Critique : Un Américain bien tranquille (Joseph L. Mankiewicz)

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Un Américain bien tranquille

États-Unis, 1958

Titre original : The Quiet American

Réalisateur : Joseph L. Mankiewicz

Scénario : Joseph L. Mankiewicz, d’après le roman de Graham Greene

Acteurs : Audie Murphy, Michael Redgrave, Claude Dauphin, Giorgia Moll

Distribution : Swashbuckler Films

Durée : 2h02

Genre : Drame

Date de sortie : 20 mars 2019 (ressortie)

3/5

L’écrivain Graham Greene, grand moralisateur de la littérature anglo-saxonne du 20ème siècle, n’a pas eu beaucoup de chance avec les adaptations au cinéma de son drame à l’exotisme poisseux. Ni cette version-ci de Un Américain bien tranquille, ni celle entreprise par Phillip Noyce en 2002 n’a en effet réellement su nous convaincre. Sans doute, ce mélodrame sur les revers d’une ambition de colonisation romantique et idéologique a-t-il trop tendance à brouiller son propos, à créer des chimères de prise de conscience et de responsabilité afin de mieux les démonter par la suite, pour susciter sans réserve notre enthousiasme. Cette réticence presque maladive à choisir son camp, c’est-à-dire à trancher en faveur d’un antagonisme classique, tout désigné dans le contexte manichéen des années 1950, en plein essor de la Guerre froide, elle fait en même temps tout l’intérêt d’un film, qui ne semble à première vue pas être tout à fait à la hauteur de la filmographie d’un réalisateur aussi légendaire que Joseph L. Mankiewicz. Néanmoins, l’intelligence malicieuse de ce dernier s’y affiche pleinement, à la fois dans le maniement sophistiqué de son scénario, passablement bavard, et par le biais du commentaire éminemment politique qu’il y distille à l’égard d’une culture de l’ingérence dont ni les États-Unis, ni le Royaume-Uni ou toute autre puissance étrangère ne devraient être fiers.

© Swashbuckler Films Tous droits réservés

Synopsis : En 1952, la fête du Nouvel An chinois à Saigon est troublée par la découverte du corps d’un jeune Américain, assassiné alors qu’il était arrivé quelques mois plus tôt seulement pour découvrir ce pays en guerre entre les forces coloniales françaises et des troupes communistes. Le journaliste anglais Fowler est convoqué par le commissaire Vigot pour identifier le corps et fournir d’éventuels indices sur les probables meurtriers. Il se souvient alors de ses rapports conflictuels avec la victime, qui n’avait pas tardé à lui disputer les faveurs de sa compagne autochtone Phuong qu’il était sur le point d’emmener avec lui au Texas et d’épouser.

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L’infinie richesse de la respectabilité

La réputation américaine n’a pas attendu l’avènement de la présidence Trump pour être sérieusement mise en question par ses alliés. Une certaine prudence s’impose en fait, lorsqu’on cherche à peser le pour et le contre d’une politique étrangère, qui n’a jamais eu peur d’une ingérence musclée pour asseoir une position de dominance économique et culturelle sans partage. Sous couvert d’une promotion idéalisée de la démocratie – de la part d’un pays gouverné par des institutions au degré démocratique discutable, soit dit en passant –, les États-Unis ont fait avancer leurs pions depuis des décennies sur l’échiquier international, avec les conséquences globalement néfastes qu’on connaît pour les peuples ainsi envahis sur la douce mélodie d’une liberté de pacotille. Au moment de la production de Un Américain bien tranquille, le Vietnam n’était pas encore le théâtre du grand désenchantement de l’armée américaine. Cela n’empêche pas le scénario de concocter un stéréotype de l’Américain par excellence : courtois et un peu paumé en apparence, mais susceptible de tirer les ficelles d’une stratégie plus fourbe et intéressée que tous les discours de propagande sur une qualité de vie forcément meilleure sur le sol américain réunis. Après, est-ce que ce personnage tellement passe-partout qu’il ne dispose même pas d’un nom est vraiment un loup entré sournoisement dans la bergerie ? L’intrigue se garde bien de nous donner quelque certitude que ce soit à ce sujet. Cependant, il est à noter que ce rôle est interprété probablement à dessein par un acteur plutôt fade et insignifiant, Audie Murphy préparant magistralement le terrain pour le nullement plus excitant Brendan Fraser dans le remake de Phillip Noyce.

© Swashbuckler Films Tous droits réservés

Fatigué de la tromperie

La structure narrative du retour en arrière n’instaure en effet pas les mêmes repères ici que dans Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, par exemple, le narrateur flottant sans vie dans la piscine de ce film-là étant ici remplacé par une voix off aussi omniprésente, quoique l’expression d’un cynisme à peine larvé de la part de Fowler. Or, autant Michael Redgrave maîtrise à la perfection l’emploi de l’homme qui s’accroche tel un forcené aux rares acquis auxquels son âge et son statut social lui permettent encore de prétendre, autant il n’est, lui aussi, qu’une pièce dans le puzzle que le récit tente d’assembler. Comme souvent chez Mankiewicz, il n’y a aucun gagnant clair et net dans cette sinistre affaire d’une mort annoncée, seulement des participants passifs, terrorisés par la vitesse à laquelle le malheur sous toutes ses formes se fraye son chemin à travers un dédale de ruses perfides. Ainsi, le commissaire, interprété avec un flegme notable par Claude Dauphin, a beau avoir arrêté tous les suspects habituels et probables, il n’en tirera guère une plus grande satisfaction que le journaliste anglais irrémédiablement blasé, nulle part chez lui et donc condamné à finir seul. En dehors de tout coloris propre à l’époque, dont l’aspect le plus fâcheux est le fait que l’objet asiatique des désirs y est joué par une actrice italienne, c’est ce sentiment qui persiste après nos retrouvailles avec ce film, que la seule présence d’étrangers dans des destinations soi-disant exotiques en change forcément la donne, rarement pour le meilleur.

© Swashbuckler Films Tous droits réservés

Conclusion

Un Américain bien tranquille n’est certainement pas un film majeur dans l’illustre filmographie de son réalisateur. Joseph L. Mankiewicz sait toutefois y rester fidèle à sa vision du monde – à défaut de respecter celle, plus édifiante, de Graham Greene –, qui s’emploie à disséquer les imperfections de notre civilisation sur le ton d’un sarcasme sophistiqué. Pari plutôt réussi avec cette histoire dont l’essence, les fléaux de l’ingérence dans les préoccupations internes d’un pays, peu importe qu’elle soit bien intentionnée ou au contraire calculée de façon machiavélique, reste hélas d’une actualité brûlante jusqu’à ce jour.

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