Arras 2025 : N121 Bus de nuit

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N121 Bus de nuit

France, 2025
Titre original : –
Réalisateur : Morade Aïssaoui
Scénario : Morade Aïssaoui, Kamel Guemra, Sledge Bidounga et Ludovic Zuili
Acteurs : Riadh Belaïche, Bakary Diombera, Gaspard Gevin-Hié et Paola Locatelli
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Genre : Thriller
Durée : 1h30
Date de sortie : 4 février 2026

3/5

Ça fait plaisir de constater que, dans toute sa richesse et sa variété de programmation, l’Arras Film Festival réserve également une petite place de choix au cinéma de genre ! De surcroît à une production française, ce qui mérite encore plus d’être souligné. Car autant nous ne sommes pas, mais vraiment pas, fans de trajets nocturnes en bus de nuit, aussi interminables que potentiellement périlleux, autant ce N121 Bus de nuit constitue indéniablement une bonne surprise à mi-chemin de notre couverture festivalière dans le Pas-de-Calais. Ce premier film n’a rien à envier, en termes d’efficacité, aux mastodontes américains au budget sans doute plus conséquent. Et sans vouloir y voir tout de suite le digne héritier de Speed de Jan De Bont, on ne peut pas nier le fait que le réalisateur Morade Aïssaoui a réussi son premier coup.

Pour cela, il y a essentiellement deux raisons. La première, c’est qu’en dépit de quelques libertés prises avec le monde réel – un bus de ligne, ça peut rouler toute une nuit sur l’autoroute sans devoir faire le plein et quid de la trace informatique laissée par nos trois lascars quand ils ont gentiment validé leur Passe Navigo en montant dedans ? –, le récit a de quoi convaincre par son rythme soutenu et sa gestion maîtrisée des moments de tension et de répit. Puis, dans toute sa frénésie de thriller haletant, il s’autorise à donner de la profondeur humaine à ses personnages, certes parfois de manière caricaturale, quoique toujours avec en arrière-pensée des enjeux plus larges qu’une simple course-poursuite à armes inégales. Un constat jamais plus vrai que lorsque la narration joue habilement sur les mécanismes d’identification avec des héros courant dangereusement le risque de basculer dans le camp antagoniste.

Synopsis : L’amitié d’enfance entre Aïssa, Oscar et Simon a jusqu’à présent résisté à toutes les épreuves que la vie dans la cité en région parisienne a pu leur infliger. Même si le premier est promis à un brillant avenir de footballeur, si le deuxième a beaucoup de mal à se remettre du décès de sa mère et si le troisième souffre de voir son frère aîné purger une longue peine de prison. Après une soirée entre potes en ville, ils prennent le bus de nuit N121, qui est censé les ramener chez eux. Mais leur cauchemar vient tout juste de commencer …

© 2025 Ripley Films / Cheyenne Fédération / Netflix France / Wild Bunch Distribution Tous droits réservés

Autant un film de genre sans temps morts qu’une évocation de la vie en banlieue, N121 Bus de nuit se débrouille très bien sur les deux tableaux. Certes, Morade Aïssaoui n’y réinvente pas la roue cinématographique. Mais dans les limites d’un film qui nourrit certains stéréotypes pour mieux les interroger par la suite, il se démarque par une rigueur tout à fait appréciable.

D’entrée de jeu, il présente les trois personnages principaux en nous révélant juste ce qu’il faut sur eux pour ne pas les considérer comme des clichés ambulants. Ainsi, Simon (Gaspard Gevin-Hié) endosse d’emblée le rôle d’élément apaisant à la fois dans le groupe d’amis et dans son foyer tronqué à cause du départ de son frère en taule. Pour Oscar (Bakary Diombera), les frustrations paraissent multiples et ne tarderont pas à se déchaîner. Toutefois, dans les deux cas, on ressent un certain soin dans l’écriture, afin de provoquer chez nous le genre de sympathie qui ne se transformera pas soudainement en jugement, une fois que la prémisse aura subi un retournement plutôt radical.

Quant à Aïssa, Riadh Belaïche dans son deuxième rôle majeur, trois ans après A la belle étoile de Sébastien Tulard, le joue avec une belle ambiguïté. Probablement le plus futé de la bande, il refuse pourtant longtemps de devenir le cerveau de cette opération nullement préméditée. Comme ses camarades, il improvise sans relâche. Mais contrairement à eux, il joue plus gros : à la fois son avenir de footballeur professionnel et une relation romantique qui a démarre sous de mauvais auspices. Ce n’est pas pour autant que Belaïche tire la couverture à lui, dans ce qui est en somme une pièce d’ensemble, où la nature inextricable de la situation oblige tout le monde à négocier sans cesse l’issue la plus favorable pour lui ou pour elle.

Cette situation tendue, parlons en justement. En en révélant le moins possible, bien sûr, comme l’ont fait avec un soin particulier le synopsis officiel et le teaser fraîchement diffusé. Ceci afin de ménager le suspense et la surprise jusqu’à la sortie du film dans près de trois mois. En même temps, ce triste concours de circonstances initial n’est là que pour mieux démarrer réellement l’intrigue sur les chapeaux de roue. Dès lors, il n’y a plus de retour en arrière possible. Or, cet emballement frénétique de la machine dramatique aurait pu être causé par toutes sortes d’incidents similaires, voire par des éléments fantastiques que vous y chercherez en vain.

Non, en parallèle d’un thriller de survie, Morade Aïssaoui orchestre ici un passage au crible de tout ce qui ne va pas dans la société française d’aujourd’hui. Le fait qu’il aurait pu tourner le même film, avec les mêmes enjeux sociaux, dix ou quinze ans plus tôt en dit hélas plus long sur l’inertie de l’ascenseur social dans notre cher pays que sur la pertinence du propos de N121 Bus de nuit.

Là où ce dernier s’écarte de la grisaille du désespoir, omniprésente dans les états d’âme de nos concitoyens, c’est en faisant d’hommes et de femmes globalement invisibles dans le cinéma français les héros discrets de son histoire. Avec une certaine maladresse, soit, mais aussi avec une sincérité qui sait rendre ses lettres de noblesse au personnel soignant, par exemple. De même, les personnages qu’on croyait depuis le début le plus fermement prisonniers de leur prédestination dramatique ont droit à quelques variations salutaires en cours de film. Encore et toujours selon l’optique sociale, peut-être un peu trop lourdement soutenue, que personne n’est ce qu’il semble être et qu’on a toutes et tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Néanmoins, cette décomposition systématique et, admettons-le, parfois un peu sommaire des stéréotypes tranche en bien avec le manichéisme outrancier que l’hypothétique pendant hollywoodien du dispositif voudrait en toute probabilité nous faire gober.

Conclusion

On n’osait plus y croire, mais le cinéma français est quand même capable de nous pondre des films de genre parfaitement calibrés et drôlement efficaces ! Ainsi, dans la droite lignée d’un Nid de guêpes de Florent-Emilio Siri et, plus récemment, d’un Vermines de Sébastien Vanicek, N121 Bus de nuit constitue un divertissement de haut vol qui cherche aussi, à sa façon, de nous faire réfléchir sur la France dans laquelle nous vivons. Certes, ce côté « bonne conscience de banlieue » est moins réussi que la partie d’action pure et dure du film. Mais il n’y a pas à tergiverser, Morade Aïssaoui est un réalisateur sur lequel il faudra compter à l’avenir, la digne relève d’un type de cinéma qu’on aimerait voir plus souvent sur grand écran, au lieu de constater en toute impuissance sa migration à sens unique vers les services de vidéo en ligne.

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