Critique : Brooklyn Village (Deuxième avis)

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Brooklyn Village

brooklyn-village-afficheEtats-Unis : 2016
Titre original : Little Men
Réalisation : Ira Sachs
Scénario : Ira Sachs, Mauricio Zacharias
Acteurs : Greg Kinnear, Paulina Garcia, Theo Taplitz, Michael Barbieri
Distribution : Version Originale / Condor
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie :21 septembre 2016


Note : 3/5

Agé de 50 ans, le réalisateur américain Ira Sachs a commencé sa carrière à Memphis, où il est né, et il la continue à New-York où il habite dorénavant. Cette figure du cinéma indépendant américain a tourné son premier long métrage il y a 20 ans et Brooklyn Village n’est que son 6ème long métrage. Cette production réduite en nombre ne l’a pas empêché de glaner des prix importants : Grand Prix du Jury au festival de Sundance 2005 pour Forty Shades of Blue, Grand Prix du Festival du cinéma américain de Deauville 2016 pour Brooklyn Village.

Synopsis : Une famille de Manhattan hérite d’une maison à Brooklyn, dont le rez-de-chaussée est occupé par la boutique de Leonor, une couturière latino-américaine. Les relations sont d’abord très cordiales, notamment grâce à l’insouciante amitié qui se noue entre Tony et Jake, les enfants des deux foyers. Mais le loyer de la boutique s’avère bien inférieur aux besoins des nouveaux arrivants. Les discussions d’adultes vont bientôt perturber la complicité entre voisins.

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Une relation sympathique qui se détériore

Brooklyn, un des cinq arrondissements de New-York, une ville dans la ville, très cosmopolite et en plein essor. Dans cet arrondissement de Brooklyn, un quartier qui, depuis quelques années, est devenu particulièrement branché, Williamsburg. C’est dans ce quartier que vivait le père de Brian Jardine. Brian est un comédien quadragénaire dont on ne saura jamais si il se cantonne à jouer dans des productions peu rémunératrices par manque d’ambition ou de talent, ou par désir de refuser toute compromission artistique. Il est marié à Kathy, une psy, et le couple a un fils, Jake, un adolescent de 13 ans particulièrement doué pour le dessin et la peinture et dont le caractère introverti lui donne beaucoup de difficultés à se faire des copains. Lorsque Brian hérite de l’appartement de son père et de la boutique louée à Leonor Calvelli, une couturière d’origine chilienne qui joint difficilement les deux bouts en cousant et en vendant des robes, la décision est vite prise par Brian et Kathy de quitter leur petit appartement de Manhattan pour venir s’installer dans ce quartier si sympathique. Tout aussi sympathique est l’accueil que réserve Leonor à la famille de son nouveau propriétaire ainsi que la relation très forte qui se noue très vite entre Jake et Tony, le fils de Leonor, 13 ans également, tout aussi extraverti que Jake est renfermé. Deux graines d’artistes qui se verraient bien intégrer la prestigieuse « Fiorello H. LaGuardia High School of Music & Art and Performing Arts » de Manhattan, Jake dans la section des Arts Plastiques, Tony dans celle de l’Art dramatique. Malheureusement, cette ambiance si sympathique va se détériorer en ce qui concerne les adultes lorsque va apparaître au grand jour la différence énorme entre le loyer payé pour la boutique par Leonor et le prix du marché pour un tel emplacement dans ce quartier de Williamsburg.

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Des comportements qui se justifient

Comme dans l’excellent Love is Strange, son film précédent, Ira Sachs s’intéresse dans Brooklyn Village aux répercussions de problèmes économiques sur la vie intime de ses personnages. Ici, deux types de visions s’affrontent, celles des adultes et celles de Jake et Tony, les deux adolescents. On peut reconnaître au réalisateur et à Mauricio Zacharias, son co-scénariste, l’intelligence de donner à tous ces personnages de bonnes raisons à leur comportement. Brian et Kathy ne roulent pas sur l’or, le métier de Brian rapportant très peu au ménage : difficile, dans ces conditions, de ne pas penser à demander qu’un loyer se rapprochant davantage du prix du marché soit versé par leur locataire. Et que dire de la motivation d’Audrey, la sœur de Brian, qui, contrairement à son frère, ne profite même pas de l’appartement hérité de leur père. Mais, d’un autre côté, Leonor dit probablement la vérité en affirmant qu’elle s’est davantage occupée des vieux jours de leur père que Brian et Audrey et que son ancien propriétaire refuserait que son loyer soit multiplié par 3, ou, si elle ne peut assumer cette augmentation, que son bail soit résilié. Quant à Jake et Tony, c’est leur amitié qui est en jeu et il leur parait normal de ne plus adresser la parole à ces adultes qui ne sont bons qu’à créer des histoires et à interférer sur leur vie personnelle. Tous les comportements pouvant se justifier, le film présente donc l’intérêt de mettre les spectateurs face à leurs propres valeurs en ce qui concerne l’argent, la générosité et l’amitié.

Par contre, on peut reprocher à Ira Sachs et à Mauricio Zacharias de nous plonger dans une situation mal ficelée au départ : un partage entre Brian et sa sœur de toute évidence inégal ; la situation financière de Brian et Kathy présentée comme peu brillante : mais alors, dans quelle mouise ils devaient être avant de loger gratuitement dans l’appartement dont Brian a hérité !

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Deux petits hommes

Bien que Brooklyn Village soit moins abouti que Love is Stange, on retouve dans ce 6ème film d’Ira Sachs l’art dont il fait preuve pour s’immiscer en douceur dans l’intimité de ses personnages. On peut regretter que le distributeur ait choisi de donner à ce film un titre qui insiste sur la vie de village qu’on peut trouver dans certains quartiers de New-York plutôt que de garder l’esprit du titre original, Little Men, titre mettant l’accent sur l’histoire de ces deux « petits hommes » qui voient leur amitié naissante chamboulée par un différend entre adultes qui les dépasse. Dans ce film, ce sont clairement Jake et Tony qui sont les personnages principaux, au point que le personnage d’Audrey, dont l’importance est pourtant majeure dans le différend entre Leonor et la famille Jardine, n’est que très vaguement esquissé. Le rôle de Jake, dont, tout au long du film, on se demande si il ne ressent pas plus que de l’amitié pour Tony, est interprété par Theo Taplitz, un adolescent de 13 ans déjà scénariste, réalisateur et acteur de six court-métrages. Le rôle de Tony, qui, manifestement, souffre de l’absence de son père, est interprété par Michael Barbieri qu’on retrouvera l’an prochain dans  Spider-Man : Homecoming. 

C’est une grande star du théâtre et du cinéma chilien (Gloria, Voix Off), Paulina Garcia, qui interprète le rôle de Leonor, celui de Brian étant tenu par Greg Kinnear, interprète de Richard, le père de famille, dans Little Miss Sunshine. On a plaisir à retrouver, cette fois ci dans un second rôle, le comédien d’origine britannique Alfred Molina, si touchant dans Love is Strange.

 

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Conclusion

Il y a deux ans, Love is Strange, le film précédent d’Ira Sachs, s’intéressait à un couple d’homosexuels âgés dont la vie était perturbée par un problème économique. Brooklyn Village, dont le titre original, Little Men, est beaucoup plus parlant, s’intéresse aux répercussions sur la vie de deux jeunes adolescents d’un problème économique et de ses conséquences sur le comportement de leurs parents respectifs. Dommage que quelques imperfections dans le scénario nuisent à la crédibilité de ce film qui, par ailleurs, permet aux spectateurs de se situer à l’intérieur d’un triangle dont les sommets sont l’argent, la générosité et l’amitié.