Le cinéma, art du temps et du récit, se prête parfois à des expériences extrêmes où la durée dépasse largement les standards habituels. Si la plupart des spectateurs sont habitués à des films de deux voire trois heures, certains réalisateurs ont choisi d’étirer l’expérience jusqu’à plusieurs jours ou semaines. Cet article propose un panorama des cinq œuvres cinématographiques — essentiellement narratives ou expérimentales — qui figurent parmi les plus longues jamais produites. Il est probable que cette liste puisse évoluer avec l’apparition de projets encore confidentiels, et il est possible que certains films de festivals ou d’art expérimental n’aient pas encore été largement répertoriés. Néanmoins, les œuvres mentionnées ici font l’objet d’une reconnaissance suffisante pour être comparées de manière significative.
Les cinq films les plus longs
Les œuvres retenues se divisent en deux ensembles : d’une part, des films narratifs (fiction ou documentaire) excédant cinq heures, proposant un temps cinématographique étiré, à la manière d’un casino bonus sans wager libéré des contraintes habituelles ; d’autre part, des « expériences temporelles » (art vidéo, installation) où la narration classique devient accessoire et où la durée pure.
1. Logistics

« Logistics » est sans doute l’œuvre la plus radicale en termes de durée. Suivant en temps réel le parcours inverse d’un podomètre — de son point de vente jusqu’à son usine de fabrication en Chine — ce film documentaire expérimental dépasse les 850 heures. Plutôt qu’une narration scénarisée, il s’agit d’une observation prolongée : chaque étape du transport, chaque minute de déplacement est montrée sans coupure. Cette approche incite à réfléchir au temps réel de la production industrielle et questionne notre rapport à l’attention. Certains spécialistes considèrent qu’il s’agit plus d’une installation vidéo que d’un film au sens traditionnel, mais il est possible que l’on y voie une forme extrême de documentary realism. Il est probable que sa diffusion reste limitée aux galeries et aux espaces d’art contemporain.
2. Modern Times Forever

Alors que « Logistics » relève d’un projet indie, « Modern Times Forever » se positionne comme une œuvre d’art public diffusée en extérieur. Projetée sur la façade d’un bâtiment d’Helsinki, elle montre la lente dégradation supposée de l’édifice sur des millénaires condensés en dix jours de projection continue. Sans intrigue ni personnages, ce film devient un flot visuel contemplatif. Il est possible que son impact dépende fortement du lieu et du contexte de visionnage, et certains chercheurs en art contemporain estiment que l’œuvre invite à méditer sur l’éphémère et la permanence architecturale. Facilement qualifiable d’« expérience temporelle », ce film repousse les limites de la diffusion cinématographique classique.
3. Sátántangó

Avec ses sept heures et demie, « Sátántangó » de Béla Tarr est souvent cité comme le plus long film de fiction diffusé en salle de cinéma. Situé dans un village hongrois post-communiste, il suit le destin de paysans en proie à la misère, à la trahison et à la solitude. Les plans-séquences extrêmement longs, parfois plusieurs minutes sans coupe, contribuent à une immersion intense. Certains spectateurs trouvent que le rythme contemplatif pourrait perdre l’attention, tandis que d’autres estiment qu’il permet une densité émotionnelle que ne pourrait atteindre un film plus court. Il est possible que cette œuvre continue d’influencer des réalisateurs cherchant à explorer la temporalité au cinéma.
4. Guerre et paix

L’adaptation monumentale du roman de Tolstoï par Sergueï Bondartchouk est répartie en quatre parties, totalisant un peu plus de sept heures. Alliant batailles à grande échelle, intrigues politiques et histoires d’amour, cette version soviétique se distingue par sa fidélité à la trame littéraire et son ambition visuelle. Certains critiques pensent que le découpage en plusieurs volets rend la durée plus digeste, tandis que d’autres jugent que la densité des scènes demande une attention soutenue. Il semblerait que cette épopée garde une place spéciale dans l’histoire du cinéma, autant pour ses qualités techniques que pour son respect de l’œuvre originale.
5. Happy Hour

Avec près de cinq heures et demie, « Happy Hour » de Ryusuke Hamaguchi se concentre sur la vie de quatre amies à Kobe, au Japon. Plus proche du format drame psychologique que de l’épique, ce film explore en profondeur les relations, les doutes et les conflits intimes de chacune. Grâce à son format long, il est possible d’observer l’évolution progressive des personnages, leurs silences et leurs non-dits. Certains spectateurs apprécient cette immersion totale, tandis que d’autres jugent que l’attention peut fluctuer au fil de la projection. Néanmoins, il reste un exemple marquant de la manière dont un récit contemporain peut bénéficier d’un format étendu.
Tableau comparatif des principales caractéristiques
Titre | Durée totale | Type | Visionnage conseillé |
Logistics | 857 heures | Documentaire expérimental | Galerie d’art, installation |
Modern Times Forever | 240 heures | Art vidéo | Projection extérieure |
Sátántangó | 7 h 12 | Fiction dramatique | Festival, séance unique |
Guerre et paix | 7 h 02 | Épopée historique | Séances avec pause entre parties |
Happy Hour | 5 h 17 | Drame psychologique | Projection en une ou deux parties |
Discussion et conclusion
Il est possible que la fascination pour les formats très longs provienne d’une quête d’immersion maximale et d’une volonté d’explorer les limites de l’attention humaine. Les œuvres expérimentales comme « Logistics » ou « Modern Times Forever » sont peut-être perçues davantage comme des installations artistiques que comme des films destinés à un public traditionnel, mais elles soulignent combien le cinéma peut devenir un moyen de mesurer le temps réel et d’interroger le spectateur sur sa propre perception.
En revanche, des œuvres narratives comme « Sátántangó », « Guerre et paix » ou « Happy Hour » montrent qu’un récit de fiction peut aussi se prêter à un format étendu, à condition de maintenir une tension dramatique et une densité émotionnelle. Certains réalisateurs estiment que la durée ne doit pas être un obstacle à la création, tandis que d’autres craignent que l’expérience ne devienne trop exigeante pour le public.
À l’ère du streaming et du binge-watching, les frontières entre film et série s’estompent, et il est probable que de nouveaux projets dépasseront bientôt ces records. Entre curiosité artistique et défi logistique, ces cinq films illustrent différentes manières d’envisager la durée au cinéma. Pour le spectateur, il s’agit avant tout d’une expérience personnelle : acceptée comme un voyage contemplatif ou vécue comme un défi, la rencontre avec ces œuvres extrêmes reste toujours singulière.
Je suis surpris de l’absence du réalisateur philippin Lav Diaz dans ce TOP 5. En effet, celui que beaucoup (dont moi-même) considèrent comme le plus grand réalisateur vivant est un spécialiste des films très longs, au point qu’il est très difficile de voir ses films en salle. Son film le plus long, « Evolution of a filipino family », film de 2004, dure 10 heures 43 minutes. Parmi les très grands films très longs, il faut citer également « Out 1 » de Jacques Rivette (film de 1971), qui dure 12 heures 56 minutes.