surtout à la partie de la population espagnole qui souffre le plus de la crise économique, la jeunesse. En 2014, en Espagne, il est déjà difficile de trouver un vrai travail lorsqu’on est diplômé, autant dire que c’est mission impossible lorsque, comme Natalia et Carlos, on ne l’est pas. Tous les deux sont des enfants de familles qui étaient déjà dans la difficulté avant l’arrivée de la crise. C’est ainsi que la mère de Natalia est divorcée et qu’elle a 2 autres enfants dont un fils dont elle souhaite que lui, un garçon, réussisse ses études. De temps en temps, il arrive que le père pense à donner une centaine d’Euros : dans ces conditions, difficile d’imaginer qu’elle puisse continuer longtemps à subvenir aux besoins de toute la famille, avec en plus la naissance de la petite fille du jeune couple. Subtilement, Jaime Rosales nous montre la façon différente dont les jeunes femmes et les jeunes hommes vivent cette situation difficile, Natalia envisageant une issue en s’expatriant, Carlos continuant à croire que la débrouille réussira à les sortir de la mouise. Positive par certains côtés, cette débrouille quasiment animale s’accompagne d’une absence totale de consciences politique et sociale, d’un abandon de l’élévation par la voie de la culture. Sans insister lourdement, le réalisateur examine comment ces difficultés économiques arrivent à saper la structure des couples et, plus généralement, celles de la famille. Dans une très belle scène, on voit Natalia avouer à sa mère que son bébé est l’être qu’elle aime le plus au monde, mais, qu’en même temps, elle hait cette petite fille, cause de nuits difficiles qui se succèdent.

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Une réalisation qui va à l’essentiel

Comme d’habitude, les partis pris de Jaime Rosales en matière de réalisation pourront surprendre les spectateurs : en effet, il n’hésite jamais à aller à l’essentiel avec une réalisation très sèche, sans afféterie inutile, avec des cadrages toujours millimétrés, des dialogues qui sonnent vrai et l’absence de musique d’accompagnement. En quelque sorte, tout le contraire d’un Pedro Almodovar ou d’un Xavier Dolan. Sans afféterie inutile ? Certains pourront trouver que ce n’est pas tout à fait exact, Jaime Rosales ayant choisi à deux reprises de faire avancer le temps en utilisant un gimmick consistant à faire défiler à grande vitesse des photos et des vues d’écran de courriels et de dialogues en ligne. C’est un peu long, mais le procédé est intéressant. Quant à Ingrid Garcia Jonsson et Carlos Rodriguez, les comédiens qui interprètent Natalia et Carlos, ils sont tout simplement formidables de présence et de justesse. On aime aussi le clin d’œil donné par le catalan Jaime Rosales aux amateurs de football : lorsque Natalia et Carlos achètent un petit maillot pour leur fille, il s’agit d’un maillot de l’Atlético de Madrid, le club des classes populaires de la capitale espagnole, et non d’un maillot du Real, le club de la bourgeoisie madrilène et, par ailleurs, ennemi n°1 du FC Barcelone.

Conclusion

On compare souvent Jaime Rosales à Michael Haneke. Ce n’est pas totalement injustifié même s’il y a aussi chez lui une parenté avec Bresson et Ozu. En tout cas, film après film, il est devenu un des réalisateurs les plus importants de notre époque et son dernier film prouve, s’il en était besoin, qu’on peut exceller à la fois dans le fond et dans la forme.

https://www.youtube.com/watch?v=9uqU1jSC_tU

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