Critique Express : 140 km à l’ouest du paradis

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140 km à l’ouest du paradis

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Céline Rouzet
Scénario : Céline Rouzet
Distribution : New Story
Durée : 1h25
Genre : Documentaire
Date de sortie : 21 septembre 2022

3/5

Synopsis : Au cœur de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Highlands attirent les touristes avides d’exotisme et les firmes pétrolières étrangères. C’est là que se rassemblent chaque année des tribus payées pour danser. C’est aussi là, loin des regards, qu’une famille Huli et son clan ont cédé leurs terres à ExxonMobil en rêvant de modernité. Mais l’argent ne vient pas… Pris entre des tribus rivales, des politiciens cupides et l’une des multinationales les plus puissantes de la planète, ils sentent la terre se dérober sous leurs pieds. Alors que les touristes braquent leurs objectifs sur des danses vidées de leur sens, à quelques kilomètres, un monde disparaît sans bruit.

 

L’argent n’est jamais venu !

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, royaume du Commonwealth et pays indépendant depuis 1975, l’intérêt des touristes se porte beaucoup sur des représentations de danses tribales telles que le Goroka Show, une invention coloniale qui, au départ, cherchait à unifier le territoire en réunissant des tribus qui ne se connaissaient pas, allant même, régulièrement, jusqu’à se faire la guerre et qui s’est transformée en show touristique. Dans la région des Highlands, plus précisément dans la province de Hela, à Hides 4, une autre richesse n’attire pas les touristes mais a provoqué l’intérêt des multinationales : le gaz naturel. L’ancienne journaliste Céline Rouzet, devenue réalisatrice, connait très bien la Papouasie-Nouvelle-Guinée, elle qui, dans sa jeunesse, rêvait d’aller vivre dans la jungle avec des tribus. Elle a fait de nombreux séjours dans ce pays et elle parle même le tok pisin, une des 4 langues officielles du pays, au même titre que l’anglais, un pays dans lequel on recense environ 800 langues différentes.

En réalisant 140 km à l’ouest du paradis, son but principal était de nous confronter aux problèmes que l’exploitation du gaz a posés à des autochtones qui, culturellement, n’étaient préparés ni à la valeur de l’argent, ni à la notion de propriété d’une terre. Elle a toutefois choisi de consacrer les toutes premières minutes de son film à une représentation très colorée de danses tribales donnée à des touristes. Au tout début, on pense avoir affaire à un film ethnographique jusqu’à ce qu’apparaissent des touristes munis d’appareils photo et de caméras circulant au milieu des danseurs et des danseuses. Certains sont interviewés et ils ont des paroles positives sur ce peuple qu’ils visitent, louant en particulier la façon dont ils ont su préserver leurs traditions. Il n’empêche, c’est avec un sentiment de malaise qu’on quitte cette scène au cours de laquelle on a filmé des occidentaux en train de filmer une population autochtone dont on ne sait plus très bien si ils viennent de donner une représentation authentique de leurs traditions ou un show monté de toute pièce pour rincer l’œil de touristes avides d’exotisme. D’autant plus que cette séquence se termine par la vision d’un enfant couvert d’une peinture grise des pieds à la tête et autour duquel tourne la caméra, vision d’un enfant désorienté, sans repère, ne sachant pas vers quel avenir se tourner.

Cette appropriation d’une culture locale par des touristes occidentaux va ensuite être suivie de ce qui pour Céline Rouzet, avait vocation à être le cœur de son film : l’appropriation par une multinationale occidentale d’une richesse naturelle du pays, le gaz naturel. Lors de ses séjours sur une période de 5 ans à Hides 4, l’endroit où ExxonMobil a installé son exploitation, sa connaissance du tok pisin a permis à Céline Rouzet d’être accueillie au sein d’une famille locale, membre du clan des Tagobali de la tribu des Tuguba, qui s’est avérée être une sorte de microcosme de l’ensemble de la population de cette région. En effet, si le film montre des discours trompeurs et paternalistes de dirigeants politiques locaux dont tout laisse penser qu’ils sont corrompus et qui exhortent les paysans à donner leurs terres gratuitement pour permettre le changement et un avenir radieux, qui fustigent leur comportement négatif coupable d’entraver cette marche vers le progrès, s’il donne la parole à des autochtones qui se plaignent que les promesses faites n’ont jamais été tenues, que ce soit en matière de route, d’électricité, d’école, d’hôpital, d’eau courante et d’argent versé sur des comptes en banque, il montre aussi les différences d’avis au sein d’une même famille sur ce qu’il aurait fallu faire, jeunes faces aux vieux, femmes face aux hommes. Le film montre aussi l’importance des clans et des luttes qui les opposent. Certes, les rivalités entre tribus n’ont pas commencé avec l’arrivée d’ExxonMobil, mais le surgissement espéré d’une manne financière importante n’a pas arrangé les relations, certains clans revendiquant la « propriété » de terres appartenant à un autre clan. Ces différences d’avis au sein d’une même famille et ces rivalités entre clans et tribus ne pouvaient malheureusement qu’aboutir à l’absence d’un véritable front commun face à ExxonMobil et au double jeu des dirigeants politiques locaux.

Ce documentaire fait appel de façon très parcimonieuse à la voix off de la réalisatrice et on arrive très vite à regretter que cette voix off ne soit pas plus bavarde. En effet, si ce film a le grand mérite de fournir de nombreuses informations intéressantes aux spectateurs à condition qu’ils soient très attentifs et très concentrés, il a le défaut de souvent s’éparpiller et de manquer de clarté dans son discours. Pour être franc, on aurait souhaité une construction plus rigoureuse.

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