Critique : Un homme charmant

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Un homme charmant

Argentine, 2015
Titre original : La luz incidente
Réalisateur : Ariel Rotter
Scénario : Ariel Rotter
Acteurs : Erica Rivas, Marcelo Subiotto, Susana Pampin
Distribution : Urban Distribution
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 20 avril 2016

Note : 3/5

Le cinéma latino-américain a le don de parler d’un malaise profond de la façon la plus conciliante imaginable. A en juger par l’échantillon qui parvient jusque sur les écrans français, des craintes enfouies sous-tendent une civilisation qui n’est en fin de compte pas si différente de la nôtre. Peu importe le type de rapports qu’y entretiennent les personnages entre eux, il y existe presque toujours un élément sournoisement perturbateur, une cause de discorde potentielle qui n’éclate pratiquement jamais au grand jour. Ce film argentin, le troisième de son réalisateur, s’inscrit parfaitement dans la lignée de ces intrigues dont les enjeux se dérobent subtilement à notre besoin européen de tout savoir et d’être rassuré en permanence, pour mieux nous tenir à distance de son étrange histoire d’amour. Un homme charmant est tout sauf une opération de séduction, malgré la photographie en noir et blanc splendide de Guillermo Nieto. Il s’agit davantage d’un conte malsain, assez sophistiqué pour ne pas nous épeler platement les failles de ce couple né de la raison plus que des sentiments.

Synopsis : Luisa vient de perdre son mari et son frère dans un accident de voiture. Abasourdie par cette disparition brutale, elle focalise toute son attention sur ses deux filles jumelles, encore en bas âge. Lors d’une fête à laquelle la veuve s’est rendue à contrecœur, elle fait la connaissance de Ernesto. Elle sympathise avec lui, mais ne pense pas que leur rencontre ira plus loin, même si sa mère et sa belle-mère l’incitent à refaire sa vie avec un autre homme. Quand Ernesto la contacte à nouveau, Luisa ne se sent pas prête pour une nouvelle relation. Face à l’insistance de son prétendant, elle finit par abandonner toutes les mesures de précaution qu’elle avait mises en place pour protéger son intimité et celle de ses enfants.

Lutte gréco-romaine avec le deuil

Pour marquer le coup lors d’un de leurs premiers rendez-vous galants et dévoiler sans doute un peu plus sa personnalité à la nouvelle femme de son cœur, Ernesto emmène Luisa dans une sorte d’amphithéâtre, dans lequel il avait vécu jadis de glorieux exploits de lutteur. La caméra tourne comme enivrée autour de cet homme, qui revit alors l’un des moments de son existence ayant dû nourrir son penchant pour la mégalomanie et la certitude que tout lui réussira. C’est pourtant un autre aspect de la discipline sportive, diamétralement opposé à cette effusion de narcissisme, qui est symptomatique du ton du film de Ariel Rotter. Comme des adversaires qui se tiennent, immobilisés, dans des prises inextricables, le personnage principal féminin n’arrive pas à se libérer du chagrin causé par la mort inattendue de son mari. Elle ne cherche pas réellement à renouer avec la vie, ni à envisager la présence de ses deux filles comme autre chose qu’un rappel constant de la tragédie récente. Dans ce sens, le propos du film ne se laisse jamais amadouer par le genre de volontarisme teinté d’optimisme, qui serait de mise dans une version hollywoodienne de cette aventure romantique à l’ambiguïté saisissante. Bien au contraire, l’état de torpeur affective dans lequel l’accident a plongé Luisa ne la quitte pas, même quand son bonheur conjugal paraît être en voie de rétablissement.

Charme ou beauté

Le titre du film est à prendre avec un grain de sel, à l’image du récit dans son ensemble, qui laisse constamment planer le doute quant aux véritables intentions du futur mari. Car si Ernesto peut être considéré comme un manipulateur déterminé, il est beaucoup moins sûr qu’il cherche à nuire volontairement celles qu’il couvre d’attentions pas toujours sollicitées. Cette fragilité psychologique, cette coexistence troublante de la face sombre et de son pendant lumineux sont traduites avec une finesse extraordinaire par l’interprétation de Marcelo Subiotto. L’austérité de la mise en scène et le jeu plus retenu de sa partenaire Erica Rivas dans le rôle de Luisa lui donnent certes du fil à retordre. Mais en dépit de ces légers contretemps, la nature énigmatique du personnage reste intacte. Y compris jusqu’au dernier plan magnifique du film, qui prend en quelque sorte congé de cette famille figée dans sa normalité nouvellement acquise par le biais d’un travelling arrière de toute beauté. A partir d’un souvenir personnel d’enfance, le réalisateur a ainsi réussi le pari d’un conte universel sur l’incompatibilité des sentiments et le poids des conventions dans son pays natal dans les années 1960.

Conclusion

Un homme charmant n’est pas forcément un film facile d’accès. Son déséquilibre délicat entre la veuve traumatisée qui se dérobe coûte que coûte à une renaissance arrivée trop vite et le célibataire plus très jeune qui tente désespérément de rattraper le temps perdu ne procure aucune récompense affective. Il prouve par contre la vigueur du cinéma latino-américain en général et de celui venu d’Argentine en particulier, à travers le récit d’une liaison de raison, qui se rapproche sensiblement trop d’un tombeau prématuré pour cette femme émotionnellement fanée depuis la mort violente de son premier mari.

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