Critique : Sorcerer

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Sorcerer Le Convoi de la peur

Etats-Unis, 1977
Titre original : Sorcerer
Réalisateur : William Friedkin
Scénario : Walon Green, d’après un roman de Georges Arnaud
Acteurs : Roy Scheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal, Amidou
Distribution : La Rabbia / Bac Films
Durée : 2h02
Genre : Thriller
Date de sortie : 15 juillet 2015 (Reprise)

Note : 3,5/5

La filmographie de William Friedkin est ponctuée d’œuvres qui n’ont pas su tenir toutes leurs promesses, d’un point de vue soit artistique, soit commercial. Depuis Les Garçons de la bande, l’un des premiers films à oser présenter des personnages homosexuels sous un jour plutôt positif, quoique désespérément caricatural, jusqu’à ses deux derniers films, Bug et Killer Joe qui n’ont pas enthousiasmé Hollywood alors qu’ils montraient une vigueur créatrice insoupçonnée chez le réalisateur bientôt octogénaire, en passant par le coup double de succès démesurés de French Connection et L’Exorciste, puis un autre démêlé avec la communauté homosexuelle autour de Cruising et la survie de sa carrière sous perfusion grâce au soutien de son épouse, dirigeante de Paramount, le parcours en dents de scie du réalisateur est presque plus passionnant que ses films pris séparément. Sa cause célèbre préférée est sans doute Sorcerer, qui était initialement sorti en France sous le titre Le Convoi de la peur, et que Friedkin a soigneusement restauré pour le présenter fièrement par exemple au festival « Toute la mémoire du monde » à la Cinémathèque Française en décembre 2013. Et en effet, il y a de quoi être fier d’un film qui est bien plus complexe et énigmatique que ne le laisse supposer son statut de remake du classique du film d’aventure français Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot.

Synopsis : Le tueur mexicain Nilo, le terroriste palestinien Kassem, le banquier français Victor Manzon et le chauffeur américain Jackie Scanlon ont tous dû fuir précipitamment leur pays pour se réfugier dans une petite ville au fin fond de l’Amérique latine. A l’exception de Nilo, ils y travaillent tous pour une compagnie pétrolière américaine, qui leur paie une misère et les maintient dans un état de pauvreté et de résignation sans espoir de retour vers leur ancienne vie plus confortable. Pourtant, suite à l’explosion d’un puits de pétrole à quelques centaines de kilomètres du village, un convoi spécial est organisé afin d’y acheminer des caisses de nitroglycérine, nécessaires pour arrêter l’incendie. Les quatre hommes sont répartis en tant que chauffeurs chèrement payés sur deux camions, qui partiront au petit matin sur les routes cahoteuses en pleine jungle amazonienne.

Une aventure de cinéma singulière

Plusieurs films fort différents se cachent au sein de Sorcerer. Tandis que l’original se focalisait essentiellement sur la course haletante aux nombreux revirements, plus intenses les uns que les autres, le transport des explosifs prend ici presque une place secondaire. L’introduction longue et minutieuse, tout comme le quotidien tristement routinier dans la petite ville délabrée, prennent une part importante dans la durée d’un film qui change de vitesse à intervalles réguliers. Ce déplacement tout à fait volontaire du cœur du récit vers une réflexion sur le fond, au détriment de sensations plus accessibles dans l’immédiat, enrichit le ton du film, tout en le rendant moins viscéral. Dès lors, son propos ne relève plus de l’action divertissante, sans lien intentionnel avec la situation géo-politique à l’époque de la sortie du film, mais au contraire d’une prise de position assez intrépide de la part d’une production, qui a dû mobiliser les moyens financiers de deux studios hollywoodiens pour faire face au budget hors de contrôle.

L’espoir meurt en premier

La mosaïque narrative n’est pas avare en surprises pour amorcer un conte existentiel au poids fataliste considérable. La présentation plus ou moins détaillée du passé des quatre personnages principaux ne contribue ainsi pas tant à nous les rendre plus familiers et dignes d’intérêt, mais au contraire à entretenir savamment le mystère autour de ce groupe d’hommes contraints par le destin à faire équipe. Dans le cadre d’une intrigue sensiblement plus prévisible, leur individualisme exacerbé aurait pu conduire à un règlement de compte ou bien à un effort de fédération des efforts personnels. Rien de tel dans le cas présent, où la méfiance et la suspension des repères moraux règnent en maître. Les deux mises à l’épreuve principales, à travers la séquence du pont suspendu et celle du tronc d’arbre, auraient presque tendance à paraître comme des parenthèses de confrontation concrète dans le climat ambiant d’incertitude particulièrement passionnant. Car la mort guette à tout moment et happe les convoyeurs lorsqu’on s’y attend le moins. Après une dernière digression vers le vocabulaire formel psychédélique, le dénouement du film brille alors par son pessimisme nullement rédempteur. L’immense tristesse de ce voyage cynique est exprimée vers la fin du film dans le plan sublime de Roy Scheider, qui n’est qu’abattement et mort intérieure, alors que le sort de son personnage devrait lui redonner goût à la vie dans un contexte plus consensuel. Cette image magnifique résume avec maestria toutes les peines passées et anticipe le dénouement qui n’est – lui non plus – pas très optimiste.

Conclusion

Sorcerer n’est guère un film facile à aimer. La mise en scène rugueuse de William Friedkin ne cherche à aucun moment à caresser le spectateur dans le sens du poil. C’est néanmoins un film qui atteint admirablement l’équilibre précaire entre d’un côté son regard engagé et critique à l’égard des forces parfois maléfiques qui gouvernent notre civilisation et de l’autre une mélancolie profonde qui ne cherche nullement à distiller un optimisme factice. En cela, il s’agit d’un film merveilleusement représentatif de la fin des années 1970 : une période qui déchantait avec fracas des utopies de la décennie précédente, tout en préservant en son for intérieur un idéalisme à toute épreuve.

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