Critique : Les Chansons que mes frères m’ont apprises

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Les Chansons que mes frères m’ont apprises

Etats-Unis, 2015
Titre original : Songs my brothers taught me
Réalisateur : Chloé Zhao
Scénario : Chloé Zhao
Acteurs : John Reddy, Jashaun St. John, Taysha Fuller
Distribution : Diaphana
Durée : 1h34
Genre : Drame
Date de sortie : 9 septembre 2015

Note : 3/5

Plus personne ou presque ne s’intéresse au sort des Indiens. Ni le gouvernement américain, qui a des conflits raciaux plus brûlant à gérer sur son territoire. Ni le cinéma hollywoodien, qui se sert au mieux de l’odyssée du peuple indigène pour se donner bonne conscience, comme ce fut le cas de Danse avec les loups de Kevin Costner, sorti il y a déjà un quart de siècle. Hélas, ce manque d’intérêt n’est pas sans fondement, puisque dans les réserves sinistres dans lesquelles les descendants des tribus autrefois fières et vigoureuses sont abandonnés à eux-mêmes, il ne se passe rien d’extraordinaire, en dehors du cercle vicieux de l’alcoolisme, le fléau principal qui anéantit toutes ces cultures ancestrales à petit feu. Ce premier film, qui aura accompli une tournée de festivals prestigieux quand il sortira sur les écrans français, après avoir été présenté à Sundance, Cannes et Deauville, ne prétend nullement qu’un nouvel élan salutaire serait en train de naître dans ces ghettos situés dans les coins les moins hospitaliers des Etats-Unis. Il se pose davantage en observateur d’un quotidien dépourvu de finalité, qui flotte dans un état de disgrâce permanente sur lequel le mythe galvaudé du rêve américain n’a pas la moindre emprise.

Synopsis : John et sa sœur cadette Jashaun vivent avec leur mère dans la réserve de Pine Ridge. Nullement découragé par l’exemple de son frère aîné Cody, qui purge une peine de prison, John vend clandestinement de l’alcool. Il espère ainsi gagner suffisamment d’argent pour accompagner sa copine à Los Angeles, où elle commencera ses études. La mort dans un incendie de leur père Karl Winters confronte John et Jashaun à une partie peu connue de leur passé. Ils font la connaissance de leurs autres frères et sœurs de mères différentes. Sans savoir que son frère va bientôt abandonner la famille, Jashaun s’associe à l’artiste et tatoueur Travis.

Sœur Soleil et frère Lune

A partir de sa structure scénaristique très rudimentaire, née d’une démarche d’improvisation, Les Chansons que mes frères m’ont apprises met en parallèle l’existence de John, un adolescent à l’état d’esprit presque aussi sauvage que celui de ses chevaux, et celle de sa petite sœur Jashaun, pas encore complètement corrompue par les fléaux qui avilissent la vie dans la réserve. En effet, la réalisatrice d’origine chinoise Chloé Zhao ne se prive pas de montrer frontalement le rôle majeur que joue malheureusement l’alcool parmi ces héritiers de la culture indienne, pas plus fermes que leurs ancêtres contre cette drogue apportée par l’homme blanc. En même temps, les alternatives paraissent quasiment inexistantes dans une communauté mise à l’écart de la vie active et réduite par conséquent à une forme passablement déprimante d’oisiveté. John et sa sœur ne se laissent certes pas encore abattre par cette chape de plomb d’un avenir misérable tout tracé. Mais leurs tentatives de s’en affranchir, comme le marché noir de l’alcool ou la vente d’objets manufacturés, revêtent d’ores et déjà l’aura d’une certaine fatalité. La différence cruciale entre la virilité aussi sensuelle que désabusée de John et l’innocence déclinante de Jashaun, une pré-adolescente qui oscille entre son vélo rose et son premier joint, c’est l’opposition éternelle entre d’un côté le réalisme pessimiste des hommes, prisonniers d’un mouvement de fuite jamais satisfaisant, et de l’autre l’optimisme doux et patient des femmes, transmis plus ou moins intact de mère en fille.

Petit à petit, l’oiseau fait son nid

Cette opposition, qui a tout d’une osmose complémentaire, la mise en scène l’exprime sans le moindre signe ostentatoire. Les événements majeurs sont d’ailleurs si rares au fil de l’histoire que toute tentative d’y attacher un cas exemplaire serait condamné d’avance. Le ton du film est au contraire marqué par un calme et une régularité à l’aspect sensiblement lénifiant. A l’image du statu quo immuable au sein de la réserve, la structure dramatique s’agence autour de séquences très courtes. Le but principal de ces dernières est d’évoquer une atmosphère figée dans le temps, dans un flegme impuissant et imposé qui n’a strictement rien à voir avec le volontarisme magique si prisé par les gourous du rêve américain. Quoique John, Jashaun et les autres enfants d’une génération perdue supplémentaire fassent, leur statut n’évoluera point.

 

Malgré cette perspective contemplative, la réalisation sait préserver une vitalité toute relative dans ce contexte social potentiellement très glauque. La sagesse intérieure de la fille ne prend le dessus qu’in extremis, alors que son monde affectif était sur le point de s’écrouler à cause du départ de son frère. Mais même auparavant, le refus ferme de tomber à la moindre apparition d’une bouteille de vodka dans un misérabilisme convenu vaut au récit un air de noblesse pas si nostalgique. Car ce n’est pas le retour fanatique aux sources qui sauvera cette communauté oubliée et enterrée, mais sa capacité de s’adapter dignement et sans défaitisme au rôle très secondaire que la société américaine lui a attribué. Ce qui ne veut surtout pas dire que ce beau film, produit par Forest Whitaker, se fait le chantre d’une soumission lâche à l’oppression structurelle. Les Chansons que mes frères m’ont apprises cherche plutôt à souligner qu’il existe une forme diffuse d’espoir, même dans l’isolement et la stagnation qui sont le triste sort des Indiens d’Amérique.

Conclusion

Visuellement très réussi, ce premier film ne suit aucun cahier de charges sociales clairement établi. Il préfère procéder par petites touches, peut-être insignifiantes prises séparément, mais qui s’additionnent assez habilement pour déboucher sur un état des lieux aucunement complaisant de la situation actuelle des Indiens. Grâce à l’interprétation d’une sincérité naturelle de la part de John Reddy et Jashaun St. John dans les deux rôles principaux, il en émane un mélange saisissant, à mi-chemin ente la résignation et la consolation.

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