Promis le ciel

France, Tunisie, Qatar, 2025
Titre original : –
Réalisatrice : Erige Sehiri
Scénario : Erige Sehiri, Anna Ciennik et Malika Cécile Louati
Acteurs : Aïssa Maïga, Laetitia Ky, Debora Lobe Naney et Mohamed Grayaa
Distributeur : Jour2fête Distribution
Genre : Drame
Durée : 1h33
Date de sortie : 28 janvier 2026
3/5
En règle générale, le parcours d’immigration n’est linéaire pour personne. A plus forte raison lorsqu’il se faufile dans la clandestinité, à l’écart des canaux officiels, sursaturés depuis longtemps. Ainsi, il y a des moments de précipitation au risque de sa propre vie d’un côté et des pauses lénifiantes de l’autre, qui coïncident avec une situation bloquée dont on peine à percevoir une issue favorable.
C’est dans l’une de ces parenthèses involontaires que s’engouffre Promis le ciel, présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard et au Festival de Sarlat dans celle du Tour du monde. Et même si le dépaysement est garanti dans le film de Erige Sehiri, on y est tout de même très loin du folklore aventurier dont le cinéma d’antan affublait pareille suspension des espoirs en terre maghrébine. Dès lors, toute la beauté de ce récit au féminin réside dans sa proximité des trois personnages principaux qui doivent gérer, chacune à sa façon, le stress d’être coincées dans un no man’s land potentiellement hostile.
Pour éviter toute tentation de manipulation sentimentale, la réalisatrice ne s’attarde pas trop sur le sort de la petite fille Kenza, recueillie par ces trois femmes au tempérament diamétralement opposé. Tout juste la gamine nous sert-elle de point d’accès ponctuel à ce foyer où la bonne humeur et la solidarité cachent tant bien que mal une insécurité de plus en plus pernicieuse. Car les objectifs des trois protagonistes se laissent de moins en moins concrétiser avec les moyens modestes à leur disposition. La pression administrative venue de l’extérieur, sans nom, ni visage, quoique indéniablement palpable, faisant le reste.
Or, cette impuissance collective fait en quelque sorte la force de résilience de ces femmes, incarnées avec un naturel désarmant par Aïssa Maïga, Laetitia Ky et surtout la révélation du film Debora Lobe Naney. Ensemble, elles persévèrent, au-delà de tout précepte religieux qui ne constitue dans ce contexte précaire qu’une bouée de sauvetage de plus.

Synopsis : Quand la petite Kenza, âgée de quatre ans et survivante d’une tentative d’immigration tragique, débarque dans la maison de Marie, Naney et Jolie, leur foyer est d’ores et déjà mis en état d’alerte. Tandis que la pasteure engagée Marie voit d’un œil inquiet l’étau qui se resserre autour des immigrés subsahariens en général et des communautés chrétiennes en particulier de la part des autorités tunisiennes, l’étudiante Jolie rêve de se défaire de la surveillance de la femme d’église à qui son père verse sa pension alimentaire. Quant à Naney, elle fréquente autant le culte dominical de Marie que des quartiers et des fêtes plus populaires, où elle se fait un peu d’argent afin de tenter enfin un jour la grande traversée vers l’Europe. L’arrivée inopinée de Kenza les met toutes devant les contradictions du statu quo bancal dans lequel elles se complaisent depuis des mois, voire des années.

On dit quoi ?
.Il ne se passe pas grand-chose dans Promis le ciel. Et pourtant, le deuxième long-métrage de fiction de Erige Sehiri, quatre ans après Sous les figues, ne nous lâche pas une seconde. Ces tranches de vie en terrain ennemi respirent une vitalité qui peut très bien se passer de coups de théâtre tonitruants. Cette vitalité ne se traduit point par une résistance vigoureuse face à des circonstances peu favorables, mais par des portraits très précis, très empathiques de femmes qui ont chacune un rôle à jouer sur l’échiquier truqué de l’immigration. Aucune d’entre elles ne maîtrise tout à fait les règles du jeu. Sinon, elles n’auraient pas formé cette sorte de forteresse improvisée. Pas plus qu’elles ne peuvent compter sur des hommes forts, susceptibles de les propulser vers leur destination de rêve, en échange de gages du sexisme dont la gent féminine souffre depuis la nuit des temps.
D’ailleurs, les rares rôles masculins qui se sont égarés dans ce triangle de barrage contre la précarité s’avèrent au moins aussi atypiques que leurs pendants féminins. Pour commencer, ils sont à peine plus que des visages qu’on distingue difficilement lors de leurs passages furtifs à l’écran. A l’exception notable de Foued, le drôle d’employé de Naney, qui entretient avec elle une relation presque amicale en tant qu’homme revenu de tout. Surtout d’une illusion de bonheur européen qui ne lui a visiblement pas réussi. A ses côtés, le bailleur roublard est l’un des très rares personnages autochtones, tiraillé entre son intérêt commercial et la peur de perdre de sa respectabilité en prêtant sa maison à des femmes africaines et de surcroît chrétiennes.
Enfin, contre toute attente, le grand sage de l’intrigue n’est pas Marie, une pasteure aux ordres d’une mentalité évangélique à l’américaine, mais son ami journaliste non-voyant qui discerne bien plus clairement qu’elle le dilemme dans lequel elle s’est mise en accueillant Kenza chez elle.

Copines pour la vie
Et si le point d’ancrage de ces trois colocatrices – et accessoirement aussi de Promis le ciel dans son ensemble – était leur incapacité d’atteindre ce qu’elles désirent le plus ?
A savoir la direction sans encombre d’une paroisse et l’imposture guère admise par elle-même du rôle de mère pour Marie. Pour Naney, ce serait la possibilité hélas inatteignable de réussir le grand écart géographique et affectif entre sa fille restée au pays et le rêve peu précis de recommencer sa vie sous de meilleurs auspices en Europe. Enfin, le projet de Jolie paraît à première vue le plus réaliste : s’émanciper de l’influence de Marie et de son père pour mener à bien ses études d’ingénieur. Sauf que le frein principal à sa réalisation est peut-être le plus difficile à enlever. Il est étroitement lié à son âge et à son immaturité, exprimés avec une maestria cinématographique fort appréciable au cours de la séquence, où elle ne peut compter que sur elle-même. Au risque d’échouer misérablement.
Néanmoins, la mise en scène de Erige Sehiri dégage à chaque instant un optimisme presque obscène. Attention, pas le genre d’optimisme factice qui se sert du moindre prétexte pour faire chavirer le récit vers le registre du conte édifiant. Non, la beauté désarmante du récit consiste à préserver la dignité des personnages, même dans les moments les plus compromettants. Personne, parmi Marie, Naney et Jolie, n’est un ange, mais chaque fois qu’elles font fausse route, cela les amène à enrichir leur dimension humaine.
Peu importe que ce soit Naney, qui court à plusieurs reprises et toujours en vain après l’argent que ses nombreux débiteurs lui doivent. Ou bien Jolie, qui doit compter sur le franc-parler de sa copine pour ne pas trop se faire embêter dans la rue, en raison d’un choix vestimentaire considéré sur le tard comme trop osé dans les rues tunisiennes. Pour Marie, sa noblesse ostentatoire montre plus qu’une fois ses limites, bien que l’interprétation sobre de Aïssa Maïga lui confère le genre de pudeur qui nous lui fait pardonner ses expressions de foi passablement illuminées.

Conclusion
Un film comme Promis le ciel a besoin de tout le soutien festivalier qu’il peut obtenir. Sur un sujet en apparence convenu, la réalisatrice Erige Sehiri sait conter à travers lui une très belle histoire d’entraide féminine. Sans discours pompeux, ni revirements tendancieux, mais juste sur la base de trois personnages extrêmement solides et les interprétations qui vont avec. Alors que nous y retrouvons avec grand plaisir Aïssa Maïga dans un rôle qui correspond parfaitement à ses exigences en termes de représentation, la véritable bonne surprise reste Debora Lobe Naney. En dessous de ses manières et de son apparence de ce qu’on appelait jadis une « mauvaise fille », elle est habitée par une profonde humanité qui confère ses lettres de noblesse au film. Admettons-le, nous l’avons vu un peu par défaut dans notre emploi du temps de festival surchargé, quoique finalement avec une réelle émotion !















