Arras 2025 : La Petite cuisine de Mehdi

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La Petite cuisine de Mehdi

France, 2025
Titre original : –
Réalisateur : Amine Adjina
Scénario : Amine Adjina et Fabien Gorgeart
Acteurs : Younès Boucif, Clara Bretheau, Hiam Abbas et Gustave Kervern
Distributeur : Pyramide Distribution
Genre : Comédie
Durée : 1h43
Date de sortie : 10 décembre 2025

3/5

Une plaque de cuisson au gaz qui s’allume dès le premier plan, suivie de notre héros qui nous mijote un plat délicieux au homard. Tout paraît réuni pour que La Petite cuisine de Mehdi soit un de ces jolis films gastronomiques, bons pour l’âme et les papilles. Le fait que tout cela soit passé ensuite au mixeur aurait dû nous mettre en garde que, non, le premier long-métrage de Amine Adjina n’est pas un conte édifiant de plus.

Ce qui ne veut pas dire que la bonne humeur n’y soit pas de mise. Bien au contraire. Seulement, l’enjeu de cette comédie jubilatoire n’est guère la réussite culinaire du protagoniste. Car le Mehdi en question assure d’ores et déjà souverainement le menu d’un bistrot, pointu mais grand public, de la métropole lyonnaise. Le retour à ses sources algériennes, avec ce plat obligé, voire caricatural du couscous, ne rentre pas non plus réellement en jeu.

A partir d’une prémisse digne d’un vaudeville rocambolesque – la mère n’est pas présentable à sa future belle-fille, alors autant lui trouver une remplaçante –, le récit nous conduit à travers un labyrinthe des plus divertissants, constitué de demi-vérités et autres subterfuges éhontés. Le charme et la tchatche de Younès Boucif y font merveille. Et tant mieux, puisque son personnage est quand même un affreux menteur, prêt à tout pour ne brusquer personne, tout en gardant le confort de son statu quo personnel.

Toutefois, le véritable cœur du film est la formidable Hiam Abbas, qui fait pour une fois l’impasse sur les rôles tragiques de femmes tourmentées auxquels elle paraît abonnée, pour un emploi beaucoup plus loufoque. L’actrice palestinienne incarne ici à la perfection le genre de mère imaginaire, décontractée et prête à tous les coups foireux/joyeux, qu’on aurait tous aimé avoir un jour. Or, la certitude que la fête de la supercherie devra un jour s’arrêter appartient aux sagesses multiples d’un film, qui nous les transmet avec une légèreté admirable.

© 2025 Laurent Le Crabe / Ex Nihilo / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Mehdi aurait tout pour être heureux. Il est le chef unanimement reconnu d’un bistrot qu’il s’apprête à racheter avec sa copine Léa. Le problème, c’est qu’il ne fait pas participer sa famille d’origine algérienne à son succès à la française. Il s’obstine à garder à l’écart de son quotidien et ses trois sœurs, et sa mère Fatima, aux nerfs très fragiles depuis la mort de son mari. Quand Léa met Mehdi au pied du mur et exige qu’il lui présente enfin sa mère, il se confie à Souhila, la propriétaire d’un bar aux mœurs très libres. Le marché qu’elle lui propose mettra sa vie sens dessus-dessous.

© 2025 Laurent Le Crabe / Ex Nihilo / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Puisque ce sont les clichés les plus énormes qui font parfois rire le plus, La Petite cuisine de Mehdi ne s’en prive pas. Plus précisément, le réalisateur Amine Adjina les déconstruit avec une certaine subtilité, tout en donnant toujours la priorité aux aspérités humaines de ses personnages. Ainsi, la famille de son protagoniste s’adonne certes à toutes sortes de pratiques folkloriques, tout comme ses futurs beaux-parents appartiennent à une bourgeoisie campagnarde passablement snob. Ces traits à peine forcés trouvent un exécutoire filmique plutôt amusant à travers la blague en deux temps sur la circoncision pour les premiers et un Laurent Stocker drôlement œnologue pour les deuxièmes. Quoique sans jamais perdre de vue l’enjeu majeur du récit : la difficulté de Mehdi de trouver sa place entre ces deux cultures en apparence mutuellement exclusives.

Et s’il fallait un petit coup de pouce du destin pour enfin lui permettre de s’inventer son propre chemin ? Le meilleur remède contre sa gêne pathologique semble d’abord être le tempérament débridé de Souhila, une femme qui a dû faire une croix depuis longtemps sur tout ce qui relève de la respectabilité un peu creuse. Elle s’en donne à cœur joie dans son nouveau rôle de mère extravagante et au passé purement mélodramatique. En effet, rien de mieux pour dérider ce microcosme coincé que d’improviser une danse du ventre généralement suivie dans un compartiment de train. Pour avoir parcouru la France de long en large ces dernières semaines en TGV ou Intercités, nous osons considérer cette séquence-là comme de la fiction à part entière, amusante, soit, mais quand même un peu tirée par les cheveux blonds de cette mère courage, qui finit par trop se prendre à son propre jeu.

© 2025 Laurent Le Crabe / Ex Nihilo / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Néanmoins, à partir de cette prémisse aberrante, le propos du film demeure gentiment dans le sillage d’une conception de la vie faite de compromis et de pis-aller. Protégé au fond par les codes de la comédie qui ne lui font jamais arriver des choses excessivement graves, notre héros se débat vaillamment au sein de cet édifice de contradictions personnelles, bâti sur ses propres lâchetés. Il est alors à la fois l’acteur et le spectateur de la farce qu’est devenu sa vie, puisque des femmes plus déterminées que lui l’en dépossèdent progressivement. A moins que sa trajectoire dramatique n’ait au contraire pour but de s’affranchir du chantage affectif de sa mère, en créant ce monstre aussi rigolo qu’imprévisible de la génitrice de substitution.

En fin de compte, la douceur de la mise en scène a beau lui dérouler le tapis rouge de l’éternel pardon, de sa part et envers lui, ce n’est pas pour autant que nous lui prévoyons un avenir parfaitement tranquille dans ce ménage aux fortes têtes, promptes à rechercher leur prochain cheval de bataille. Car en dessous de ses nombreux revirements négociés pas toujours avec une élégance narrative exceptionnelle, le récit sait poser des questions pertinentes sur la place de l’homme dans la société française d’aujourd’hui.

A bien y regarder, ils y sont quasiment tous mollement arrangeants, à l’image du patron de bistrot qui a hâte de passer la main, campé par Gustave Kervern. (D’ailleurs, est-ce pour travailler sur ce film-ci qu’il a fait faux bond à son compagnon artistique Benoît Delépine, qui a par conséquent sombré seul avec Animal totem ?) Alors qu’en face, ce sont les femmes qui mènent leurs hommes à la baguette, quitte à les exclure carrément de l’image, comme c’est le cas des maris des deux sœurs de Mehdi.

© 2025 Laurent Le Crabe / Ex Nihilo / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Quel beau dessert à notre couverture de la 26ème édition de l’Arras Film Festival que cette comédie infiniment plus douce qu’amère ! La Petite cuisine de Mehdi n’a certes pas la maestria narrative infuse et on pourrait considérer que son intrigue fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Mais en tant que divertissement plaisant, porté par un tour de force de Hiam Abbas et une belle prestation de Younès Boucif, le premier film de Amine Adjina vaut certainement le détour. Car les éléments abracadabrants de son histoire demeurent fidèlement au service d’un message transmis sans aucune lourdeur sur la difficulté et, pourtant, la nécessité de vivre une vie faite de métissages dans le monde multiculturel qui est le nôtre.

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