Berlinale 2017 : Lettres d’un homme mort

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Lettres d’un homme mort

URSS, 1987
Titre original : Pisma Myortvogo Cheloveka
Réalisateur : Konstantin Lopouchanski
Scénario : Vyacheslav Rybakov, Boris Strugatsky, Konstantin Lopouchanski
Acteurs : Rolan Bykov, Iosif Ryklin, Viktor Mikhajlov
Distribution : –
Durée : 1h27
Genre : Anticipation
Date de sortie : –

Note : 3,5/5

Révélé à la Semaine de la Critique à Cannes en mai 1987 où il avait fait sensation un peu plus d’un an après la catastrophe de Tchernobyl, Lettres d’un homme mort de Konstantin Lopouchanski s’est un peu fait oublier ces trente dernières années. Séance de rattrapage à la Berlinale 2017 dans la rétrospective Futur Imparfait pour ce film ambitieux, que l’on peut considérer comme le tout premier film de la Perestroïka et l’une de ces très grandes oeuvres de cinéma méconnues que l’on (re)découvre par hasard au sein d’un Festival curieux de ne pas oublier le cinéma du passé tout en soutenant celui du présent.

Synopsis : Une catastrophe nucléaire frappe un lieu indéterminé qui pourrait se trouver d’un côté comme de l’autre du rideau de fer. Quelques survivants réunis dans un lieu souterrain tentent de survivre comme ils le peuvent, abandonnés à leur sort, sans la moindre explication ou nouvelle de la part des autorités. Ils meurent à petit feu ou accélèrent leur départ de toutes les manières possibles alors qu’un vieillard écrit des lettres à son fils dont il ne sait pas s’il est toujours vivant. Un maigre espoir repose dans l’existence d’un eden hypothétique représenté par un bunker où tous ceux qui ne sont pas contaminés seraient accueillis.

Il est leurre d’avoir de l’espoir

La première partie est particulièrement aride, rugueuse et demande une implication patiente du spectateur s’il ne veut pas se sentir perdu. Le protagoniste central est ce vieil homme qui s’adresse symboliquement à ce fils probablement déjà mort ou au minimum qu’il ne reverra jamais. Désabusé, cet ancien Prix Nobel de physique (sinistre ironie) ne peut que constater que la communauté de survivants dont il fait partie ne sait pas vraiment quoi faire. Le chacun pour soi semble être la règle dans ce sous-sol sombre. En venant en aide à un groupe d’orphelins sourds, il tente de retrouver un but à sa vie qu’il sait désormais écourtée par les radiations. Mais si la fin laisse place à un espoir pour la survie de l’Humanité, il n’est que de façade. Le savant ne peut leur offrir que de bien vaines paroles de réconfort en guise d’adieu alors qu’ils semblent déjà condamnés. Un mensonge dont ils ne sont pas vraiment dupes, malgré les quelques notes de L’Éveil de Fauré qui servent de conclusion sonore trompeuse.

La vraie force de ce récit post-apocalyptique repose sur le texte de ces lettres d’une haute tenue littéraire. Lues par Rolan Bykov, grand acteur de cette période dont la présence au générique a protégé son réalisateur de pressions éventuelles, elles sont bouleversantes et terribles, d’une belle gravité et avec une poésie émouvante, à l’image de cet homme érudit qui tente de conserver au maximum sa dignité. Ces belles paroles ont été écrites par le scénariste Boris Strugatsky qui avec son frère Arkady a écrit quelques grands classiques de la science-fiction russe : Stalker qui fut adapté par Andreï Tarkovski et dont on voit quelques points communs assez flagrants, Il est difficile d’être un dieu adapté par Peter Fleischmann en 1988 sous le titre Un dieu rebelle ou encore Un milliard d’années avant la fin du monde adapté en 1988 sous le titre Le Jour de l’éclipse par Alexandre Sokourov. Konstantin Lopouchanski adaptera encore Les Vilains Petits Canards en 2006.

Apocalypse monochrome

Malgré sa noirceur profonde, le film sera un énorme succès en salles avec plus de quinze millions de spectateurs ! Ce cousin russe de Point Limite (Fail-Safe) de Sidney Lumet est pourtant bien désespéré. Le point commun principal de ces deux films réside dans la dimension accidentelle de l’explosion, ce qui aggrave encore l’enjeu et la dénonciation par le réalisateur de l’inconscience de ceux qui ont à leur portée de telles armes. Même sans la volonté des pouvoirs politiques, le pire est possible et l’amateurisme des garde-fous est criminel. Ce récit qui aurait pu être une mise en garde a été tristement visionnaire par un terrible hasard du sort. Alors que le film allait sortir en salles, la catastrophe de Tchernobyl s’est produite au début de l’année 1986. Si la Russie a été frappée, le propos est universel car cela aurait pu se passer ailleurs et les radiations ne se sont pas arrêtées à la frontière. Le réalisateur inclut dans son film un extrait d’un texte cosigné par Albert Einstein et Irène Joliot-Curie qui prévenait de tels risques en 1955 mais trente ans plus tard, ils n’avaient toujours pas été entendus. Rien n’a changé aujourd’hui comme l’a prouvé le tsunami au Japon qui a failli causer la pire des catastrophes nucléaires. Une tragédie récente dont on ne connaît pas encore aujourd’hui toutes les conséquences. Nouvelle démonstration de l’axiome entendu dans les dialogues sur Icare et Narcisse oeuvrant main dans la main pour détruire le monde. Folie des grandeurs et orgueil démesuré contre l’Humanité.

Le réalisateur fait preuve d’une très grande maîtrise formelle pour ce qui était son premier long-métrage. Il avait débuté sa carrière comme assistant d’Andréi Tarkovsky sur Stalker et tourne ce film en pleine Perestroïka, dans une sorte de parenthèse enchantée : les moyens du cinéma soviétique, ses talents, ses infrastructures et la liberté d’aborder un thème risqué en plein changement de régime politique. Les décors sont utilisés avec intelligence sur une lumière monochrome orangée sépia de Nikolai Pokoptsev en format 1.37 qui ne laisse pas beaucoup de place à la vie. Il montre un terrible spectacle de désolation où la ville n’est plus qu’une ruine abandonnée avec des cadavres qui jonchent le sol dont un grand nombre d’enfants considérés comme les premiers à sacrifier. L’humanité n’est montrée sous son meilleur jour. Le cauchemar est le même à l’intérieur (un métro abandonné en guise de leurre de refuge) et à l’extérieur.

Conclusion

Malgré son aridité extrême, ce drame d’anticipation contemporaine laisse une marque indélébile. Il n’est pas forcément aisé d’entrer dans ce récit au rythme lancinant mais au final le coup de poing en rappelle d’autres, comme ceux de Threads de Mick Jackson ou La Bombe de Peter Watkins, autres histoires de fin du monde qui étaient d’autant plus inquiétantes qu’elles étaient crédibles et argumentées. Lettres d’un homme mort est un film magistral qui mérite d’être mis en valeur à la moindre opportunité. Comme ici à Berlin, un film presque parfait pour un Futur Imparfait… Pas de traces de dates de sortie en France, mais cela semble étonnant. A vérifier…

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