Cannes 2018 : Plaire aimer et courir vite

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Plaire aimer et courir vite

France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Christophe Honoré
Scénario : Christophe Honoré
Acteurs : Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès
Distribution : Ad Vitam Distribution
Durée : 2h13
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 10 mai 2018

Note : 3,5/5

Vous souvenez-vous d’une histoire d’amour gay au cinéma qui se termine bien ? Plus encore que leur pendant hétéro, les aventures romantiques entre deux hommes ou deux femmes ont la fâcheuse habitude de se conclure au mieux avec un départ vers de nouveaux horizons en solitaire. Notre repère d’identification aura alors été amèrement déçu, quoique au moins vigoureusement confirmé dans son orientation sexuelle. Présenté en compétition au Festival de Cannes, Plaire aimer et courir vite ne dérogé pas complètement à cette règle, ne serait-ce qu’à cause de l’époque pendant laquelle il se déroule, l’un des temps tristement forts de l’épidémie du sida au début des années 1990. Analysé de plus près, le dixième long-métrage de Christophe Honoré n’est pourtant ni un énième drame de maladie, ni même une histoire d’amour au sens strict du terme. Pour cela, il faudra attendre beaucoup trop longtemps – quasiment une heure et demie – avant que les deux amoureux ne se rencontrent sérieusement. Et à ce moment-là, lorsque une intrigue plus conventionnelle aurait enfin permis à ses personnages mal assortis de s’épanouir mutuellement, il est déjà trop tard pour célébrer plus qu’un instant de complicité passager. Bref, ce que le réalisateur réussit ici, aidé substantiellement par les interprétations très justes de Vincent Lacoste et de Pierre Deladonchamps, c’est une formidable chronique des occasions ratées à cause des choix pas toujours concluants qui ponctuent la vie de chacun, avant qu’on ne se rende compte de cette existence parallèle, plus proche du fantasme, où nos rêves romantiques seraient devenus réalité.

Synopsis : En 1993, l’écrivain Jacques est invité à un atelier à Rennes. Dépité par les conditions dans lesquelles il y est accueilli, il se réfugie pendant quelques minutes dans une salle de cinéma, histoire de décompresser avant son intervention. C’est là qu’il croise pour la première fois le chemin de Arthur, un jeune Breton qui se cherche encore un peu sexuellement et qui ne tarde pas à tomber sous son charme, malgré leur différence d’âge importante. En dépit de leur bonne entente immédiate, les deux hommes vont en quelque sorte manquer leurs prochains rendez-vous avec le destin, alors que l’état de santé de Jacques, atteint du sida, se dégrade progressivement.

La vie est plus surprenante que les films

Dans le petit monde du cinéma gay français, Christophe Honoré nous paraît figurer parmi les réalisateurs les plus sophistiqués. Alors qu’un fil rouge de thématiques homosexuelles parcourt sa filmographie très joliment cohérente, il n’adopte jamais la posture du militant revendicateur. Le fait de baiser entre hommes, voire de trouver l’amour dans ce milieu marqué par la fragilité des liens sentimentaux, y est représenté avec un naturel désarmant, comme si l’évolution des mœurs en France en termes d’acceptation de la différence s’était déroulée au préalable et non simultanément à un corpus filmique qui nous tient particulièrement à cœur. La sensibilité de son point de vue garantit ainsi une accessibilité que l’on espère universelle, précisément parce qu’elle sait transcender les clichés des mondes cloisonnés que ses films explorent. Dans le cas de Plaire aimer et courir vite, le risque était en effet important de n’en faire qu’un mélodrame pour initiés et autres nostalgiques d’une époque, où l’une des formes prédominantes de la représentation de la communauté gaie passait par les cercles vaguement huppés de l’intelligentsia parisienne. Heureusement, la mise en scène s’affranchit rapidement de ce coloris sectaire pour conter sans fard, ni subterfuge, l’histoire profondément humaine des amants condamnés à se louper.

Apprendre à souiller la beauté

Comme on l’a déjà indirectement évoqué plus haut, le récit ne tourne guère exclusivement autour de la relation embryonnaire entre Jacques et Arthur. Ou pour être plus précis, la parcimonie des séquences communes nourrit avec une subtilité jamais prise en défaut le désir de voir enfin leur aventure se concrétiser. Car tout ce qui se passe dans leurs vies respectives converge vers ce bonheur romantique dont nous prive savamment le film. Du côté de l’intellectuel de plus en plus absorbé par le déclin de ses propres capacités physiques, et la relation décousue qu’il entretient avec son jeune compagnon présenté au début de l’intrigue, et le rappel douloureux de son passé insouciant, personnifié par son ex moribond qui s’installe un temps dans son appartement en guise d’hospice devraient le dissuader de poursuivre son histoire avec Arthur. Quant à ce dernier, il diffère également longtemps la mise à exécution de son plan de monter à Paris, sans doute par crainte de mal interpréter les signaux diffus d’attirance mutuelle émis par Jacques ou, pire encore, par cette insouciance propre à la jeunesse qui n’a pas encore appris qu’il vaut mieux saisir les occasions avant qu’il ne soit trop tard. Cette dynamique dramatique, tel que nous la décrivons par nos modestes moyens littéraires – d’ailleurs infiniment inférieurs à la plume habilement poétique de Christophe Honoré –, peut paraître laborieuse ou alambiquée. Elle s’agence pourtant avec une facilité et une assurance, qui n’ont point peur de prendre leur temps. Selon leur logique implacable, qui voudrait que le plus grand obstacle à une fin heureuse est le manque de temps, ainsi que l’absence de discernement de la part du couple seulement esquissé de l’urgence de leur union face aux réalités cruelles de la vie.

Conclusion

Voici notre premier coup de cœur de ce Festival de Cannes, certes pas aussi proche formellement de la Nouvelle vague que l’a été Dans Paris – malgré un générique au découpage stylisé – et pas aussi courageusement kitsch que Les Chansons d’amour, mais néanmoins une preuve supplémentaire du talent singulier de son réalisateur à faire vivre à l’écran la difficulté d’être gay sans devenir sinistre. Plaire aimer et courir vite est le rappel poignant que la vie risque de nous filer entre les doigts, si l’on ne fait pas attention à ces chances toujours aussi peu nombreuses de tomber sur la perle rare.

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