Critique Express : Se souvenir des tournesols

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Se souvenir des tournesols

France : 2025
Titre original : _
Réalisation : Sandrine Mercier, Juan Gordillo Hildago
Scénario : Sandrine Mercier, Juan Gordillo Hildago
Interprètes : Anaïs Lemasson, Thierry Duffau, Banda La Chicuelina
Distribution : Bodega Films
Durée : 1h27
Genre : Documentaire
Date de sortie : 14 mai 2025

4/5

Synopsis : Partir ou rester ? C’est le dilemme d’Anaïs, 17 ans, profondément attachée à son Gers natal dans le Sud-Ouest de la France et à ses amis de la fanfare. Son bac en poche, elle devra quitter sa famille et la vie à la campagne. Au fil de ce dernier été, Anaïs prend conscience de ce qu’elle aime et doit laisser derrière elle : la musique, les fêtes de village, la beauté des champs de tournesols… Mais comment avoir un avenir en pleine « diagonale du vide » ?

Should I stay or should I go ?

« Should I stay or should I go ? », « Devrais je rester ou devrais je partir ? », cette question que se posent les Clash dans une chanson de 1982 qu’on entend à 3 reprises dans le film est au cœur du magnifique documentaire réalisé par les toulousain(e)s Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hildago, à moins que la question ne soit plutôt « Ai je la possibilité de rester ou ne puis je pas faire autrement que de partir » ? Le contexte de la chanson des Clash était un problème de couple, celui du film trouve sa place dans les choix offerts aux adolescent(e)s qui arrivent à la fin de leurs études secondaires après avoir passé leur jeunesse à la campagne et, plus encore, dans ce qu’on appelle parfois, de façon péjorative, « La diagonale du vide », cette bande du territoire français allant du nord-est au sud-ouest de la France, de la Meuse aux Landes, où les densités de population sont relativement faibles par rapport au reste du pays. C’est à Nogaro, un bourg rural du Gers abritant un peu plus de 2000 habitants, que Sandrine Mercier et Juan Gordillo Hildago ont choisi d’installer leur caméra durant l’année 2023, depuis la coupe des vignes en hiver jusqu’aux vendanges automnales. Avec 31 habitants au km2, le Gers fait partie de cette « diagonale  du vide ». Mais  est-ce aussi vide que cela ? Deux personnages particulièrement lumineux ont été choisis pour incarner cette localité et servir de fil rouge au film. Thierry Duffau a largement passé l’âge du choix concernant son avenir : excellent trompettiste, il a étudié au conservatoire de Bordeaux, nombre de ses anciens condisciples font partie de grands orchestres, mais lui a choisi de rester à Nogaro et de devenir, comme il le dit lui-même, « musicien de campagne ». Professeur de musique, il dirige également avec passion la banda locale, la Banda Chicuelina, dont les 70 musicien(ne)s qui la composent animent toutes les fêtes locales. Il se sent heureux de la liberté dont il jouit à Nogaro, alors que ses anciens condisciples sont souvent en souffrance musicale. Certes, ils jouent Bach et Mozart mais, comme il dit, il leur manque quelque chose. Flutiste dans la banda,  Anaïs Lemasson, elle, avait 17 ans lorsque le film a été tourné, 2023 était pour elle l’année du bac et son souhait, en cas de réussite, est d’aller à Pau où, au sein de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, elle pourra poursuivre des études d’espagnol. Pau, ce n’est après tout qu’à 90 kilomètres en voiture de Nogaro et il n’est pas indispensable d’avoir passé sa jeunesse dans la « diagonale du vide » pour devoir faire un tel déplacement afin de suivre des études universitaires. En fait, ce qui est sans doute le plus difficile à assumer pour Anaïs, c’est le fait de quitter, peut-être pour toujours, ses ami(e)s d’enfance, qui, elles et eux, vont aller poursuivre leurs études, qui à Tours, qui en Vendée, qui à Toulouse. Qui, parmi les camarades d’Anaïs, reviendra plus tard s’installer à Nogaro ? Et puis Pau, c’est déjà la ville, avec une population de l’agglomération atteignant en nombre près de 100 fois celle de Nogaro. Qu’on aime ou pas cette situation, fini le fait de connaitre presque tous les gens qu’on rencontre et d’être connu par eux. Fini le bonheur d’être réveillé par le chant des oiseaux, phénomène particulièrement apprécié par un adolescent de Nogaro, un autre affirmant qu’on parle de « diagonale du vide » parce que les gens ne savent pas s’occuper.

Se souvenir des tournesols commence par des images de films super 8 montrant la réalisatrice lorsqu’elle était très jeune avec un commentaire de celle-ci en voix off expliquant qu’à 18 ans elle n’avait qu’une idée en tête,  quitter la « cambrousse » où elle avait passé sa jeunesse au milieu des poules, se persuadant que, pour réussir, il lui fallait partir de son village d’origine, s’interrogeant plus tard sur « c’est quoi, réussir sa vie » et  finissant par décider « de poser sa caméra là où il n’y a soi-disant rien à voir » afin d’essayer d’apporter une réponse à son interrogation. Cette voix-off, on ne la retrouvera qu’à la toute fin du film, en guise de conclusion, alors qu’Anaïs investit son logement d’étudiante à Pau. Entre temps, le film aura déroulé de nombreuses saynètes prises sur le vif sur ce qui se passe à Nogaro et dans les alentours, que ce soit dans le cadre du travail dans les vignes et dans les champs de maïs, ou dans celui des loisirs, repas en plein air, vaches landaises ou passage de la caravane publicitaire du Tour de France, entrecoupées de magnifiques images en plan fixe, de véritables photographies parfois prises à partir de drones et reprenant souvent ce concept de diagonale. Véritable ciment de la population d’un gros village (ou d’une petite ville) comme Nogaro, la Banda Chicuelina est très souvent présente, parfois accompagnée de la Banda Les Dandy’s de l’Armagnac, en provenance de Plaisance et Aignan, deux localités proches de Nogaro, ce qui nous permet de vérifier à chaque fois le côté à la fois charismatique et modeste de Thierry et le charme que dégage la grâce rayonnante d’Anaïs. On est un peu surpris que le rugby n’apparaisse jamais dans le film alors qu’on est dans la ville de naissance de Thierry Lacroix, alors qu’on est dans le département dont sont originaires Antoine Dupont, Grégory Aldritt, Anthony Jelonch et Pierre Bourgarit, 4 membres actuels de l’Equipe de France de rugby. On remarque (avec une certaine tristesse !) que, petit à petit, l’accent local a tendance à disparaitre chez les jeunes. Par contre, lors d’une pause dans des travaux des champs, ce sont bien des chocolatines qui sont proposées et non des pains au chocolat. Ce film a été magnifiquement filmé par Juan Gordillo Hildago dans un format cinémascope qui permet, entre autre, d’avoir sur certains plans une représentation des bandas avec tous les membres alignés côte à côte, et on en ressort avec un sentiment de nostalgie tempéré par la joie de vivre communicative dans lequel il baigne du début jusqu’à la fin.

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