Critique : La Meilleure façon de marcher

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La Meilleure façon de marcher

France, 1976

Titre original : –

Réalisateur : Claude Miller

Scénario : Claude Miller et Luc Béraud

Acteurs : Patrick Dewaere, Patrick Bouchitey, Christine Pascal, Claude Piéplu

Distribution : Splendor Films

Durée : 1h26

Genre : Drame

Date de sortie : 6 mars 2019 (ressortie)

3,5/5

N’est-ce pas un malheureux signe de l’époque contemporaine que la référence filmique à nous venir immédiatement à l’esprit par rapport aux colonies de vacances est Grâce à Dieu de François Ozon avec ses séquences, certes pas trop réussies d’un point de vue cinématographique, sur les abus sexuels que des enfants y subissent de la part d’un prêtre pédophile ? Ce qui était initialement conçu comme un cadre préservé, où toutes sortes d’activités ludiques étaient censées forger la sociabilité des jeunes générations françaises, devient dans cet exemple la couverture malsaine des méfaits d’un prédateur sexuel. Or, ce détournement des idéaux pédagogiques par le biais du cinéma ne date pas de cette année, comme nous le rappelle la ressortie du premier long-métrage de Claude Miller. Dans La Meilleure façon de marcher, quelques semaines de détente dans une colonie en province se transforment vite en enfer psychologique pour un moniteur à l’orientation sexuelle trouble. Alors qu’on aurait pu croire facilement que la naissance à partir des années 1980 d’un cinéma gay à part entière, c’est-à-dire sans complexes, ni fausse pudeur, allait rendre caducs les tourments à demi-mots de ce film du milieu des années ’70, c’est justement l’ambiguïté des relations entre ces personnages que tout devrait a priori opposer, ne serait-ce qu’en raison de leurs origines sociales, qui fait toujours la force du film, même plus de quarante ans après sa sortie.

© Splendor Films Tous droits réservés

Synopsis : L’été 1960, Philippe travaille comme moniteur dans la colonie de vacances gérée par son père. Il y dirige un groupe de garçons qui prépare une pièce de théâtre, pendant que les autres pensionnaires s’adonnent à des activités plus physiques. Un soir d’orage, Philippe est surpris dans sa chambre en train de se travestir par son collègue Marc. Ce dernier, le meneur viril et provocateur des encadrants, fait comme si de rien n’était. Mais petit à petit, la relation entre les deux hommes se dégrade, prise dans une spirale vénéneuse de sous-entendus. Afin d’échapper à la pression du chantage larvé de la part de Marc dont il se sent la victime, Philippe demande à sa petite amie Chantal de venir lui rendre visite le dimanche.

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Coupure de courant

Ce serait faire preuve d’une simplification grossière que de considérer La Meilleure façon de marcher tel une histoire de coming out ordinaire, comme on en voit sortir de nos jours quasiment tous les mois en salles et à une fréquence encore plus élevée en vidéo. L’identité sexuelle du protagoniste s’y apparente en effet plus à une astucieuse confusion des genres qu’à une homosexualité clairement tranchée et par conséquent profondément mal vécue à cause des mœurs toujours très rigides à l’époque. Philippe aime se travestir et préfère exercer son esprit plutôt que son corps, soit, mais son profil fait de lui davantage la cible tout désignée des railleries de ses collègues plus conformes aux codes binaires des genres qu’un héros précoce de la cause gaie. Grâce à l’interprétation tout en finesse de Patrick Bouchitey, un acteur qui n’a hélas guère trouvé par la suite de rôle au même niveau d’exigence, l’ambivalence des actions déroutantes de son personnage, tour à tour honteux, soumis, dépressif et revanchard, ne sonne jamais fausse. Le scénario de Miller et Luc Béraud le fait bénéficier ainsi d’une formidable absence de jugement, lui laissant une liberté bluffante pour atteindre en fin de compte un semblant de quiétude, après de nombreuses impasses humiliantes qu’il emprunte parfois par sa propre faute. En comparaison, le personnage interprété savoureusement par Michel Blanc gère d’une manière infiniment plus névrosée son manquement aux codes de bonne conduite que la société cherche à lui imposer à tout prix.

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Rien à foutre d’un mec comme toi

Aussi riche en contradictions crédibles le personnage principal soit-il, la quête d’affirmation de son identité n’aurait sans doute pas été aussi passionnante, s’il n’avait pas eu en face de lui un pendant taraudé par le même degré d’insécurités mal assimilées. Marc est tout sauf une brute épaisse, capable de cogner sauvagement là où ça fait mal. Le jeu auquel il se prête avec Philippe, de gré ou de force, mais en tout cas avec une malice indéniable, en révèle presque plus sur lui que sur sa proie. Là aussi, le jeu de Patrick Dewaere est tout à fait exceptionnel en termes de subtilité, son agacement face au comportement défensif de son faux ami étant toujours mêlé à une sensibilité fugace, à un doute qui plane sur ses véritables intentions. Cette incertitude demeure intacte jusqu’à la fin, qui n’est point le bal masqué, où les masques tombent par ailleurs avec une emphase mélodramatique bannie sinon par l’élégance et l’efficacité de la mise en scène. Non, le récit se termine sur une séquence d’épilogue, quelques années plus tard à Paris. Celle-ci s’emploie autant à entretenir le cliché de l’antagonisme entre la province et la capitale, à l’image de celui répété plusieurs fois auparavant entre le comportement vulgaire des moniteurs issus d’un milieu populaire et le savoir-vivre affiché par l’élite intellectuelle, qu’à indiquer sans forcer le trait que le passage du temps relativise beaucoup de choses.

© Splendor Films Tous droits réservés

Conclusion

Le duel des deux Patrick, Bouchitey et Dewaere, est toujours aussi fascinant dans La Meilleure façon de marcher ! Claude Miller livre à travers son premier film un regard dépourvu de préjugés sur un sujet, qui n’allait pas tarder à être parasité par toutes sortes d’agendas militants. Il y est moins question d’aménager un refuge pour ces pauvres parias d’un monde engoncé dans ses mœurs archaïques, que d’explorer astucieusement des rapports humains hautement ambigus. Les zones d’ombre de ces derniers s’avèrent finalement beaucoup plus stimulantes que l’ensemble des contes plus ou moins embellis sur l’affirmation de l’identité sexuelle, qui pullulent de nos jours dans le cinéma gay.

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