Critique : Valley of Love

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Valley of Love

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Guillaume Nicloux
Scénario : Guillaume Nicloux
Acteurs : Isabelle Huppert, Gérard Depardieu, Dan Warner, Aurelia Thierrée
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h32
Genre : Drame
Date de sortie : 17 juin 2015

Note : 3/5

ZabriskiePoint

Valley of Love, ce titre nous évoque plein de choses, mais pas forcément la Vallée de la Mort. S’il fallait vraiment y voir une référence californienne, on penserait davantage à cette célèbre photo – mise exceptionnellement en exergue de notre texte – issue de Zabriskie point de Michelangelo Antonioni, où des couples de jeunes gens gisent tendrement enlacés sur le sol poussiéreux du désert. Or, le réalisateur Guillaume Nicloux reste plutôt fidèle ici aux décors miteux des policiers du début de sa carrière, comme Une affaire privée et Cette femme-là, puisque le cadre majestueux des paysages ne prend jamais l’ascendant édifiant sur le fond macabre de l’intrigue. L’impact visuel du film se situe par conséquent plus du côté des perturbations étranges, à l’image de cette tête de chien trouvée dans les toilettes, que dans les panoramas photographiés d’une façon trop dépouillée pour faire partie d’une publicité touristique. Enfin, l’amour du titre n’a strictement rien de romantique. Il tend au contraire vers une forme de nostalgie aigrie, rendue plus belle et aiguë encore par les retrouvailles très touchantes entre les monstres sacrés du cinéma français que sont indéniablement Isabelle Huppert et Gérard Depardieu.

Synopsis : L’actrice Isabelle est venue dans la Vallée de la Mort pour exaucer le vœux posthume de son fils Michael. Celui-ci s’est suicidé quelques mois plus tôt et a convoqué dans sa lettre d’adieu ses parents qu’il n’a pas vus depuis longtemps dans le désert, afin qu’ils suivent ensemble pendant une semaine un parcours de plusieurs sites. Seulement s’ils accomplissent conjointement la tâche, le disparu pourra venir brièvement à leur rencontre. Tandis qu’Isabelle croit dur comme fer en cette promesse d’outre-tombe, son ex-mari Gérard, également comédien, se montre beaucoup plus dubitatif. Il participe néanmoins aux excursions dans une chaleur étouffante, tout en précisant qu’il devra partir avant la fin de l’échéance en raison d’un rendez-vous important.

Un putain de goût radioactif dans la bouche

Sa prémisse aux pieds d’argile porte hélas un préjudice nullement négligeable à cette histoire assez contemplative. Le prétexte de la chasse à l’apparition surnaturelle dénote constamment au sein d’un récit, qui aurait aisément pu se passer de cet aspect vaguement fantastique pour conter des retrouvailles lourdes de reproches mutuelles. Ce n’est pas tant la disparition volontaire du fils qui nous déroute, ni sa requête de réunir pendant un certain temps ses parents devenus complètement étrangers l’un à l’autre. Il aurait par exemple suffi de les inciter à revenir sur les lieux de vacances passées autrefois en famille, lorsque le bonheur affectif de Michael était encore intact. Le fait d’y associer le motif problématique de la résurrection passagère contribue à dénaturer le film dans sa globalité et plus précisément les rapports humains entre les deux personnages principaux. Personne d’entre eux ne croit réellement en cette prophétie abracadabrante, au point que l’élément du doute devient rapidement secondaire comparé aux tensions qui naissent au sein de ce couple caduc. Que le dénouement laisse la porte grande ouverte à un nombre important de pistes de réflexion et d’interprétation ne justifie guère, à nos yeux, le choix de faire reposer la narration toute entière sur cet enjeu hautement discutable.

Huppert Depardieu

Heureusement, deux interprétations en tous points magistrales sauvent la mise du film, qui aurait sinon couru le risque sérieux de sombrer dans le délire post-mortem. Et Huppert, et Depardieu, des comédiens vus des dizaines de fois au point que l’on ne s’attendait plus à une quelconque surprise de leur part, réussissent précisément à habiter leurs personnages avec une candeur bluffante. Face à la sécheresse névrotique du jeu parfaitement nuancé de Isabelle Huppert, Gérard Depardieu prouve avec son tour de force à la fois physique et subtil à quel point il reste essentiel dans le paysage cinématographique français, en dépit de ses frasques dans la vie privée à l’étranger. D’ailleurs, le personnage public de Depardieu apparaît parfois en filigrane dans la fiction de Gérard, comme lorsqu’il se plaint, impuissant, de son poids démesuré ou quand il va pisser au bord de la route, ce qui coïncide comme par hasard avec l’une des prises de conscience majeures de l’histoire.

 

Derrière cette silhouette plus grande que nature, l’acteur sait encore cultiver la fragilité tragique de l’homme au bout du rouleau. Espérons que cette interprétation finement maîtrisée lui redonnera le goût de reprendre en toute sincérité le chemin des plateaux de cinéma. Car son implication corps et âme dans ce projet intimiste confère à ce dernier une intensité sourde à laquelle il n’aurait probablement pas pu aspirer si Ryan O’Neal, l’acteur initialement prévu pour ce rôle, l’avait tenu. Bref, nous lui souhaitons d’être moins comme Robert De Niro, pour lequel il se fait passer à un moment donné dans ce film auprès de fans trop envahissants, qui – à de très rares exceptions près – se repose sur ses lauriers depuis des décennies, mais d’aller à la recherche fastidieuse de films aussi curieux que Valley of Love !

Conclusion

L’implication inconditionnelle de deux comédiens au sommet de leur art ferait presque oublier le point de départ assez bancal de ce film de Guillaume Nicloux, présenté en compétition au dernier festival de Cannes. Il vaut donc mieux ne pas être trop regardant sur ses quelques lacunes scénaristiques pour profiter pleinement du duel doux-amer entre Huppert et Depardieu, ainsi que du regard sans complaisance sur les rares manifestations de la civilisation américaine dans un désert de pierres impressionnant.

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