Critique : Un Français

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Un Français

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Diastème
Scénario : Diastème
Acteurs : Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy
Distribution : Mars Films
Durée : 1h37
Genre : Drame
Date de sortie : 10 juin 2015

Note : 3,5/5

« La France aux Français. » On n’entend plus tellement cette provocation haineuse dans le paysage politique actuel. C’est parce qu’elle a été remplacée par une forme encore plus préoccupante de l’adoption de l’idéologie de l’extrême droite. Grâce au travail inlassable de la part de Marine Le Pen afin de transformer son parti en une formation en apparence respectable, le Front National occupe désormais le devant de la scène politique. C’est lui qui impose ses thématiques dans le débat politique. Et c’est également lui qui fait trembler de peur le camp républicain : les conservateurs et les socialistes qui se font la guerre entre eux pour ravir la seule place qui resterait au second tour de la prochaine élection présidentielle, alors que le véritable ennemi se trouve ailleurs. Cette obsession médiatique et politique d’un état d’esprit dépourvu de la moindre qualité humaine ne nous réjouit aucunement. Son seul aspect positif est qu’elle voit naître, au moins indirectement, des films aussi poignants et durs qu’Un Français. En guise d’avant-goût horrible des choses à venir si l’opinion publique ne se ravise pas à temps, il dresse un état des lieux à échelle individuelle de l’essence de la philosophie de l’extrême droite. Son plus grand accomplissement consiste alors à ne pas en faire une leçon de morale ou de civisme tendancieuse, mais de laisser le destin brisé du protagoniste parler pour lui-même dans un contexte historique très récent.

Synopsis : Marco est un skinhead qui participe corps et âme au combat qu’il partage avec ses meilleurs amis Braguette, Grand-Guy et Marvin. Ensemble, ils pourchassent des militants de gauche, s’en prennent dans la rue aux immigrés et s’investissent sans ménagement dans les rixes contre des gens qui ne pensent pas comme eux. D’abord un défenseur inconditionnel des idées de l’extrême droite, Marco finit par être écœuré par la violence gratuite dont elles s’accompagnent. Tandis que Braguette opte pour l’engagement politique et que Grand-Guy et Marvin sombrent dans la délinquance et la drogue, Marco essaie de décrocher.

Savoir abandonner la colère et la violence

Pour une fois, nous avons tiré directement les titres de nos deux paragraphes habituels du dossier de presse et plus précisément de l’entretien du réalisateur Diastème. Ils traduisent parfaitement le cheminement de Marco, qui met un certain temps avant de se rendre compte des erreurs de sa jeunesse. Le début du film se démarque ainsi par la rage avec laquelle le personnage principal et ses potes s’engouffrent dans la vile besogne que l’on associe généralement aux skinheads. Ils cognent sans distinction et saisissent la moindre occasion pour décharger une colère existentielle qui cherche forcément la faute chez l’autre. Ces premières séquences sont d’une intensité difficile à supporter, d’abord à cause du déchaînement impromptu de la violence aveugle et puis parce que le doute s’introduit progressivement dans la conscience de Marco, sans que ce dernier ne soit encore en mesure de faire la part des choses. Parmi les nombreuses qualités de la trame dramatique du scénario, l’absence d’un point de basculement clairement défini nous a particulièrement impressionné. Il y a certes l’instant de malaise physique dans le bus, quand Marco est atteint d’une crise d’angoisse après avoir dévisagé et insulté une famille d’origine étrangère. Mais à aucun moment, la mise en scène ne s’abaisse à désigner artificiellement la rupture nette avec son passé d’extrémiste.

Le travail de devenir adulte

Car autant la première partie d’Un Français est percutante dans son exploration d’un univers malsain, autant la deuxième montre d’une façon encore plus cinglante que l’alternative à cette vie de haine est au mieux une banalité à l’ennui écrasant. Du rôle de guerrier téméraire, sanguinaire au point d’être prêt à commettre un meurtre si l’occasion se présentait, Marco dégringole presque sans transition vers un quotidien d’ouvrier guère plus excitant que n’a dû l’être celui de ses parents que l’on ne voit essentiellement qu’à l’état de loque humaine. Les bénéfices de sa rédemption sont par conséquent minimes, en termes matériels et sociaux. Ils se chiffrent davantage du côté d’une sérénité de la conscience, même s’il a dû payer le prix fort de la solitude et de l’exclusion sans appel du milieu intégriste qu’il fréquentait jusque là pour atteindre cette tranquillité de l’âme. La noblesse, à la fois vraie et réaliste, du propos de Diastème consiste ainsi à ne pas exacerber les attraits respectifs d’une vie des deux côtés de la légalité et du fanatisme politique. Il considère plutôt qu’il n’existe pas de solution miracle pour combattre l’extrême droite et ses sbires, pas plus que pour rendre attrayante une vie respectable qui se définit après tout par une routine lénifiante. Rien que pour une telle prise de position hautement nuancée et en même temps subtilement partisane du vivre ensemble en paix, le réalisateur du déjà recommandable Le Bruit des gens autour mérite toutes nos félicitations pour son deuxième film !

Conclusion

Si vous n’avez retenu d’Alban Lenoir que son interprétation déjantée d’un footballeur sans peur dans le jouissif Goal of the Dead de Benjamin Rocher et Thierry Poiraud, attendez-vous à être agréablement surpris par l’intensité et la finesse de son jeu dans ce film d’une importance vitale ! Alors que les chaînes de télé et d’autres médias opportunistes participent sans broncher à l’exercice répugnante de rendre le Front Nation respectable et son idéologie acceptable, un film courageux comme celui-ci mérite amplement d’être sollicité par un public pas encore gagné par le fatalisme. Au fil d’un portrait personnel sur plusieurs années de vie qui intègre d’une manière condensée des faits divers qui ont malheureusement eu lieu, il démontre avec fermeté à quel point il serait préjudiciable pour la société française de ne pas prendre plus au sérieux la menace réelle qui émane du fond idéologique de l’extrême droite.

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