Arras 2018 : Une intime conviction

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Une intime conviction

France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Antoine Raimbault
Scénario : Antoine Raimbault & Isabelle Lazard
Acteurs : Marina Foïs, Olivier Gourmet, Laurent Lucas, Jean Benguigui
Distribution : Memento Films
Durée : 1h50
Genre : Drame judiciaire
Date de sortie : 6 février 2019

Note : 3/5

Le système judiciaire en France fonctionne-t-il ? Il faut croire que oui, puisque on n’en entend que rarement parler dans les médias, lors des initiatives gouvernementales qui cherchent à trop bousculer le statu quo ou bien quand telle ou telle affaire ayant défrayé la chronique arrive enfin devant les juges. Une chose est sûre cependant, c’est que l’appareil judiciaire est lourd et lent, avec un lien de cause à effet direct entre ces deux inconvénients. Dans son premier long-métrage, présenté en avant-première à l’Arras Film Festival, Antoine Raimbault se penche sur le procès de Jacques Viguier, un crime supposé qui, pendant une dizaine d’années, avait soumis aux rouages imperturbables de la justice un père de famille accusé du meurtre de sa femme. La part de fiction est volontairement grande dans Une intime conviction, le récit cadre – qui est en fait plus l’action principale – autour de l’amie de la famille de l’accusé, qui s’investit corps et âme afin de prouver son innocence, ayant été inventé de toutes pièces. Or, pour une fois, le subterfuge romanesque du personnage annexe, qui nous donne un accès privilégié à l’affaire à proprement parler alors qu’il n’y joue qu’un rôle secondaire, fonctionne, aussi grâce à l’interprétation convaincante de Marina Foïs. Car c’est elle qui impose en quelque sorte sa loi ici, quitte à faire autant de bien que de mal par son acharnement pas toujours très réfléchi. En même temps, la description de son emploi de justicière bénévole ne fait pas abstraction du prix qu’elle aura à payer pour son engagement, selon la logique morale d’une intrigue somme toute assez conventionnelle.

Synopsis : Depuis qu’elle a suivi de près le procès en assise de Jacques Viguier, la cuisinière Nora est convaincue de son innocence. Quand le parquet fait appel du premier acquittement, elle met tout en œuvre pour trouver un avocat chevronné pour le père de l’amie qui aide son fils à faire ses devoirs. Son choix se porte sur Eric Dupond-Moretti, qui n’exprime pourtant initialement aucun intérêt à s’investir dans cette affaire. Il finit par accepter, à condition que Nora, mère célibataire, écoute et retranscrit des dizaines d’heures d’écoutes téléphoniques enregistrées auprès de Olivier Durandet, l’amant de la victime qui avait organisé dix ans plus tôt toute une campagne de fausses rumeurs pour inculper le mari.

Obsession légale

Tandis que les incursions du cinéma hollywoodien dans les salles d’audience des tribunaux ont toujours quelque chose du policier grand-guignolesque, truffé de coups de théâtre et, dans le meilleur des cas, de tentatives de dissection de l’âme américaine, le cinéma français aborde bien plus sobrement ce microcosme aux règles singulières. Il y est davantage question de misère sociale et de moyens insuffisants pour exercer convenablement son métier, au lieu de théories du complot nébuleuses et autres stratagèmes machiavéliques pour influencer, voire discréditer les jurés. Une intime conviction s’inscrit plutôt docilement dans cette tradition du drame judiciaire consciencieux, qui s’intéresse moins aux détails sordides d’un fait divers qu’aux conditions de travail précaires d’une profession essentielle pour un état de droit. Sa structure dramatique repose ainsi autant sur l’investissement disproportionnel du personnage principal que sur la nécessité de son action, face aux juristes professionnels écartelés entre plusieurs procès et donc constamment débordés, auxquels Olivier Gourmet prête sa carrure et son aura comme toujours à mi-chemin entre la solidité et l’implosion. Et même, le portrait de l’accusé passe entièrement à l’arrière-plan ici, en parfaite conformité avec l’interprétation effacée de Laurent Lucas, au profit de la frénésie de Nora, a priori incapable de jongler avec sa vie privée et sa double casquette professionnelle, trop hâtivement vissée sur sa tête ahurie par tant de responsabilités.

Fais ton boulot ou casse-toi !

Les motivations réelles du personnage principal, une femme dont la vie est déjà assez chargée avant tout ce cirque pour qu’elle se sente obligée de chronométrer en quelque sorte ses ébats amoureux sous la douche, restent globalement assez floues. Une révélation amenée de façon presque anodine à mi-parcours n’y change pas grand-chose. L’exploit de la mise en scène et, dans une mesure considérable, du jeu de Foïs consiste alors à nous faire adhérer au respect inconditionnel et même compulsif de la décision qu’elle avait prise un soir fatidique dans le lobby d’un hôtel, quand l’avocat lui a demandé de l’assister dans l’exploitation des enregistrements des écoutes. Auparavant, Nora nous avait été présentée comme quelqu’un d’insistant, un peu vulgaire sur les bords dans son entêtement à plaider sa cause devant son futur allié et patron officieux, agacé par tant d’obstination non sollicitée. Le motif de cette persévérance malgré et contre tout se tissera tel un fil rouge tout au long du récit, jusqu’à en devenir sa raison d’être principale. Bientôt, le sort de l’accusé y importera moins que celui de son avocate de l’ombre, incapable de décrocher alors que sa vie d’avant est en train de s’écrouler autour d’elle. C’est alors une forme de dépendance qui est mise sur le banc des accusés : d’abord la dépendance de s’investir sans arrière-pensées dans une cause, puis celle du besoin vital de se sentir aux commandes d’une affaire si propice à la récupération par des illuminés plus ou moins dangereux, parce qu’elle regorge de questions laissées sans réponse.

 

Conclusion

La sortie de Une intime conviction n’aura certainement pas pour conséquence de bouleverser le système judiciaire français de fond en comble ou de rouvrir bon nombre d’affaires à l’argumentation bancale de la part de l’accusation. C’est néanmoins un premier film solide, qui permet à son actrice principale de briller dans un rôle pour le moins ambigu, que Marina Foïs ne cherche nullement à embellir artificiellement ou à rendre plus héroïque qu’il n’est. Il s’agit du constat poignant d’une perte de repères potentiellement néfaste. La nature altruiste de cette dernière n’occulte jamais le comportement pathologique de cette femme, décidée coûte que coûte à sauver un homme, à qui – comble de l’ironie – elle et sa croisade restent complètement indifférentes.

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