Sorry, Baby
Etats-Unis : 2024
Titre original : –
Réalisation : Eva Victor
Scénario : Eva Victor
Interprètes : Eva Victor, Naomie Ackie, Lucas Hedges, John Carroll Lynch
Distribution : Wild Bunch
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 23 juillet 2025
4/5
Synopsis : Quelque chose est arrivé à Agnès. Tandis que le monde avance sans elle, son amitié avec Lydie demeure un refuge précieux. Entre rires et silences, leur lien indéfectible lui permet d’entrevoir ce qui vient après.
Une entrée remarquée et remarquable dans la réalisation cinématographique
Malgré son jeune âge, l’américaine Eva Victor, née à Paris il y a 31 ans, a déjà fait preuve de beaucoup de talent dans de nombreux domaines : elle fut journaliste dans la presse écrite, elle a réalisé un grand nombre de vidéos à succès sur Twitter et pour la chaîne Comedy Central, elle a été actrice dans plusieurs films et dans plusieurs séries. Et maintenant, la voici qui se lance dans la réalisation d’un long métrage de fiction, un film qu’elle ne s’est pas contentée de réaliser, mais dont elle a également écrit le scénario et dans lequel elle interprète le rôle principal. Ce personnage principal s’appelle Agnès, elle est doctorante en littérature, elle réside dans le Massachusetts, « il lui est arrivé un truc grave », en fait une agression sexuelle de la part de son directeur de thèse, elle tente de guérir de ce traumatisme, de se reconstruire et, heureusement pour elle, elle a une amie fidèle, Lydie, qui vient de temps en temps lui rendre visite depuis New-York où elle habite dorénavant. Agnès et Lydie ont fait leurs études ensemble et contrairement à d’autres condisciples, Lydie sait preuve de la patience et de la compréhension nécessaires pour aider Agnès à affronter ses problèmes. C’est dans un traumatisme similaire vécu par elle qu’Eva Victor a trouvé l’inspiration pour écrire et réaliser Sorry, Baby : « Je me suis retrouvée à écrire le film dont j’aurais eu besoin quand j’ai traversé une crise proche de celle d’Agnès. Plus que de filmer la violence ou les agressions, c’était la guérison qui m’intéressait ».
Cette histoire, malheureusement assez banale, très adaptée au cinéma « Sundance » , aurait pu être racontée de façon plan-plan. Ce n’est pas du tout le cas : ce film sur la guérison, sur la résilience et sur la sororité, Eva Victor a très intelligemment choisi de le découper en 5 chapitres de longueurs très différentes et qui ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique. Le premier chapitre permet de faire connaissance avec Agnès et Lydie. Ces amies très proches ne se sont pas vues depuis pas mal de temps et elles ont beaucoup de choses à se raconter, le plus souvent sur un ton où se rencontrent humour et noirceur. Le dernier chapitre relate une nouvelle visite de Lydie à Agnès. Cette fois ci, elle est accompagnée de Sam, son épouse, et de Jane, la petite fille dont elle avait dit être enceinte dans le premier chapitre. Les 3 autres chapitres sont en fait des flashbacks racontant divers épisodes de la vie d’Agnès durant les années qui viennent de s’écouler. Certains sont pleins de légèreté, d’autres beaucoup plus sombres. On y rencontre des voisins d’Agnès, tout d’abord Gavin, un jeune homme un peu décalé dont on devine qu’il pourrait peut-être aider Agnès à se reconstruire définitivement, ensuite Pete, un homme âgé qui explique à Agnès comment respirer lorsqu’elle est prise dans une crise d’angoisse. Toutefois, l’épisode le plus important est le récit que fait Agnès à Lydie de l’agression sexuelle qu’elle a subie de la part de son directeur de thèse : avec une grande intelligence, rien n’est montré, tout est décrit. En fait, ce qui est particulièrement plaisant dans ce film (mais peut-être déplaisant pour certain.e.s), c’est le nombre de fois où la réalisatrice prend manifestement un grand plaisir à mettre mal à l’aise les spectateurs, principalement dans les dialogues entre Agnès et Lydie. Au côté d’Eva Victor qui interprète donc elle-même le rôle d’Agnès, on retrouve avec plaisir, dans le rôle de Lydie, la comédienne britannique Naomi Ackie dont on avait apprécié la prestation dans The young lady, sa première apparition, il y a 8 ans, dans un long métrage de cinéma. Quant à John Carroll Lynch, l’interprète de Pete, c’est depuis des années un pilier du cinéma US en matière de seconds rôles. Il est aussi le réalisateur d’un film, un seul, Lucky, un authentique bijou cinématographique sorti en 2017. Prix du scénario lors du Festival de Sundance en début d’année, film de clôture de la Quinzaine des cinéastes il y a 2 mois à Cannes, Sorry, Baby marque une entrée remarquée et remarquable dans la réalisation cinématographique pour Eva Victor. On a souvent dit de Jean-Sébastien Bach qu’en faisant dans ses compositions la synthèse de toutes les œuvres musicales de la période baroque, il avait en quelque sorte mis un point final à la musique baroque. Seul l’avenir pourra nous dire si, en un seul film dans lequel elle agrège tout ce qui fait le charme et tout ce qui peut agacer dans le volet de la comédie basée sur une auto-analyse et les relations d’amitié, Eva Victor aura contribué à mettre un point final à ce volet particulier si souvent traité par le cinéma indépendant américain. C’est peu probable, mais on en vient presque à le regretter, tellement ce film aurait fait une belle conclusion.