Critique : Lamb

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1969

Lamb

Ethiopie, France, Allemagne, 2015
Titre original : Lamb
Réalisateur : Yared Zeleke
Scénario : Yared Zeleke
Acteurs : Rediat Amare, Kidist Siyum, Wolela Assefa
Distribution : Haut et Court
Durée : 1h35
Genre : Drame d’enfance
Date de sortie : 30 septembre 2015

Note : 3/5

Un enfant et son animal de compagnie atypique qui traversent ensemble une série d’aventures improbables : bon nombre d’histoires de jeunesse prennent comme point de départ cette amitié entre l’homme et la bête pour mieux explorer les affres du passage à l’âge adolescent ou adulte. Dans le cas de ce premier film éthiopien, le dispositif sert à réconforter la tristesse d’un gamin, devenu quasiment un orphelin suite au décès de sa mère et au départ de son père vers la grande ville. Or, Lamb se montre particulièrement saisissant grâce à l’expression détournée de ce deuil et de la solitude qui accablent le jeune protagoniste. Celui-ci n’est point un ange, mais sa persévérance dans l’espoir de retrouver une vie de famille ordinaire lui confère une aura d’héroïsme touchante. Enfin, parmi les rares films qui nous parviennent du continent africain, le premier long-métrage de Yared Zeleke se distingue par son attachement très mesuré aux traditions folkloriques, comme pour mieux indiquer – sans jamais forcer le trait – que les mœurs évoluent, même dans les coins les plus reculés du monde.

Synopsis : Suite à la mort de sa mère à cause de la sécheresse, le jeune Ephraïm et son mouton Chuni sont emmenés par son père dans le village de la grande-tante. Le père part à son tour, afin de chercher du travail dans la capitale. Ephraïm se retrouve seul dans la famille de son oncle et de sa tante. Il ne s’y sent guère à l’aise, surtout parce que son oncle voit d’un mauvais œil son talent pour faire la cuisine, hérité de sa mère. Alors que la période des fêtes approche, l’oncle veut faire de son neveu un homme en l’obligeant à sacrifier son mouton bien-aimé. Ephraïm essaye par tous les moyens de soustraire son compagnon animal à l’échéance fatidique. Il reçoit de l’aide insoupçonnée de la part de Tsion, la fille aînée, qui refuse les corvées du ménage et préfère passer ses journées en ville avec son ami camionneur.

Une beauté confidentielle

La seule chose immédiatement belle dans Lamb, ce sont les paysages majestueux. Tout le reste pourrait a priori se prêter à un misérabilisme larmoyant, tant le sort du jeune héros relève de la tragédie, avec ses rêves maintes fois déçus et son état accru d’abandon affectif. L’approche du jeune réalisateur, invité cette année au festival de Cannes dans la section Un certain regard, se montre heureusement beaucoup plus subtile que ne le laisserait croire la prémisse rudimentaire de son premier film. Car même s’il ne se passe rien de majeur au fil du récit, c’est justement l’absence d’événements retentissants qui lui confère une densité souterraine. Le quotidien de Ephraïm est ainsi rythmé par des tâches à vocation alimentaire, qui, d’ores et déjà, ne remplissent pas le cœur de ce jeune homme différent de son entourage immédiat. Ce décalage se manifeste principalement dans sa vocation pour préparer des mets aussi savoureux que ceux de feue sa mère, alors que la place d’un homme dans l’édifice social éthiopien n’est pas derrière les fourneaux, mais sur les champs en train de labourer la terre aride. Un doux air de modernité traverse pourtant l’intrigue, puisque les infractions au code de conduite traditionnel s’y multiplient, sans que le cours des choses ne puisse être endigué par la génération des parents, impuissante voire absente.

Le mouton, le meilleur ami de l’homme

La relation entre le garçon et son mouton s’inscrit dans le même contexte d’une déliquescence progressive des valeurs et des repères d’autrefois. Le fait d’avoir choisi un animal, certes très utile en termes agro-alimentaires, mais pas vraiment investi d’une intelligence remarquable ou d’une capacité exceptionnelle d’interaction avec l’homme, renforce encore notre impression que Chuni appartient à une longue lignée de symboles sur le chemin tortueux de son maître vers l’autonomie. Sauf que ce coup libérateur tant attendu ne se produit jamais entièrement, bien que les tentatives pour échapper à une existence pauvre, matériellement et sentimentalement parlant, ne manquent pas. La dimension aventurière de l’histoire relève en effet des nombreux départs de Ephraïm vers l’inconnu, souvent à pied, parfois en bus ou en camion, mais toujours rattrapé par la cruauté sournoise de la réalité, qui le ramène de gré au de force au bercail de substitution si détesté. Malgré ce cercle vicieux usant, le ton du film respire une forme délicate d’optimisme, aussi parce que l’enfant grandit imperceptiblement au fil des épreuves, pour mieux se défaire par la suite des liens qui ont structuré jusque-là sa vie.

Conclusion

L’évolution est en marche, même dans les pays si peu explorés par le cinéma que l’Ethiopie. Plutôt que d’imaginer un conte à la morale consensuelle et sirupeuse, le réalisateur Yared Zeleke nous livre avec Lamb un regard dépourvu d’extrêmes sur la vie à la campagne. Les petites touches d’observation perspicace y abondent, notamment du côté des indices d’une variété des croyances et des projets de vie, qui tranchent agréablement avec un point de vue réducteur et biaisé. Espérons donc que le cinéma africain saura nous surprendre de plus en plus par des films aussi finement menés que celui-ci, dont le seul trait un brin tendancieux est l’emploi trop régulier de la musique pour souligner les états d’âme du héros.

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