Revu sur MUBI : O fantasma

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© 2000 Rosa Filmes / Radiotelevisão Portuguesa / Epicentre Films / MK2 Tous droits réservés

Les cinémas français sont fermés depuis plus d’un mois. Ce sevrage imposé de nos pratiques de visionnage sur grand écran n’est certes pas l’aspect le plus grave de l’épidémie. Il nous fait néanmoins regretter chaque jour un peu plus nos chères salles obscures. Y compris les moins confortables parmi elles, comme le MK2 Beaubourg, qui se rattrape par sa programmation exceptionnellement éclectique et pointue. On y avait vu, il y a près de dix-neuf ans, O fantasma, ce premier film portugais si déroutant, qui restera encore disponible sur la plateforme par abonnement MUBI pendant un peu moins de deux semaines. Les retrouvailles avec cette œuvre inclassable se sont avérées toujours aussi viscéralement perturbantes, à tel point qu’on se demande pourquoi on n’a pas suivi de plus près la carrière de João Pedro Rodrigues par la suite, grâce au quatre autres films du réalisateur sortis en France, pour la plupart chez Epicentre Films.

Une mise en garde pas si anodine en préambule : O fantasma est le genre de film à ne pas mettre devant les yeux de tout le monde. Même en tant que représentant fier d’un cinéma gay encore bien plus robuste au tournant du siècle qu’aujourd’hui, il offre une vision du monde très loin de la volonté consensuelle d’assimilation, qui a conduit la communauté LGBTQ vers une acceptation sociale globale dans la plupart des pays occidentaux, un progrès social encore impensable à cette époque-là. La marge devient au contraire la norme dans ce conte d’un érotisme poisseux, voire bestial, où l’amour n’a pas sa place, mais où le désir peut prendre des formes courageusement extrêmes. Entre le voyeurisme le moins politiquement correct et des pratiques sadomasochistes filmées sans fausse pudeur, le réalisateur crée un rêve sexuel éveillé, dont les fragments nocturnes ne font sens qu’en tant que métaphore d’une fièvre libidineuse en panne d’assouvissement.

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En effet, il n’y a que très peu de normalité dans la vie de Sergio, un jeune éboueur a priori plus intéressé par la drague homosexuelle que par le ramassage des objets encombrants et autres poubelles. Le scénario ne lui reconnaît aucune attache familiale, ni vie sociale autre que le chien de l’immeuble Lord et des collègues avec lesquels il fait au mieux preuve d’une convivialité expéditive. Ce jeune homme entretient certes une relation peu déterminée avec sa collègue Fatima. Pour l’essentiel, il fréquente cependant les lieux de drague gay sans doute identiques dans tous les pays européens, avant l’avènement de la révolution virtuelle de ces rapports anonymes. Grâce à la sensualité considérable de l’acteur Ricardo Meneses, la caméra le met en scène comme un objet sexuel à part entière, tel une formidable source de fantasmes pour le spectateur, qui pourra l’admirer à intervalles réguliers dans ses activités érotiques ou sexuelles plutôt explicites.

Or, la vocation de O fantasma n’est pas vraiment de faire preuve d’exploitation bassement pornographie d’un sujet sulfureux. Pendant la première heure du film, le récit accumule davantage des séquences d’une intensité érotique étrange, des expressions cinématographiques quasiment orgasmiques parce qu’elles osent regarder sans œillères les différentes obsessions du protagoniste. Son fantasme principal se focalise sur un jeune motard qu’il finit par harceler d’une façon pathologique. Mais puisque tout ce que Sergio entreprend, par le biais de manœuvres de séduction à la vulgarité assumée, se solde au mieux par un coup sans lendemain, cette poursuite de l’homme inatteignable ne s’achèvera en toute logique pas non plus par un conté de fées gay tout rose ou, par défaut, en habits de bondage moulants aux couleurs forcément plus sombres.

Car une fois que le personnage principal, cet ange vénéneux d’une sexualité débridée, aura gagné le contrôle sur son amant récalcitrant, il ne paraît plus trop savoir quoi en faire. Commence alors la partie la plus problématique du film, ces vingt dernières minutes au cours desquelles Sergio devient par son propre choix un véritable paria, errant sans but sur une décharge. Le versant métaphorique de la mise en scène prend alors le dessus, pas nécessairement pour le bien d’un film jusque là animé par une sexualité malsaine, sublimée en tant que pulsion érotique hors des sentiers battus.

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