Test Blu-ray 4K Ultra HD : Racket / Du sang sur la Tamise

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Racket

Royaume-Uni : 1980
Titre original : The Long Good Friday
Réalisation : John Mackenzie
Scénario : Barrie Keeffe
Acteurs : Bob Hoskins, Helen Mirren, Bryan Marshall
Éditeur : ESC Films
Durée : 1h54
Genre : Thriller, Policier
Date de sortie cinéma : 19 octobre 1983
Date de sortie DVD/BR/4K : 3 décembre 2025

Parrain régnant sur la pègre londonienne, Harold Shand, en quête de respectabilité, tente de s’associer avec Charlie, un businessman américain véreux. Mais alors qu’il lui déroule le tapis rouge, avec l’assistance de sa séduisante compagne Victoria, une série noire d’assassinats et d’attentats vient le fragiliser, compromettant le projet de développement des docks qu’il cherche à mettre sur pied…

Le film

[4,5/5]

Dans Racket, la Tamise n’est pas seulement un fleuve : c’est une coulée de plomb liquide où se reflètent les ambitions d’un gangster qui rêve d’ériger son empire comme on bâtit une cathédrale de béton. Le film de John Mackenzie, également connu sous le titre Du Sang sur la Tamise ainsi que sous son titre original The Long Good Friday, s’impose comme une fresque urbaine où la violence n’est jamais gratuite mais toujours reliée à une logique de pouvoir, de territoire et de désir de reconnaissance. Ici, Londres devient une arène antique, avec ses gladiateurs en costards trois pièces, ses lions sous forme de voitures piégées, et ses spectateurs invisibles qui tirent les ficelles dans l’ombre. Racket ne se contente pas de raconter une histoire de mafia : il met en scène la collision entre un monde ancien, celui des codes mafieux à la sauce britannique, et un monde nouveau, celui des flux financiers globalisés et des alliances politiques douteuses.

Ce qui frappe dans Racket, c’est la manière dont la mise en scène épouse les thématiques. Les cadrages serrés sur Bob Hoskins, visage taillé comme une enclume, traduisent l’étau qui se referme sur son personnage. Les plans larges sur les docks londoniens, eux, évoquent une ville en mutation, prête à se vendre au plus offrant comme une starlette en quête de likes sur TikTok tentant d’attirer le chaland vers son Mim ou son Onlyfans. Avec plus d’une vingtaine d’années d’avance, le film anticipe déjà la logique des réseaux sociaux : l’image, la réputation, la visibilité sont des armes plus tranchantes que les couteaux. Et pourtant, la caméra de John Mackenzie reste fidèle à une esthétique rugueuse, presque documentaire, qui rappelle les polars britanniques des années 70 comme La Loi du Milieu ou The Offence. Racket se situe dans cette lignée, mais il en élargit la portée en liant la violence intime à la géopolitique, comme si chaque coup de poing était aussi une négociation internationale.

La thématique centrale de Racket est celle de l’illusion du contrôle. Harold Shand (Bob Hoskins) croit dominer son environnement, mais chaque séquence démontre que son pouvoir est une bulle prête à éclater. La mise en scène traduit cette fragilité par des ruptures de ton : un banquet fastueux peut se transformer en scène de carnage, un sourire en menace. Le film rappelle que la modernité n’est pas une promesse de stabilité mais un terrain miné où l’ancien monde se fait pulvériser par le nouveau. On pourrait dire que Racket est une tragédie shakespearienne déguisée en polar, où le héros est condamné non par ses ennemis mais par sa propre incapacité à comprendre que l’Histoire avance plus vite que lui. Et si certains critiques aiment comparer Bob Hoskins à un bulldog, il serait plus juste de le voir comme un hamster dans une roue en feu : il court, il s’agite, mais la roue tourne sans lui.

La bande-son de Francis Monkman dans Racket mérite une mention particulière. Elle oscille entre pulsations électroniques et envolées orchestrales, comme si Kraftwerk avait décidé de se mettre au service d’un opéra mafieux. Cette musique crée un décalage qui accentue la tension dramatique : les explosions ne sont pas seulement visuelles, elles résonnent dans les oreilles comme des alarmes intérieures. On retrouve ici une logique qui rappelle certains films américains tournés à peu près à la même époque, comme Scarface ou Serpico, où la musique devient un personnage à part entière. Dans Racket, elle souligne davantage la modernité du propos : la criminalité n’est plus une affaire de ruelles sombres, mais de deals financiers, de spéculations immobilières, de flux invisibles. La musique traduit cette invisibilité en sons qui semblent surgir d’un futur incertain.

On pourrait croire que Racket est un film de gangsters classique, mais il joue constamment avec les attentes du spectateur. Les scènes de violence sont filmées avec une précision clinique, sans complaisance, presque comme des autopsies. Et pourtant, elles dégagent une poésie étrange, une beauté macabre qui rappelle que la mort est aussi une mise en scène. Le film détourne les clichés du genre : ici, la brutalité n’est pas un spectacle mais une révélation. Chaque coup de feu est une phrase dans un discours politique, chaque explosion une métaphore de la fragilité des empires. Racket ne se contente pas de montrer la chute d’un homme : il met en scène la chute d’une époque, celle où l’on croyait encore que les frontières pouvaient contenir les ambitions humaines.

Mais il serait injuste de réduire Racket à un simple polar. C’est aussi une réflexion sur la masculinité, sur le rôle des femmes dans un univers dominé par les hommes, et sur la manière dont les corps deviennent des instruments de pouvoir. Helen Mirren, dans le rôle de Victoria, incarne une figure féminine qui échappe au cliché de la « femme du gangster ». Elle est stratège, partenaire, presque co-dirigeante. Il faut ainsi reconnaître que Racket lui donne une profondeur rare pour l’époque. Le film anticipe déjà les débats contemporains sur la représentation des femmes dans le cinéma, et il le fait avec une subtilité qui force le respect.

Enfin, Racket reste un film profondément ancré dans son époque, mais il parle encore aujourd’hui. Dans un monde obsédé depuis quelques années par les cryptomonnaies, il rappelle que les empires financiers sont toujours fragiles, que les illusions de grandeur finissent toujours par se fracasser contre la réalité. Le dernier plan du film, durant lequel Bob Hoskins est piégé dans une voiture, visage figé dans une grimace de terreur et de lucidité, devient presque une métaphore universelle : chacun est prisonnier de ses propres illusions, et le monde avance sans attendre. Racket est donc plus qu’un film culte : c’est une leçon de cinéma, une leçon de vie, et une leçon de chute.

Le coffret Blu-ray 4K Ultra HD

[4,5/5]

L’édition limitée Blu-ray 4K Ultra HD de Racket (Du Sang sur la Tamise) proposée par ESC Films est un objet de collection qui mérite d’être copieusement caressé du regard avant même d’être inséré dans le lecteur. Le boîtier Digipack trois volets avec étui, orné des visuels signés Tony Stella, impose une élégance rare, presque aristocratique, comme si le film lui-même avait décidé de se saper en costume trois pièces sur mesure. L’image restaurée 4K, qui nous est ici proposée en Dolby Vision et HDR10, offre une clarté impressionnante : les docks londoniens retrouvent leur rugosité, les visages se parent de détails inédits, et les explosions brillent comme des feux d’artifice funèbres. Certes, quelques plans nocturnes révèlent encore un léger bruit, mais l’ensemble surpasse largement les éditions précédentes. Côté son, les mixages VF et VO en DTS-HD Master Audio 2.0 restituent avec fidélité l’ambiance du film : la version originale conserve la rugosité des accents londoniens, tandis que la version française, plus policée, affiche un certain charme rétro. Les dialogues sont clairs, les ambiances urbaines bien restituées, et la musique de Francis Monkman résonne avec une puissance nouvelle, presque hypnotique.

Les bonus de cette édition limitée Blu-ray 4K Ultra HD de Racket constituent un véritable coffre aux trésors, où chaque compartiment révèle une facette différente de l’histoire du film. ESC Films a eu l’intelligence de ne pas se contenter d’une restauration technique impeccable : l’éditeur a aussi rassemblé une matière éditoriale qui permet de plonger dans les coulisses, les débats et les souvenirs liés à ce polar culte. L’introduction de Jean-Baptiste Thoret (3 minutes) agit comme une mise en bouche érudite et concise : il y replacera rapidement le film dans le contexte du cinéma britannique de la fin des années 70, en soulignant son rôle charnière entre les polars sociaux à la Get Carter et les fresques plus politiques qui suivront. On aura bien sûr l’occasion de continuer à l’écouter dans un passionnant entretien avec Jean-Baptiste Thoret (30 minutes). Il reviendra sur la dimension politique de Racket (Du Sang sur la Tamise), sur la manière dont le film anticipe les mutations de Londres et de la société britannique, et sur la figure tragique de Harold Shand, gangster dépassé par un monde qui change trop vite. Thoret, fidèle à son style, parvient à rendre limpide une analyse complexe.

Les amoureux du film pourront ensuite se plonger dans le commentaire audio de John Mackenzie, qui nous déroulera une véritable masterclass improvisée : il raconte les huit versions successives du scénario, les improvisations de Bob Hoskins, les choix de mise en scène parfois dictés par les contraintes budgétaires, et les tensions avec la production. Ce commentaire est d’autant plus précieux qu’il ne se contente pas d’anecdotes croustillantes : il offre une réflexion sur la manière dont un film se construit, se déconstruit et se reconstruit au fil des drafts et du montage. Anecdote amusante : John Mackenzie nous avouera fermer les yeux lors des scènes les plus violentes du film – une preuve que la brutalité du film n’était pas une simple posture esthétique mais une expérience éprouvante, même pour son créateur. On terminera enfin avec un passionnant making of rétrospectif (55 minutes). Réalisé en 2006, il rassemble les témoignages de John Mackenzie, Barry Hanson, Barrie Keeffe, Phil Méheux, Bob Hoskins, Helen Mirren et même Pierce Brosnan. On y découvre des détails savoureux : la manière dont la scène de la voiture piégée a été tournée, les débats sur la représentation de Victoria (qui devait initialement être un personnage secondaire sans épaisseur), ou encore les difficultés de post-production qui faillirent enterrer le film. Ce documentaire est une pièce maîtresse, car il ne se limite pas à l’histoire officielle : il montre aussi les contradictions, les tensions et les hasards qui ont façonné Racket (Du Sang sur la Tamise). On notera par ailleurs la présence dans le coffret Blu-ray 4K Ultra HD du film d’un livret de 32 pages et une reproduction de l’affiche du film signée Tony Stella. Un grand bravo à ESC Films, qui nous livre ici une édition qui conjugue exigence technique et richesse éditoriale, et qui transforme le visionnage en expérience totale.

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