Les filles du Nil
Egypte, France, Danemark, Qatar, Arabie Saoudite : 2024
Titre original : Rafaat Einy LL Sama
Réalisation : Ayman El Amir, Nada Riyadh
Scénario : Ayman El Amir, Nada Riyadh
Interprètes : Majda Massoud, Haidi Sameh, MonikaYoussef
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h37
Genre : Documentaire
Date de sortie cinéma : 5 mars 2025
Date de sortie DVD : 15 juillet 2025
Dans un village du sud de l’Égypte, une bande de jeunes filles se rebelle en formant une troupe de théâtre de rue. Rêvant de devenir comédiennes, danseuses et chanteuses, elles défient leurs familles coptes et les habitants de la région avec leurs performances audacieuses.
Le film
[3.5/5]
Un mariage, de nos jours, en Egypte. Voilà ce qu’on dit à la jeune mariée : « Toi, l’épouse, tu devras te conformer aux souhaits de ton mari. Tu ne devras pas désobéir, froncer les sourcils, l’énerver et faillir à tes devoirs envers lui ». Ce n’est pas dans le cadre d’un mariage dans la communauté musulmane que cela se passe, non, ce mariage se déroule dans une communauté chrétienne, dans le village de Deir el-Bersha, un village copte situé à 225 kilomètres au sud du Caire. Un tel discours résume ce qu’est, encore aujourd’hui, la situation de la femme dans de trop nombreux endroits dans le monde et peut suffire à expliquer pourquoi des jeunes filles de Deir el-Bersha en sont arrivées à fonder une troupe de théâtre se produisant dans les rues du village et qu’elles ont appelée la troupe « Panorama Barsha », afin de pouvoir dire à voix haute, au travers de textes sur lesquels elles ont elles-mêmes travaillé, ce qu’elles pensent de l’égalité des chances, des mariages précoces et/ou imposés, du patriarcat, etc. Après une première rencontre avec Ayman El Amir et Nada Riyadh qui s’est déroulée en 2017, c’est le collectif lui-même qui, voyant dans l’outil cinématographique une autre façon de s’exprimer, a repris contact avec le réalisateur et la réalisatrice. Il s’ensuivit un tournage sur une durée de 4 ans, au rythme d’une semaine par mois, durée qui a permis d’établir une relation de confiance entre les familles des jeunes filles et l’équipe de tournage, d’autant plus que le faible effectif de cette équipe permettait aux personnages d’être plus à l’aise devant la caméra.
Le film se concentre principalement sur 3 des 6 ou 7 jeunes filles composant la troupe au départ du film : Majda, celle qui, indéniablement, se révèle être le moteur de la troupe et qui semble ne vivre que pour le théâtre, quand bien même son frère ne cesse de se moquer d’elle ; Monica qui rêve de devenir chanteuse ; Haidi, davantage intéressée par la danse. A la vision du film, on ne peut s’empêcher de se poser un certain nombre de questions sur les conditions du tournage, et, tout particulièrement, celle-ci : ce que l’on voit, ce qu’on entend, est-ce toujours le fruit d’une improvisation, d’un filmage sur le vif au cours duquel la présence d’une caméra n’a eu qu’une influence négligeable sur ce qui s’est passé, sur ce qui s’est dit, ou bien s’agit-il parfois, voire toujours, de scènes qui ont été préparées, qui ont fait l’objet de répétitions ? Parmi toutes les scènes où l’on voit la troupe « Panorama Barsha » construire petit à petit un nouveau spectacle, celles où l’on assiste à des répétitions, celles où l’on voit le collectif interpréter un spectacle dans les rues de Deir el-Bersha, celles, plus intimes, qui montrent la vie de ces jeunes filles dans leurs familles ou avec leurs amoureux, il en est deux où cette interrogation est la plus forte : celle où le fiancé de Monica, celle dont le rêve est de devenir chanteuse, lui révèle ce que sera sa vie après le mariage, une vie de femme au foyer, ne sortant qu’à l’occasion de mariages ou de quelques fêtes, une vie qui, bien sûr, mettrait fin à son rêve, avant de lui avouer que tout cela est faux, qu’il a simplement voulu lui faire une blague. Toute cette scène ayant été filmée en champ-contrechamp à la manière d’un film de fiction, elle laisse forcément supposer une interruption puis une reprise de la scène. Quant à la conclusion, cette histoire de blague, est-ce si sûr ? Autre scène importante pour laquelle une scénarisation peut être suspectée, celle où un père essaye de convaincre sa fille de ne pas abandonner le théâtre et la danse, allant jusqu’à lui demander si ce n’est pas Kirolos, son amoureux, qui lui aurait lavé le cerveau.
Mais qu’importe après tout, l’essentiel étant ce qu’on voit et ce qu’on entend et cette interrogation légitime qu’on peut avoir n’a pas empêché le film, présenté à la Semaine de la Critique de Cannes 2024, d’obtenir cette année là l’Œil d’or du meilleur documentaire, ex aequo avec Ernest Cole, photographe, de Raoul Peck ! On se félicite donc de voir des jeunes filles vivant dans une société patriarcale et conservatrice leur laissant peu d’espace de liberté se rebeller à leur façon contre le mode de vie qui les attend, on s’intéresse à les suivre durant les 4 années qu’a duré le tournage, à les voir passer de l’adolescence à l’âge adulte, on s’attriste à les voir finalement rentrer dans le moule et abandonner leurs rêves, à l’exception de Majda, résolue à rejoindre l’Institut des arts du théâtre au Caire. Et puis, une nouvelle génération a repris les rênes de la troupe « Panorama Barsha » et sillonne aujourd’hui les rues de Deir el-Bersha, ses membres rêvant probablement, elles aussi, à un avenir plus radieux. On sait malheureusement qu’un tel processus est forcément très long, mais on peut espérer que, à Deir el-Bersha comme ailleurs, de très gros progrès dans la condition des femmes finiront par arriver à la suite de nombreux petits progrès obtenus à chaque génération. A noter qu’il est beaucoup question de rêves chez ces jeunes filles, le mot « rêve » étant pris au sens de ce qui se passe à l’état de veille lorsqu’on cherche à exprimer un désir. Le titre français du film ne prend pas en compte cet élément important, alors que le titre anglais, The Brink of Dreams, peut être traduit par « Au bord des rêves », titre beaucoup plus en rapport avec ce que raconte le film. Quant au titre original, en arabe, Rafaat einy ll sama, il signifie littéralement « contempler le ciel », et, en Egypte, particulièrement, dans la communauté copte, il a une signification très émotionnelle, car il évoque l’idée qu’il est possible d’avoir un avenir différent : « Lève les yeux vers le ciel et imagine une vie différente ».
Le DVD
[3.5/5]
On ne trouvera rien à redire à la qualité de l’image de ce DVD qui offre ce qu’on peut faire de mieux avec ce type de support. Le son du film est disponible en stéréo et en 5.1 et est bien sûr accompagné d’un sous-titrage en français.
Accompagnant le film, le supplément de 9 minutes intitulé Les filles du Nil à Cannes déçoit un peu. Passant de la projection du film dans la salle de l’Espace Miramar aux plages de la Croisette en passant par leurs chambres d’hôtel, avec les filles du Nil se réjouissant de leur présence dans le plus grand festival de cinéma du monde, il est certes très sympathique mais il ne répond en rien aux interrogations qu’on peut avoir sur le mode de tournage du film : des scènes totalement improvisées ou bien, un peu, voire beaucoup, de mise en scène ?