Critique : Vendeur

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Vendeur

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Sylvain Desclous
Scénario : Olivier Lorelle et Sylvain Desclous
Acteurs : Gilbert Melki, Pio Marmaï, Sara Giraudeau, Clémentine Poidatz
Distribution : Bac Films
Durée : 1h29
Genre : Drame
Date de sortie : 4 mai 2016

Note : 3/5

Les histoires de succession de père en fils ont souvent quelque chose d’un cercle vicieux. Plutôt que d’être le moment privilégié pour dresser le bilan d’une vie passée et poser les fondements sains d’une autre qu’il reste encore à vivre, le passage de relais d’une génération à l’autre prend des allures d’éternel recommencement. Les vieilles rancœurs familiales y refont surface. Au lieu d’apprendre des erreurs du père, le fils s’obstine à commettre les mêmes, à quelques mises à jour sociales près. C’est en tout cas ainsi que nous avons compris le propos de ce premier film poignant, qui ne se laisse pas submerger par l’amertume née des regrets. Dans Vendeur, le réalisateur Sylvain Desclous dresse l’état des lieux dépourvu de certitudes d’un métier, qui use les hommes et les femmes qui le pratiquent, en échange de quelques brefs instants d’une supériorité trompeuse. Grâce à l’interprétation brillante de Gilbert Melki dans le rôle du père, cette histoire d’un naufrage programmé – à la fois dans le domaine privé et professionnel – dégage une forme de noblesse résignée. Celle-ci nous paraît infiniment plus précieuse que toutes les bonnes intentions de dénonciation de notre époque mercantile réunies.

Synopsis : Serge est l’un des meilleurs vendeurs de France. Depuis plus de trente ans, il sillonne le pays en long et en large pour proposer ses services dans les zones commerciales et les grands magasins. Pour accomplir cette réussite professionnelle, il a tout sacrifié, y compris la relation avec son fils Gérald, qui a préféré tenter sa chance en ouvrant un restaurant en province. Suite à l’échec de ce projet personnel, il demande à son père de lui trouver un travail auprès de la chaîne de magasins d’équipement de cuisines pour laquelle il travaille actuellement. Serge n’est point convaincu du potentiel de son fils, mais finit par le faire embaucher à l’essai. Après des débuts difficiles, Gérald se montre de plus en plus à la hauteur de la réputation de son père.

Vendu de père en fils

La gestion du rapport conflictuel entre le père adulé par tous et sa progéniture qui galère considérablement a parfois tendance à paraître schématique dans Vendeur. L’idéalisme de la jeunesse y essuie un échec après l’autre face au pragmatisme arrogant de la vieille garde, jusqu’à ce que Gérald adopte les mêmes armes truquées et fourbes que son père. Car aucune forme de rédemption n’est à espérer dans le cadre d’une profession dont la plus grande fierté découle du chiffre d’affaire individuel, acquis au bout de maintes ruses pour malmener la psychologie du client. Etre un bon commercial, cela ne s’apprend pas, puisque dans ce milieu aux codes stricts, il est autant question de foi et de soumission que dans une secte, qui chercherait à couper ses membres du monde réel pour mieux les manipuler. La reconnaissance au bout du tunnel a beau être dérisoire, la force d’attraction de l’argent facile prévaut sur d’éventuels scrupules moraux que le débutant cultive sans conviction, avant de se ranger du côté de la déchéance existentielle de l’exemple contradictoire que reste son père.

Cuisine et dépendances

Serge appartient à cette race en voie de disparition de vieux lions, qui se montrent incapables de céder leur place d’ores et déjà convoitée par un troupeau de successeurs potentiels. A l’image de Randy Robinson, le vieux catcheur qui n’arrive pas à décrocher à temps dans The Wrestler de Darren Aronofsky, il mène une vie dédiée exclusivement à cette gloire fugace, qui se dérobe de plus en plus sous ses pieds. Derrière son apparence de séducteur né, en quête de sensations hédonistes avec tout ce que cela sous-entend en termes de handicap social pour s’impliquer en profondeur, c’est un homme plein de doutes, voire de regrets. Or, son style de vie nomade et les hautes sphères de la réussite qu’il a atteintes par lui-même le mettent à l’écart de tout échange sincère avec les autres. A l’exception de la prostituée que Sara Giraudeau interprète avec une candeur remarquable, la seule à ne pas se laisser intimider par les signes matériels et vocaux de son attitude de crâneur sophistiqué. La relation fragile entre ces deux prédateurs pourrait les sauver, l’un comme l’autre, s’ils ne dépendaient pas trop étroitement du statu quo artificiel de leurs professions respectives. En comparaison à ce feu d’artifice à peine contenu, le fils initialement trop sage que Pio Marmaï joue solidement fait presque pâle figure.

Conclusion

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Sylvain Desclous a trouvé la distance juste envers ses personnages, qui auraient aisément pu devenir des caricatures atroces. Même si le motif visuel récurrent du film de la voiture qui avance imperturbablement sur des routes anonymes est employé avec un peu trop de régularité, il symbolise parfaitement la solitude et le déracinement de Serge. Interprété magistralement par Gilbert Melki, ce personnage est le modèle parfait du père indigne, qui cherche à se racheter in extremis sans pour autant tirer du sursaut ultime de sa conscience paternelle une quelconque satisfaction.

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