Critique : Peppermint frappé

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Peppermint frappé

Espagne, 1967
Titre original : Peppermint frappé
Réalisateur : Carlos Saura
Scénario : Angelino Fons, Carlos Saura, Rafael Azcona
Acteurs : Geraldine Chaplin, José Luis Lopez Vazquez, Alfredo Mayo
Distribution : Tamasa Distribution
Durée : 1h34
Genre : Thriller
Date de sortie : 18 février 2015 (reprise)

Note : 3/5

La réputation de Carlos Saura comme l’un des plus importants cinéastes espagnols ne repose nullement sur ses documentaires musicaux récents. Avant de se reconvertir en ambassadeur besogneux des cultures du monde, le réalisateur avait su s’imposer grâce à un début de carrière fulgurant. Sa collaboration avec Geraldine Chaplin à la fin des années 1960 et au début de la décennie suivante s’était en effet soldée par quelques films remarquables, qui avaient permis à l’actrice de sortir de l’ombre de son père et à son pygmalion de donner un nouveau souffle à une cinématographie nationale plutôt mal en point à la fin du règne franquiste. Cette histoire lourde de fantasmes, de frustrations et de jalousies constitue ainsi une passerelle assez prodigieuse entre ses influences directes – puisqu’elle est dédiée au maître de la transgression Luis Buñuel – et les films qui allaient à leur tour s’en inspirer, comme les derniers thrillers malsains de Pedro Almodovar.

Synopsis : Le radiologue Julian n’a pas vu son ami d’enfance Pablo depuis longtemps. Lors de leurs retrouvailles, il apprend que Pablo s’est marié avec Elena, une belle blonde que Julian pense avoir déjà croisée et admirée lors d’un spectacle de Vendredi saint. Son obsession de cette femme inaccessible trouve une échappatoire en la personne de Ana, l’infirmière et assistante de Julian, une brune disgracieuse qui ressemble néanmoins beaucoup à Elena. Quand son prétendant malheureux ne peut pas fréquenter cette dernière, il se console avec son sosie, auquel il apprend tous les secrets de maquillage et d’habits à la mode de son idéal féminin.

La Femme modèle

La beauté après laquelle le personnage principal de Peppermint frappé court n’aurait pas pu être plus synthétique. L’objet de son fétichisme est pratiquement désincarné, comme ces clichés de revue qu’il découpe selon des règles esthétiques particulières pendant le générique du début. Plus tard, il présentera sa collection d’images léchées à sa proie prétendument facile, tout en insistant sur le fait que la femme parfaite de cette époque-là ne pouvait être que mince et sportive. Or, même cet objectif s’inscrit dans une stratégie de séduction à l’érotisme forcé, parce qu’à l’effort physique doit obligatoirement suivre la douche. Hélas, ces petits jeux de manipulation et de soumission ne suffisent guère pour calmer les ardeurs libidineuses de Julian. Malgré eux, il n’arrive pas à démordre de cette femme d’un autre, qui éveille en lui autant de souvenirs à la nostalgie amère, comme la cérémonie de mariage entre enfants dont il n’était que le spectateur, que de lubies moins anciennes, tel cet autre passage en noir et blanc où Elena se déchaîne sur le tambour. Bien sûr, pareille obsession maladive devra se solder par un sursaut de folie plus ou moins marqué et meurtrier. C’est ce qui se passe dans le cas présent, quoique d’une façon assez peu rassurante pour ne pas laisser s’évaporer d’un coup le climat d’angoisse qui va savamment crescendo au fil du récit.

Une actrice exemplaire

Aux côtés de José Luis Lopez Vazquez, qui remplit son rôle ingrat de pervers vieillissant avec une intensité sourde des plus inquiétantes, Geraldine Chaplin fait des étincelles dans son double emploi. A moins qu’il ne s’agisse d’un personnage représenté sous des apparences encore plus nombreuses, né de l’imagination biaisée d’un homme perdu dans sa solitude et de sa triste vie qu’il ne veut ou ne peut partager avec personne. Si elle ne se lance pas dans des moments d’une euphorie enivrante, ponctués à deux reprises par une danse débridée, Chaplin énonce avec peu de moyens expressifs le spectre intégral des émotions féminines. Presque sans faire exprès, elle réussit à voler la vedette à son pendant masculin aux traits psychologiques peut-être un peu trop opaques. Elle personnifie à elle seule le yin et le yang, la femme rêvée et la femme possédée, de la quête impossible de Julian. Sa victoire finale toute relative ne laisse certes pas encore présager un point de vue affirmatif de la cause féministe. Elle apporte par contre une profondeur vaguement machiavélique à cette histoire, qui aurait couru sinon le risque de n’être que le reflet de vieux fantasmes nombrilistes de la gente masculine.

Conclusion

Après un démarrage quelque peu poussif, ce thriller remplit avec désinvolture son contrat d’élargir le catalogue de la lubricité selon Alfred Hitchcock. Pour ce faire, il s’inspire à la fois des thèmes majeurs de l’œuvre du maître du suspense, qu’il s’emploie à expliciter sensiblement, et du regard grinçant que Luis Buñuel portait sur la fausse respectabilité des notables espagnols. Il en résulte un film étrangement fascinant, qui – rétrospectivement parlant – en a sans doute fait plus pour la renommée de sa vedette, une Geraldine Chaplin méconnaissable dans ses deux rôles diamétralement opposés, que pour celle de son réalisateur, d’ores et déjà enclin à un style légèrement pompeux.

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