Test Blu-ray : Sinners

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Sinners

États-Unis : 2025
Titre original : –
Réalisation : Ryan Coogler
Scénario : Ryan Coogler
Acteurs : Michael B. Jordan, Miles Caton, Hailee Steinfeld
Éditeur : Warner Bros.
Durée : 2h17
Genre : Drame, Fantastique, Action
Date de sortie cinéma : 16 avril 2025
Date de sortie DVD/BR : 20 août 2025

Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience…

Le film

[5/5]

Sinners, c’est un peu comme si le cinéma américain avait décidé de se souvenir qu’il avait une âme. Pas une âme propre, bien sûr — ce serait trop simple — mais une âme cabossée, pleine de blues, de sang, de jumeaux hantés et de plans-séquences qui feraient passer Alfonso Cuarón pour un stagiaire en école de cinéma. Sinners, c’est l’anti-Black Panther, ou plutôt ce que Black Panther aurait pu être si Marvel n’avait pas eu la fâcheuse tendance à tout ramener à une origin story calibrée par des profs de marketing. Ryan Coogler, qui n’a jamais été aussi libre que dans Fruitvale Station, retrouve ici son Mojo, son groove, et son goût pour les récits qui sentent la terre, la sueur et les regrets.

Sinners ne commence pas, il s’installe. Comme une vieille chanson de Buddy Guy qu’on aurait oubliée au fond d’un tiroir, et qui revient vous mordre les mollets. Le film, qui suit deux frères jumeaux (Michael B. Jordan dans un double rôle qui rappellera forcément aux amateurs le Jean-Claude Van Damme de Double Impact), s’ancre dans l’Amérique des années 30 – une Amérique rongée par le racisme, la pauvreté, et une forme de magie noire qui n’a rien à voir avec Harry Potter. Car le Hoodoo, ici, n’est pas un folklore de pacotille : c’est une force, une mémoire, une malédiction. Et Sinners en fait un usage aussi subtil que viscéral, sans jamais sombrer dans le folklore de carte postale.

Ce qui frappe dans Sinners, c’est la manière dont Ryan Coogler parvient à mêler un esprit résolument « bande dessinée » et l’Histoire avec un grand H, sans jamais tomber dans le pastiche. Les plans-séquences musicaux — notamment celui du juke joint, où la caméra virevolte entre les corps comme une mouche alcoolique — sont d’une ambition folle. On pense à Birdman, mais aussi à Get Out, pour la manière de faire glisser le réel vers l’étrange sans prévenir. Le film ne cherche pas à être réaliste, il cherche à être vrai. Et dans cette vérité, il y a du blues, du sang, et des silences qui en disent plus long que n’importe quel dialogue.

Sinners est aussi un film sur la culpabilité, sur les choix impossibles, sur ce que l’on transmet malgré soi. Les jumeaux Smokestack ne sont pas des héros, ce sont des hommes qui tentent de survivre à leur propre passé. Et dans cette tentative, ils croisent des créatures, des fantômes, des femmes qui en savent plus qu’eux – et qui, pour une fois, ne sont pas là juste pour faire joli dans le décor. Même si, soyons honnêtes, certaines d’entre elles sont filmées avec une sensualité certaine. Mais Sinners ne tombe jamais dans la misogynie gratuite : il joue avec les codes, les détourne, les explose, puis les recolle avec du blues et du sang. Cet élément est d’autant plus remarquable que le film s’impose comme une grosse claque visuelle : le passage du format CinemaScope au plein cadre IMAX n’est pas un gadget : c’est une respiration, une manière de dire que le monde s’élargit, que les ténèbres ne sont jamais loin.

On pourrait parler des influences de Sinners – il y a un peu de Lovecraft Country là-dessous, voire même de Nope pour le goût du spectacle étrange – mais ce serait réduire le film à une somme de références. Et le film de Ryan Coogler est beaucoup plus qu’un patchwork : c’est une œuvre qui respire, qui transpire même. Et dans un Hollywood qui a trop souvent peur de son ombre, ça fait du bien. En élargissant le propos, Sinners interroge également la mémoire, la transmission, la place de l’Art dans la reconstruction identitaire. Le blues, omniprésent, est le cœur du film, son rythme, sa douleur. Et dans cette douleur, il y a une beauté rare, une forme de rédemption. Ryan Coogler filme les corps comme des paysages, les visages comme des cartes, et les silences comme des cris. C’est beau, c’est fort, et ça donne envie de revoir le film en boucle, juste pour le plaisir de se perdre dans ses méandres.

Autant dire donc que Sinners est une réussite totale. Un film qui bouscule, qui dérange, qui rappelle aussi que le cinéma peut être une expérience, une transe, une danse avec le diable. Et si certains critiques y verront un péché d’orgueil, d’autres y verront une bénédiction. Comme quoi, tout dépend de la foi — ou du niveau de tolérance au mélange des genres totalement décomplexé que nous propose le film. Mais là encore, Sinners sait parfaitement doser ses effets. Un vrai petit miracle, et assurément l’un des plus grands films – si ce n’est le plus grand – que l’on ait pu découvrir en 2025 sur grand écran.

Le Blu-ray

[4/5]

Le Blu-ray de Sinners, disponible depuis quelques mois sous les couleurs de Warner Bros., nous propose une image qui alterne entre le format CinemaScope et le plein cadre IMAX, avec une fluidité qui ferait pâlir les monteurs de Tenet. Le rendu est globalement très bon, avec une définition précise et une gestion des couleurs qui respecte la palette chaude et terreuse du film. En revanche, les contrastes montrent parfois des signes de faiblesse, notamment dans les scènes nocturnes ou les séquences de brouillard mystique. Rien de rédhibitoire, mais on devine que la version 4K devrait corriger ces petits écarts. Côté son, les mixages Dolby Atmos en VF et VO sont tous deux excellents, avec une spatialisation immersive et une dynamique qui donne toute sa puissance aux séquences musicales. Mention spéciale à la VO, qui restitue avec finesse les inflexions des dialogues et les textures du blues.

Les suppléments du Blu-ray de Sinners ne se contentent pas de faire le service minimum : ils creusent, ils fouillent, ils chantent, ils saignent. On commencera avec un passionnant making of (34 minutes), qui évite les sourires forcés et les anecdotes de cantine. Ryan Coogler, en mode introspectif, revient sur son oncle disparu, le blues, le Mississippi, et cette idée que le cinéma peut être un exorcisme. Il évoquera également l’importance de sa femme Zinzi dans le projet, et le sujet donnera largement la parole à la chef déco Hannah Beachler, à la chef op Autumn Durald Arkapaw, ainsi qu’à une flopée de techniciens qui ont visiblement bossé avec leurs tripes. Le tout est illustré par des photos perso, des images de tournage, et une sincérité rare. On continuera ensuite avec une featurette consacrée à la musique du film (14 minutes). Ryan Coogler et Ludwig Göransson, rejoints par Boo Mitchell et Buddy Guy (qui joue le vieux Sammie dans le film) y parlent musique avec respect et passion. On poursuivra ensuite avec une featurette sur les jumeaux Smokestack (11 minutes), qui donnera la parole à Michael B. Jordan sur son double rôle.

On continuera ensuite avec un sujet dédié aux Esprits du Sud (8 minutes), qui nous proposera une incursion dans le Hoodoo avec Yvonne Chireau, prof de religion et de Black studies, Enfin, on poursuivra avec une featurette sur les effets spéciaux (11 minutes), qui ravira les amateurs de fluides corporels et de prothèses qui bavent. Mike Fontaine, maquilleur en chef, montrera ses croquis, ses tests, ses morsures, ses pustules, et ses litres de faux sang. C’est gore, c’est fun, et c’est fait avec amour. On terminera enfin avec une poignée de scènes coupées (18 minutes), présentées en Haute-Définition, avec les mêmes variations de format que le film. Parmi les sept séquences, on retiendra celle durant laquelle Slim joue « My Preachin’ », et celle durant laquelle Joan observe Cornbread ; deux moments suspendus qui auraient probablement pu enrichir le film sans le ralentir. Les autres scènes, plus anecdotiques, permettent de mieux cerner les personnages secondaires et de comprendre certains choix de montage. Une belle interactivité qui prolonge l’expérience du film et donne envie de replonger dans cet univers où le diable danse, où le blues pleure, et où le cinéma retrouve ses tripes.

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