Arras 2018 : La Dernière folie de Claire Darling

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La Dernière folie de Claire Darling

France, 2018
Titre original : –
Réalisatrice : Julie Bertuccelli
Scénario : Julie Bertuccelli, Sophie Fillières, Mariette Désert & Marion Doussout, d’après un roman de Lynda Rutledge
Acteurs : Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Alice Taglioni, Samir Guesmi, Laure Calamy
Distribution : Pyramide Films
Durée : 1h34
Genre : Drame
Date de sortie : 6 février 2019

Note : 3/5

Julie Bertuccelli est décidément une réalisatrice à part. Dans chacun de ses films, elle conçoit des univers singuliers, des espaces cinématographiques dont elle établit les règles avec une autonomie téméraire. Présenté en avant-première à l’Arras Film Festival, La Dernière folie de Claire Darling se montre à la hauteur de ses ambitions artistiques, grâce à son intrigue assez farfelue, une fantaisie mi-légère, mi-grave dont la structure temporelle a de quoi étonner. La rencontre fantastique entre le passé et le présent, entre le souvenir et l’urgence d’agir là, maintenant, tout de suite, y apporte une touche d’étrangeté pas sans charme. Un décalage dont les comédiens se font les serviteurs adroits, le binôme le plus saisissant étant formé par l’impériale Catherine Deneuve et son reflet de jeunesse Alice Taglioni. Quant aux retrouvailles à l’écran entre la Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni, elles ne produisent hélas ni les étincelles, ni la mise en abîme familiale escomptées. Qu’à cela ne tienne, le film dans son ensemble est suffisamment cohérent dans sa folie – quel paradoxe ! – que l’impression globale qu’il dégage relève plus du conte de fées doucement illuminé que de la saga familiale aux conséquences sérieuses.

Synopsis : Après une nuit au sommeil agité, la vieille Claire Darling décide de brader tous les objets précieux qui décoraient jusque là sa demeure luxueuse dans un petit village de l’Oise. Sa collection de poupées, des pendules aux formes recherchées et les tableaux des ancêtres familiaux, absolument tout y passe, au vide-grenier qu’elle organise à l’improviste dans son jardin. La marchande d’objets d’art Martine est alarmée par ces agissements étranges et prévient sans tarder son amie d’enfance Marie, la fille de Claire, qui n’était plus revenue voir sa mère depuis des années. Son retour éveille toutes sortes de vieux souvenirs, pas exclusivement heureux.

Syncopes

Au début, on se croirait chez Mankiewicz et son thriller machiavélique Le Limier. La caméra fait le tour de pièces plongées dans l’obscurité, remplies de babioles et autres objets de collection. Chez Bertuccelli, cet attachement aux choses n’est pourtant pas synonyme d’inquiétude et de déshumanisation criminelle, mais au contraire le moteur pas sans attrait d’une nostalgie, en fin de compte aussi douce que la folie qui s’empare du personnage principal. Les enjeux dramatiques du récit demeurent dans le même état de suspension légèrement déroutant : la mort redoutée de Claire y joue presque un rôle secondaire, la morbidité qui aurait dû aller de pair avec une telle prémonition ayant tendance à être transférée sur les chers disparus, qui hantent en quelque sorte son esprit et qui vont jusqu’à faire irruption dans le cours de l’histoire au présent. Cette dernière folie ne prend que superficiellement les traits d’une brocante aux prix imbattables, dont la vocation n’est pas de gagner de l’argent, mais de se débarrasser à la hâte de tout ce qui a pu encombrer une vie bien vécue. Elle se manifeste surtout par une perte de repères de plus en plus grave, quoique pas nécessairement de plus en plus poétique, même si la mise en scène ne chôme pas à ce niveau-là. Car l’état fiévreux dans lequel sombre progressivement la vieille dame – en contradiction assez nette avec la vitalité manifeste de Catherine Deneuve, à désormais 75 ans révolus – se transmet au ton du film dans son ensemble avec une efficacité discutable.

Hier, aujourd’hui, mais pas demain

Le dispositif que la réalisatrice a choisi pour agencer la rencontre entre les différentes périodes de vie des personnages n’est pas forcément très original. Adultes et adolescents, grands-parents et parents se croisent dans un même espace-temps, dont on ne sait à force plus très bien où le situer sur la ligne ondulée du passé et du présent. Contre toute attente, cette juxtaposition libre, normalement plutôt problématique puisque elle contredit fermement les conventions de la séparation temporelle, fonctionne très bien ici. Aussi, parce que ces doubles hermétiques n’y entrent guère dans une volonté caricaturale de pardon ou de compréhension rétrospective, mais davantage comme des pantins astucieux dont Julie Bertuccelli et, dans une moindre mesure, ses nombreux coscénaristes tirent les ficelles. Il est désormais trop tard pour réparer quoique ce soit chez les Darling dans leur dynamique familiale passablement détraquée, nous paraît vouloir dire le film. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas accompagner à distance variable cette mère par périodes indigne et sa fille anciennement rebelle dans leurs drôles de retrouvailles. Le caractère joliment fantaisiste et détaché du récit aurait pu être sauf, si ce n’était pour des effets spéciaux à l’aspect visuel perfectible, sollicités à la fin pour confirmer assez platement les craintes funestes de la chère Claire.

Conclusion

Avec un film de Julie Bertuccelli, on ne sait pas toujours à quoi s’attendre. C’est une fois de plus vrai avec La Dernière folie de Claire Darling, une œuvre qui a le potentiel de laisser le spectateur perplexe, mais qui réussit en même temps la création d’un univers onirique, où les frontières de la perception s’estompent au profit d’une rupture de la continuité du temps pas sans intérêt. Dans toute sa belle complexité, cet édifice formel est conçu par contre au détriment des interprétations, certes solides, mais pas non plus susceptibles de renouveler notre enthousiasme à l’égard de la plupart des comédiens réunis à l’écran ici.

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