Test Blu-ray : Sanctuaire

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Sanctuaire

Italie : 1989
Titre original : La chiesa
Réalisation : Michele Soavi
Scénario : Dario Argento, Franco Ferrini, Michele Soavi
Acteurs : Hugh Quarshie, Tomas Arana, Feodor Chaliapin Jr.
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h42
Genre : Fantastique
Date de sortie DVD/BR : 18 juin 2018

 

 

Moyen Âge. Accusés de servir le Diable, les habitants d’un village sont massacrés par des chevaliers. Afin d’enrayer la propagation du mal, une église est érigée sur le charnier. De nos jours, lors des travaux de restauration qu’elle dirige, Lisa découvre un parchemin dissimulé dans la paroi des sous-sols de l’église. Elle s’empresse d’en faire part à Ewald, le nouveau bibliothécaire. Imprégné des théories de l’alchimiste Fulcanelli, Ewald, bien résolu à percer le secret du parchemin, va, bien malgré lui, réveiller des forces obscures et malveillantes… qui bientôt vont se déchaîner en se propageant à tous ceux présents dans l’édifice…

 

 

Le film

[4,5/5]

En France, la carrière de Michele Soavi a véritablement explosé en 1995 avec la découverte de Dellamorte Dellamore, que de nombreux cinéphiles considèrent comme un véritable chef d’œuvre, et à coup sûr l’un des plus beaux films des années 90, tous genres et tous pays confondus. On aurait d’ailleurs aimé prochainement revenir sur cette œuvre grandiose, mais Le chat qui fume a annoncé il y a quelques semaines devoir annuler la sortie de son édition Blu-ray consacrée aux aventures macabres de Francesco Dellamorte, suite à un problème avec les ayant-droits du film. Avant le coup de maître que constituait Dellamorte Dellamore, il y avait eu Bloody bird bien sûr, sorti dans les salles françaises en 1987, giallo tardif se déroulant dans un théâtre, et qui avait plutôt séduit son public à l’époque. Entre ces deux films, Michele Soavi en a cela dit réalisé deux autres, qui n’ont pas connu les honneurs d’une sortie dans les salles françaises : Sanctuaire et La secte. Pour autant, ces deux longs-métrages ne sont pas tout à fait inconnus du public français non plus : tous deux sont effet sortis en VHS dans les années 90.

Sanctuaire, puisque c’est celui qui nous intéresse aujourd’hui, faisait à l’époque partie de la fameuse collection « Cauchemar » éditée par UGC Vidéo, au cœur de laquelle on pouvait également trouver Bad taste et Braindead, les deux films de Peter Jackson. De nombreux amoureux de cinéma fantastique l’ont donc découvert à cette époque, dans des conditions que l’on qualifierait sans doute aujourd’hui d’épouvantables, mais qui, faute de points de comparaison possibles, nous paraissaient finalement assez convenables… Sauf que. Car si l’on a choisi aujourd’hui, trente ans plus tard, de revenir sur des informations aussi anecdotiques en début de texte, c’est bien parce que grâce à cette nouvelle édition Combo Blu-ray + DVD du film, disponible depuis quelques semaines sous les couleurs du Chat qui fume, on a complètement et absolument redécouvert Sanctuaire. Ni plus ni moins comme s’il s’agissait d’un tout autre film. Cette différence de perception est-elle liée au support de diffusion ou tout simplement au temps qui passe, nous ne saurions l’affirmer. Dans quelle mesure aurions-nous apprécié le film de Soavi si nous l’avions découvert dans les mêmes conditions d’excellence il y a trente balais, nous ne saurions pas le déterminer avec plus de certitude. Le fait est qu’aujourd’hui, on se retrouve bel et bien devant un putain de grand film fantastique, sublimement mis en scène, bourré de trouvailles visuelles à tomber et formidablement rythmé – alors même que dans notre souvenir, on était plutôt en présence d’une série B foutraque et hystérique ne nécessitant pas forcément un second visionnage.

 

 

Ce qui pourra encore plus choquer le spectateur à la redécouverte de Sanctuaire, c’est bel et bien de se dire que malgré son côté visuellement brillant, le film de Michele Soavi soit resté inédit dans les salles françaises. Comment une œuvre aussi aboutie et spectaculaire a-t-elle pu rester cantonnée à une simple diffusion sur support VHS ? Même si cela peut paraitre incroyable avec le recul, plusieurs explications peuvent s’offrir à nous quant à ce mystère : peut-être les distributeurs français n’ont-ils vu en Sanctuaire qu’une démarcation baroque et priapique de Prince des ténèbres (1987), le film de John Carpenter se déroulant également quasi-intégralement dans une église encerclée par un mal obscur et séculaire ? Peut-être le film de Soavi était-il juste tout simplement un peu trop en avance sur son temps : le film imposait en effet une mise en scène très dynamique, héritière des leçons généreusement prodiguées par Sam Raimi sur Evil dead II (1987), sans toutefois opter pour le ton « cartoonesque » des aventures d’Ash Williams. De fait, le film rompait clairement avec les codes formels généralement d’usage dans le genre, et aurait peut-être pu se révéler propre à déstabiliser le spectateur de la fin des années 80. De la même façon, Sanctuaire anticipait un peu trop la vague de films fantastiques teintés de religion, de possessions en tous genres et de mysticisme qui n’arriveraient en masse sur les écrans qu’à partir de l’année suivante – on pense à des films tels que L’exorciste, la suite (1990), La nurse (1990) ou encore La malédiction 4 (1991), téléfilm qui, paradoxalement, a quant à lui eu droit à une sortie dans les salles françaises ! Il y a fort à parier que si le film avait débarqué au marché du film un an plus tard, de nombreux distributeurs se seraient d’avantage intéressés au cas Soavi…

Peut-être Sanctuaire était-il également trop marqué de la « patte » Dario Argento, producteur du film, dont le nom écrit en très gros en haut de l’affiche ne suffisait plus à l’époque à remplir les salles obscures comme durant la décennie précédente… Car à l’image des films d’Argento post-Phenomena, le film de Michele Soavi plonge le spectateur au cœur de son univers par le biais d’une caméra extrêmement maitrisée et mobile, le bousculant presque, orientant son regard de façon outrée, jouant avec les focales, les cadrages et les notions de perspective… Ainsi, la caméra, « l’œil » malade de Soavi, toujours en mouvement, en devient presque un personnage à part entière de Sanctuaire. Impossible dès lors de ne pas penser aux expérimentations formelles menées par Dario Argento à peu près à la même époque, sur des films tels que Terreur à l’opéra (1987) ou sur son segment de Deux yeux maléfiques (1990).

 

 

Sanctuaire est donc un film d’une modernité vraiment saisissante, imposant un sens du cadrage et du rythme remarquable. On passera rapidement sur le scénario, originellement pensé pour être le troisième film de la saga Démons, solide mais évidemment linéaire : l’histoire qui nous est contée ici ne sera au final que le prétexte à un enchainement de scènes propres à déployer un imaginaire aussi macabre que baroque et à donner au spectateur l’aperçu cinématographique d’un enfer grouillant de détails cauchemardesques, foisonnant à la manière d’un tableau de Jérôme Bosch. La caméra de Michele Soavi, ondulant à la manière d’un serpent, contribue durant la première partie du film à faire naitre au cœur du long-métrage une ambiance volontiers bizarre, proche du rêve éveillé et vaguement oppressante, sentiment consolidé par l’utilisation régulières de plans obliques, désaxés, en plongée ou contre-plongée. Nettement plus généreux et démonstratif dans sa deuxième moitié, Sanctuaire permet à Soavi et à son équipe de laisser libre cours à leurs visions les plus folles, multipliant les prétextes scénaristiques afin d’organiser à l’écran un véritable maelstrom d’images, toutes plus iconoclastes les unes que les autres ; la palme étant naturellement décernée au shooting « photo de mode » organisé aux abords de l’église, qui permettra aux scénaristes d’intégrer à leur scène de Grand Guignol plusieurs personnages féminins vêtus de robes de mariées…

Suivant, comme on l’a déjà évoqué un peu plus haut, une logique narrative tortueuse, finalement assez proche du « rêve », Sanctuaire fait fi de toute idée de linéarité ou de continuité dramatique : l’ensemble est certes décousu, et va par moments chercher du côté de l’exercice de style, mais conserve une curieuse homogénéité, probablement grâce à la profusion d’idées de mise en scène complètement foutraques dont fait preuve Michele Soavi derrière la caméra. Le film ne propose pas non plus de « héros » au sens traditionnel du terme : si les personnages incarnés par Tomas Arana et Barbara Cupisti sont probablement les seuls à émerger du flot de personnages dans le sens où ils ont un début de romance et révèlent au spectateur l’essentiel des éléments liés aux démons enfouis au cœur de l’église, ils sont facilement enclins à disparaître du récit pendant plusieurs dizaines de minutes, laissant la place à d’autres personnages (Asia Argento, Hugh Quarshie, Fédor Chaliapine Jr…), le plus souvent très différents les uns des autres, mais contribuant à donner au film des allures de film choral où tout peut se passer, où des personnages passent sans jamais réapparaitre et où d’autres font leur apparition, comme sortis d’on ne sait où. Cette idée d’assemblage d’éléments hétérogènes pour un résultat aux frontières du rêve et du cauchemar se retrouve également au cœur de la bande originale du film, assurée par Keith Emerson et Goblin (Fabio Pignatelli), ayant contribué aux grandes heures du cinéma de Dario Argento et collaborant ici afin de créer une musique étrange et pour le moins entêtante.

Bref, si l’on ajoute à cela une générosité certaine en matière d’effets gore et un sens du grotesque tirant parfois sur le sublime, on ne pourra, une trentaine d’années après l’avoir découvert, que réévaluer Sanctuaire à la hausse. Et pour ceux qui ne l’auraient encore jamais vu, précipitez-vous sur ce petit bijou oublié de l’horreur italienne !

 

 

Le Combo Blu-ray + 2 DVD

[5/5]

Éditeur encore relativement « frais » sur le front de la Haute Définition en France (la sortie de son premier Blu-ray Le venin de la peur ne remonte finalement qu’à trois ans !), Le chat qui fume est cependant en l’espace de ces quelques petites années devenu l’éditeur français le plus incontournable pour les fans de fantastique et de cinéma bis – autant dire les vrais connoisseurs en matière d’Art ! Il faut dire aussi que Le chat qui fume sélectionne ses titres avec une acuité remarquable, que ses équipes techniques veillent à proposer des masters HD toujours au top, et prend de plus toujours grand soin de proposer des éditions présentées non pas dans de classiques boitiers bleus en plastique mais sous la forme de digipacks cartonnés au packaging impeccable : de « beaux objets » en somme, propres à fasciner les collectionneurs. A ce titre, le packaging de l’édition combo Blu-ray + 2 DVD de Sanctuaire constitue probablement ce qui se fait de mieux dans l’hexagone en matière de soin éditorial apporté à une édition collector. Le film de Michele Soavi est donc présenté dans un beau digipack trois volets nanti d’un sur-étui cartonné : autant dire que c’est la classe américaine (« la classe, c’est d’être chic dans sa manière de s’habiller – rien de de tel que d’aller chez Azzedine Alaia ou même de s’acheter des sous-pulls chez Yohji Yamamoto ! »), une classe qui en impose avant même le visionnage du film : le soin apporté à l’ensemble et la qualité des finitions en font vraiment un superbe objet, qu’on sera très fier de voir trôner sur nos étagères ; on en profite d’ailleurs pour saluer le travail du graphiste du Chat qui fume, Frédéric Domont alias BaNDiNi, qui nous propose sur ces deux films de Michele Soavi (Sanctuaire et La secte) un joli travail de création, très éloigné de l’affiche originale du film.

 

 

Techniquement, l’éditeur n’est pas en reste puisque le transfert du Blu-ray de Sanctuaire s’avère réellement de toute beauté. Couleurs, piqué, contrastes, encodage, respect de la granulation d’origine, tout est fait pour magnifier le travail de Renato Tafuri, directeur photo du film. Côté son, VF et VO italienne sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0 et s’avèrent parfaitement claires et équilibrées ; on notera que si on préfère de loin la version originale, on reconnait le soin doucement hystérique apporté au doublage français, assuré par des voix bien connues et appréciées des amateurs de VF des années 80.

Du côté des suppléments, l’éditeur s’est à nouveau fendu d’environ une heure et demie de bonus, pour la plupart réellement passionnants. On commencera donc avec entretien avec Asia Argento (« Lotte », 9 minutes), en italien et en mode détendu : l’actrice s’y remémore ses débuts en tant qu’actrice, l’ambiance sur le tournage de Sanctuaire et le malaise que lui avait provoqué certaines scènes, dans le sens où elle incarnait un personnage à priori un peu plus âgé qu’elle ne l’était réellement à l’époque (elle incarnait une ado en rébellion de 16/17 mais n’en avait que 14 au moment du tournage) – en revanche, le fait de voir sur le plateau un démon faisant l’amour à une femme l’amusait plutôt. On continuera avec un entretien avec Michele Soavi (« Le mystère des cathédrales », 20 minutes), qui évoque la genèse du film et développe une certaine idée de « mysticisme » autour du script, de Fulcanelli et des cathédrales gothiques. On poursuivra avec deux entretiens un poil plus « techniques » : le premier est un entretien avec le maquilleur Franco Casagni (« Terre bénie », 10 minutes), le deuxième un entretien avec le décorateur Massimo Antonello Geleng (« Les fondations de l’église », 21 minutes). Les deux y évoquent leur travail sur le film de Soavi et termineront leurs interventions respectives en consacrant quelques mots aux acteurs. Plus amusant est l’entretien avec Giovanni Lombardo Radice (« Père Giovanni », 14 minutes), acteur et ami proche de Michele Soavi à l’époque du tournage de Sanctuaire. S’il semble ne pas avoir une grande tendresse pour le scénario du film, il se remémorera en revanche quelques savoureux moments sur le tournage à Budapest (« Boudapecht »). Il se souvient par exemple qu’Asia Argento commençait à avoir le corps et les formes d’une jeune femme, mais qu’elle était parfaitement innocente, s’amusant par exemple à faire « à dada » sur ses genoux. Il évoque également la présence de Fédor Chaliapine fils, qui s’avérait absolument incapable de retenir son texte, et qui semblait avoir de petits moments d’absence – il raconte, hilare, une anecdote selon laquelle l’acteur après s’être rendu aux toilettes était revenu avec le service trois pièces complètement sorti de son pantalon, et que personne n’avait osé le le lui faire remarquer. Enfin, on se régalera d’un entretien avec le scénariste Franco Ferrini (« Démons 3 », 13 minutes), qui évoque son travail sur le script de Sanctuaire, son attachement à toujours placer un personnage de « novice » dans ses scénarios afin de faciliter l’identification du spectateur, ainsi que ses relations avec Dario et Asia Argento. Il semble convaincu que le film aurait du conserver le titre de Démons 3. On terminera le tour de la section suppléments avec les traditionnelles bandes-annonces de films disponibles ou à venir chez Le chat qui fume. Une bonne grosse valeur éditoriale ajoutée pour une édition à nouveau indispensable !

 

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