Dr. Wai
Hong Kong : 1996
Titre original : Mo him wong
Réalisation : Ching Siu-Tung
Scénario : Sandy Shaw, Cheuk-Hon Szeto
Acteurs : Jet Li, Billy Chow, Takeshi Kaneshiro
Éditeur : HK Vidéo
Durée : 1h31
Genre : Action, Aventures, Fantastique, Kung Fu
Date de sortie DVD/BR : 22 mars 2024
Un romancier, en manque d’inspiration, puise dans ses tracas quotidiens pour inventer les péripéties de son héros, Découvrez les aventures du Dr. Wai avec Jet Li en Indiana Jones au pays du kung-fu…
Le film
[3,5/5]
Dans Dr Wai, les coups de pied volent comme des pigeons effrayés sur une place de marché un jour de distribution de tracts pour LFI, et les chorégraphies câblées s’enchaînent avec une précision qui ferait rougir un cocu suisse. Le film de Ching Siu-Tung, sorti en 1996, s’inscrit dans la grande tradition hongkongaise d’aventures martiales, avec Jet Li en archéologue-aventurier de serial – un Indiana Jones enchaînant pieds-poings avec aisance et défiant les lois de la gravité. Typiques de la démesure des productions made in HK des 90 (Opération Scorpio, Heroic Trio…), les séquences d’action de Dr Wai sont montées comme des poèmes visuels où chaque saut, chaque roulade, chaque coup de poing devient une syllabe de haiku, ou un pied d’alexandrin, dans la gueule bien sûr. On y retrouve cette obsession du cinéma hongkongais pour la fluidité, la verticalité et l’exagération, comme si la gravité n’était pas une loi immuable mais une suggestion polie, que l’on zappe d’un revers de la main.
Comme beaucoup de films hongkongais de l’époque, Dr Wai existe en deux montages distincts, l’un destiné au marché hongkongais, l’autre au marché international. En revanche, ce qui est plus inhabituel, c’est que ces deux versions ne racontent pas tout à fait la même histoire, et qu’elles bénéficient d’un montage différent comportant chacune leur lot de séquences exclusives. La version hongkongaise, plus longue et plus subtile, raconte l’histoire d’un écrivain en panne d’inspiration qui transpose ses déboires sentimentaux dans les aventures de son héros fictif. On y retrouve une mise en abyme qui évoque Le Magnifique de Philippe de Broca, avec ce jeu permanent entre fiction et réalité, à la différence près que le récit d’aventures dispose de plusieurs « narrateurs » et mélange de ce fait les sensibilités. La version internationale, en revanche, a été remontée pour coller davantage aux attentes d’un public avide d’action pure : exit la mise en abyme, place à une narration linéaire où Dr Wai devient un simple aventurier lancé à la poursuite d’un parchemin magique.
Les différences entre ces deux montages de Dr Wai sont frappantes : d’un côté, une réflexion méta sur la création et l’imaginaire ; de l’autre, un rollercoaster d’action qui ne s’embarrasse pas de subtilités. Ce double montage illustre parfaitement la tension entre deux visions du cinéma hongkongais des années 90 : celle qui cherche à séduire le marché local avec des récits plus complexes, et celle qui vise l’exportation en simplifiant les intrigues pour mettre en avant les cascades. Les chorégraphies, elles, restent identiques, et c’est tant mieux, dans le sens où elles constituent le cœur battant du film. Jet Li y déploie une énergie féline, bondissant d’un décor à l’autre avec une grâce qui ferait passer Messi pour une lanterne. Les combats sont filmés avec une caméra virevoltante, multipliant les angles improbables, comme si l’objectif lui-même participait au combat.
Dans le montage hongkongais de Dr Wai, l’originalité vient du fait que la narration de l’histoire passe, selon les séquences, d’un personnage à un autre. La sensibilité du narrateur s’applique donc à chaque nouvelle séquence, ce qui mettra en lumière plusieurs aspects des personnages principaux, l’imaginaire et la mémoire se mêlant aux séquences d’action échevelées. Pour chacun des narrateurs, le parchemin antique convoité par Dr Wai devient une métaphore de la quête de sens. On pourrait y voir une réflexion sur la manière dont les histoires naissent du chaos personnel, mais inutile de sombrer dans la branlette intellectuelle : ici, la philosophie se danse à coups de tatanes dans les rouleaux et de câbles invisibles dans un torrent visuel d’action, le tout étant baigné d’une touche de kitsch et même d’une poignée d’effets spéciaux numériques ayant autant vieilli que ceux de Double Dragon.
Mais c’est précisément aussi ce charme désuet qui rend Dr Wai attachant. Certains aspects du film paraissent très datés, mais l’énergie et la sincérité du spectacle rattrapent tout le reste. En définitive, Ching Siu-Tung nous livrait une œuvre hybride, à la fois pulp et méta, qui illustre à elle seule toute la richesse et l’ambition du cinéma hongkongais des années 90. Ses deux montages offrent deux expériences distinctes : l’une plus introspective, l’autre plus spectaculaire. Les chorégraphies, elles, transcendent les différences et rappellent que le cinéma d’action est avant tout une affaire de rythme, de corps et de mouvement. Alors certes, Dr Wai n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais c’est un film généreux, inventif et joyeusement excessif, qui mérite d’être redécouvert aujourd’hui, surtout dans sa version hongkongaise.
Le Blu-ray
[4/5]
Le Blu-ray de Dr Wai, édité par HK Vidéo dans un très joli Digipack trois volets, est une petite pépite pour les amateurs de cinéma hongkongais. Le packaging, élégant et solide, rend hommage au film en proposant une présentation soignée qui flatte l’œil du collectionneur. À l’intérieur, les deux montages du film sont proposés sur un seul Blu-ray : la version hongkongaise restaurée en 2K (1h31), et la version internationale (1h27). L’image du montage hongkongais est assez superbe : la restauration met en valeur les couleurs flamboyantes et les chorégraphies virevoltantes de l’ensemble, avec une définition qui permet enfin d’apprécier à leur juste valeur les détails des décors et des costumes. Les contrastes sont équilibrés, et même si quelques plans trahissent l’âge du matériel, l’ensemble reste très convaincant. La version internationale, en revanche, s’avère d’une qualité à peu près équivalente à celle présente sur le DVD Collector de 2003 : définition plus faible, couleurs ternes, et un rendu globalement moins flatteur. Cependant, on ne peut que saluer la volonté éditoriale de HK Vidéo, qui nous propose toujours les deux montages du film.
Côté son, sur la version hongkongaise du film, la VO cantonaise en DTS-HD Master Audio 5.1 est une réussite : les combats explosent dans les enceintes, les ambiances sont bien restituées, et la dynamique générale est excellente. Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 reste plus sage mais conserve une belle clarté. Sur la version internationale, la VF en DTS-HD Master Audio 5.1 est parfaitement sympathique, mais un peu moins immersive, avec des dialogues parfois un peu étouffés. La VO en mandarin en DTS-HD Master Audio 2.0 est également tout à fait honnête.
Les suppléments du DVD Collector de Dr Wai ont fait le voyage dans le temps jusqu’au Blu-ray : on retrouvera donc avec plaisir l’analyse comparative des deux montages signée David Martinez (8 minutes), qui éclaire les choix narratifs et les différences de ton entre les versions. Ce bonus est précieux pour comprendre la genèse du film et les compromis imposés par le marché international. La bande-annonce originale restaurée complète le programme, et même si elle ne dure que quelques minutes, elle permet de savourer l’énergie brute de la promotion d’époque.






















