La femme qui en savait trop
Autriche, Allemagne : 2024
Titre original : Shahed
Réalisation : Nader Saeivar
Scénario : Nader Saeivar, Jafar Panahi
Interprètes : Maryam Boubani, Nader Naderpour, Abbas Imani
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie : 27 août 2025
4/5
Synopsis : En Iran, Tarlan, professeure d’histoire à la retraite, est témoin d’un meurtre commis par une personnalité proche du gouvernement. Elle le signale à la police qui refuse d’enquêter. Elle doit alors choisir entre céder aux pressions politiques ou risquer sa réputation et ses ressources pour obtenir justice.
Militante un jour, militante toujours ! Alors que nombre de ses compatriotes iraniens font semblant d’être conservateurs afin de garder leur poste, Mme Ghorbani, Tarlan pour les intimes, une ancienne professeure d’histoire dans un lycée de province, n’a jamais voulu se prêter à ce petit jeu et, à l’âge avancé qu’elle affiche, elle continue à lutter ouvertement, à défendre toutes les causes qu’elle juge justes. C’est ainsi qu’elle s’investit dans les luttes du syndicat des enseignants, qu’elle organise des actions de revendication, qu’elle s’efforce d’aider les mères qui ont perdu le contact avec leurs filles engagées dans le mouvement « Femme, vie, liberté ». Tous ces combats lui ont couté son travail, lui ont couté sa maison, l’obligeant à devenir locataire, et cela lui vaut les reproches de Salar, son fils, alors qu’elle n’a jamais cessé de se battre pour le faire sortir de la prison dans laquelle il se trouvait du fait d’une dette très importante mais qui considère que sa mère porte plus d’intérêt à ses combats sociaux et politiques qu’à sa petite personne.
A côté de ce fils, Tarlan a élevé Zara lorsque cette dernière, en pleine adolescence, est devenue orpheline. Les liens entre Zara et Tarlan ne sont pas biologiques mais la relation entre elles est identique à celle qui existe entre une fille et sa mère biologique. Zara a toujours été passionnée par la danse et, quand elle a épousé Salat, ce dernier n’a rien trouvé à redire d’autant plus que, au début de leur mariage, les leçons de danse données par Zara contribuaient de façon importante aux revenus du foyer. Avec le temps, Salat a occupé des postes de plus en plus importants et, son ambition semblant sans limite, il considère que le métier de Zara nuit à sa carrière, ne serait-ce qu’à cause des vidéos de danse qu’elle met en ligne et qui, il en est sûr, vont l’empêcher d’obtenir les promotions qu’il espère. Le couple va très mal et Tarlan prend conscience que cela se traduit par des coups de plus en plus violents portés à Zara par son mari. Jusqu’au jour où Tarlan est témoin de quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grave. Malheureusement, il est très difficile de faire éclater la vérité dans un pays comme l’Iran, surtout quand, face à vous, se trouve un homme dont les appuis sont puissants. Que peut faire une vieille femme, déjà déconsidérée du fait de ses actions contre le régime en place ? Que peut faire Ghazal, à part danser ?
C’est par une séquence à la fois magnifique et riche en sous-entendus que commence La femme qui en savait trop, film dont le titre en farsi, « Shahed », signifie « témoin » : alors que la caméra s’attarde sur une femme âgée, très attentive à ce qui se passe devant ses yeux, une voix s’adresse à des danseuses, les enjoignant de ne pas s’arrêter de danser quand bien même elles seraient conscientes d’avoir commis quelques erreurs : « si vous vous arrêtez, le spectacle sera gâché, toute la troupe se sera donnée du mal pour rien. Donc, une fois que vous commencez à danser, allez jusqu’au bout ». Exactement le type de discours qui pourrait être tenu auprès des jeunes filles et des jeunes femmes du mouvement « Femme, vie, liberté » : une fois que vous commencez à marquer votre opposition au régime des mollahs, allez jusqu’au bout ! La femme âgée, c’est bien sûr Tarlan, la voix qui s’adresse aux danseuses est celle de Zara et la jeune fille qui vient tendrement claquer une bise à Tarlan, c’est Ghazal, la fille de Zara que Tarlan considère comme étant sa petite-fille. Une fois la bise claquée, Ghazal est chargée par sa mère de lancer la musique qui va permettre aux danseuses d’exprimer leur art. Une tâche en complète adéquation avec son prénom, Ghazal, qui trouve son origine dans la poésie classique arabe et persane, et qui peut se traduire par poésie d’amour mais également chant d’amour, le ghazal étant également un genre musical très populaire en Iran, mais aussi en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. Quant à la scène de danse traditionnelle qui suit, elle est tout simplement sublime de grâce et de beauté, avec 5 jeunes femmes en tenue blanche et 3 jeunes femmes en tenue rouge qui dansent sur un fond d’un blanc immaculé.
La danse est d’ailleurs le fil rouge de La femme qui en savait trop, étant la cause du drame qui se joue dans le couple de Zara et s’affichant in fine comme étant une arme peut-être plus puissante que le poison contre les violences et l’injustice. Au passage, le film montre par ci par là ce qu’est la vie à Téhéran et, plus généralement, en Iran : par exemple, que des femmes iraniennes, probablement et malheureusement très nombreuses, sont loin d’être sorties du carcan psychologique dans lequel la religion les a enfermées, l’une d’entre elle invectivant Zara, cheveux au vent dans sa voiture, en lui disant : « Vous incitez les hommes au pêché en ne vous couvrant pas la tête. Dieu vous a fait belle pour séduire votre mari, pas les autres hommes. Si les lois vous déplaisent, vous pouvez quitter le pays ». On a droit aussi, de la part d’un avocat des droits humains, à un petit rappel concernant le code pénal iranien et, plus particulièrement, son article 630 : un homme a le droit de tuer sa femme et son amant s’il les surprend en train de commettre l’acte d’adultère. Et, ajoute-t-il, si on ne trouve que le corps de la femme, pas de problème pour le mari, c’est tout simplement que l’amant a réussi à s’enfuir ! Mais, au fait, on aimerait savoir ce que dit le code pénal iranien à propos d’une femme qui surprendrait son mari et sa maîtresse en train de commettre l’acte d’adultère ?
Nader Saeivar, le réalisateur de La femme qui en savait trop, n’a pas la notoriété de Jafar Panahi au point que Allociné en fait une réalisatrice, une productrice et une scénariste ! Il a commencé à travailler avec Jafar Panahi en tant que dialoguiste sur son film de 2018, Trois visages. C’est avec ce réalisateur, dont Un simple accident, la récente Palme d’Or, va sortir le 1er octobre prochain, qu’il a écrit le scénario de La femme qui en savait trop, un film qu’il tenait à faire en soutien du mouvement « Femme, Vie, Liberté » et qu’il a ensuite tourné clandestinement avant de quitter l’Iran pour aller s’établir à Berlin. Tout au long de son film, un grand film iranien de plus, Nader Saeivar fait preuve d’une grande maîtrise dans l’utilisation des ellipses. Maryam Boubani, la magnifique interprète de Tarlan, est une actrice assez célèbre en Iran. Elle est devenue un symbole du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en étant une des premières actrices à retirer son hijab et à déclarer qu’elle ne voulait plus le porter.