Critique : Une Femme douce

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Une Femme douce

Ukraine, 2017
Titre original : Krotkaya
Réalisateur : Sergei Loznitsa, d’après l’oeuvre de Dostoïevski
Acteurs : Vasilina Makovtseva, Lia Akhedzhakova, Valeriu Andriuta
Distribution : Haut et Court
Durée : 2h23
Genre : Drame
Date de sortie : 16 août 2017

Note : 3,5/5

Alors que nous vivons actuellement une période dont le pessimisme n’a d’égal que le cynisme ambiant, voir Dostoïevski être adapté dans le cadre d’un film réalisé par un ukrainien est révélateur de notre époque contemporaine. Dans sa manière d’ausculter la société tsariste, et d’analyser avec une acuité formidable la psyché de l’âme slave, l’écrivain russe a su retranscrire mieux que quiconque une certaine forme de déliquescence sociétale de l’époque, celle d’avant les révolutions d’octobre 1917. D’aucuns y ont vu les prodromes de la sédition populaire amenant la prise de pouvoir par les Bolcheviks. Le nouveau film de Sergei Loznitsa, qui concourait en sélection officielle au dernier festival de Cannes, s’inscrit dans le courant du cinéma russe contemporain (bien que le cinéaste soit d’origine ukrainienne), à forte connotation sociale. Soit une cinématographie se faisant le reflet d’un pays miné par la corruption, le cynisme et une violence inhérente à tout régime autoritaire replié sur sa grandeur de jadis. Un siècle sépare l’événement historique précité avec la sortie de ce long-métrage, mais au-delà de cette distance temporelle symbolique, Loznitsa, à l’instar de Dostoïevski, bien qu’ils différent dans leurs manières de s’exprimer, se rejoignent sur cette façon à révéler les tares et dysfonctionnement de la société russe.

Synopsis : Un beau matin, une femme reçoit un paquet, le même qu’elle avait envoyé quelques jours auparavant à son mari incarcéré. Perplexe, elle prend la décision de se rendre à la prison dans le but d’obtenir des informations sur la raison de ce renvoi. S’ensuivra un périple où elle sera confrontée à l’indifférence et à l’absurdité de l’administration russe.

Des plans méticuleux

D’emblée, le film donne très peu de précision sur cette femme. Tout juste sait-on qu’elle travaille dans une station-service décatie, et réside dans une isba recluse, éloignée de la plus proche zone urbaine. Sûrement en manque de ressources financières, elle partage son bortch avec son chien, et vit dans un cadre austère, reflet d’une pauvreté économique. L’allure fluette, les joues creuses, le regard sévère, elle a l’allure des personnes cabossées par les vicissitudes de la vie. Malgré ça, elle tiendra tête à ses différents interlocuteurs, fonctionnaires zélés et vils, pions interchangeables de l’administration judiciaire russe. Ballotté de service en service, le personnage principal sera confronté à un système kafkaïen peu enclin à la compréhension et au dialogue avec autrui. Où la réprimande et l’humiliation exercés par les employés gouvernementaux sont le lot commun de cet univers. Ces différentes séquences de confrontation avec les autorités sont filmées dans des plans-séquences à la maîtrise exceptionnelle. Savoir-faire d’autant plus bluffant surtout lorsqu’on connaît le soin méticuleux apporté par Loznitsa dans la réalisation de ces scènes : tout semble improvisé (notamment durant la fameuse séquence d’orgie) alors qu’au contraire ces représentations sont préparées avec une extrême rigueur.

Seule contre tous

Cependant, face à la noirceur abyssale du film, le spectateur est légitimement en droit de se poser plusieurs questions quant à la raison d’un tel film. Car malgré la beauté formelle, le manque de finesse quant à la caractérisation de la plupart des personnages secondaires dessert l’œuvre plus qu’autre chose. Ainsi, hormis le personnage principal, mutique face à la bêtise crasse de l’homme, chaque personne rencontrée est décrite tel un sauvage débraillé, ou bien un être corrompu, misogyne et peu subtil. Ca braille, éructe, hurle, tance, humilie… Ca se pisse même dessus. En somme, une humanité engoncée dans son ignorance morale et sa saleté physique. Bref, tout ceci manque sérieusement de nuance et d’ambiguïté. Du haut de son piédestal, le réalisateur, démiurge à l’air supérieur, observe son petit monde, tel un entomologiste portant un regard moralisateur et inquisiteur sur la comédie humaine qui grouille sous sa caméra. A l’image de certains personnages bousculant violemment cette « femme douce », Loznitsa use de la même rhétorique, à savoir une agressivité à l’égard de son personnage et vis-à-vis des spectateurs. Certes, cette réalité-là existe, et ce serait mentir d’omettre le contraire, mais c’est tellement réducteur que cela en devient un brin gênant de la part de Loznitsa, qui nous avait habitués à un plus de subtilité dans ses précédents longs-métrages.

Mais insister sur ces aspects-là, ce serait éluder la sublime performance de l’actrice principale, Vasilina Makovtseva, dont la frêle silhouette contraste avec les figures viriles et masculines des personnes croisées : policiers, mafieux, maquereaux… La lie de l’humanité défilant devant cette femme, le regard complètement désemparé face à une telle ignominie. Le reste de la figuration, hormis un nombre restreint d’acteurs professionnels, a été choisi au sein de la population de Daugavpils, ville située en Lettonie, sise la frontière russe, ajoutant ainsi une touche authentique bienvenue.

Conclusion

Devant un tel film, une indifférence polie en guise de réaction serait un brin déplacée. Au contraire, la description d’un univers excessivement noir, brutal et cynique fera fuir certaines personnes trop sensibles. D’aucuns y verront également, dans sa vision d’un monde anxiogène, un fidèle reflet de notre société actuelle, du moins en Russie. Peut-être auront-ils raison ? D’autres y verront un long-métrage brillant sur sa forme mais qui, à force d’exagérer le trait afin d’appuyer sa conviction profonde, noie le film dans une vision trop étriquée des choses.

https://youtu.be/TRO3ffVPu1o

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