Cannes 2018 : Nos batailles

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Nos batailles

Belgique, France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Guillaume Senez
Scénario : Guillaume Senez & Raphaëlle Desplechin
Acteurs : Romain Duris, Laure Calamy, Laetitia Dosch, Lucie Debay
Distribution : Haut et Court Distribution
Durée : 1h39
Genre : Drame familial
Date de sortie : 10 octobre 2018

Note : 3,5/5

Quelle aubaine de bonnes surprises que le Festival de Cannes ! Ce compliment est sans doute vrai chaque année, mais comme nous y avons remis les pieds pour la première fois depuis très longtemps lors de la 71ème édition, nous ne pouvons qu’être bluffés par la variété et la qualité globale de la sélection. Une mention spéciale à partir de notre échantillon personnel, forcément très partiel, va au programme de la Semaine de la Critique, au fin fond de laquelle nous avons découvert notre deuxième coup de cœur du festival, Nos batailles de Guillaume Senez. A première vue, ce drame familial ne paie pas de mine, avec son intrigue dans la lignée à peu près directe de Kramer contre Kramer de Robert Benton et d’autres mélodrames semblables autour de pères qui doivent réapprendre à la dure leur rôle auprès de leurs enfants. Or, avant même que la prémisse ne se mette réellement en place, ce deuxième long-métrage nous a déjà subjugués par la justesse de son approche, simple et sans fioriture, quoique investie d’une incroyable proximité envers ses personnages. Ce regard à hauteur d’homme passe dès le début par la description du milieu professionnel du protagoniste, puis se propage sans effort apparent aux autres domaines de sa vie. Il n’y a alors rien d’extraordinaire à chercher dans cette existence banale, mis à part le drame hautement saisissant d’un homme de bonne volonté, mais rapidement dépassé par une suite d’événements qui le plonge en pleine déroute.

Synopsis : Olivier est responsable d’équipe dans un centre logistique en province. Il aime bien son travail, même si la pression exercée par les ressources humaines a tendance à l’agacer. A la maison, il peut compter sur sa femme Laura, qui jongle entre son métier de vendeuse et l’éducation des deux enfants Elliot et Rose. Tout semble se passer normalement chez les Vallet, jusqu’au jour où Laura disparaît soudainement sans explication. Tandis qu’Olivier pense d’abord au pire, il devra vite se rendre à l’évidence que sa femme l’a tout simplement quitté, lui et ses enfants. Ce sera désormais à lui de gérer à la fois le foyer familial et son environnement professionnel, devenu encore plus exigeant depuis qu’il a rejoint le syndicat.

Des céréales au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner

Des batailles, tout le monde en a à mener, parfois elles sont grandes, parfois petites. Mais le plus souvent, ces défis ne concernent que la personne qui se les lance, de gré ou de force. En somme, nous sommes tous logés à la même enseigne potentiellement laborieuse d’être un fils, un frère, un père, un ami ou un collègue – ou bien l’équivalent féminin pour les filles, sœurs, mères, etc. – sans que nos galères personnelles n’intéressent le reste de l’humanité. Chacun sa merde, comme on dit de façon familière. Sauf que le cinéma nous permet justement de prendre part aux problèmes d’inconnus, de nous arracher à notre égoïsme le temps d’une séance, afin de participer de la manière la plus magnifique qui soit à l’aventure partagée des hommes. Trêve de généralités et de lubies de cinéphile, que ce film nous inspire néanmoins avec une aisance qui force le respect. Car la qualité indéniable de Nos batailles consiste à prendre une histoire a priori déjà vue et revue mille fois et à la rendre unique grâce à une mise en scène subtilement parfaite. Rien d’excessif n’est dit, ni montré au cours du récit et pourtant, l’impact affectif du film est considérable, en raison de l’accessibilité des personnages et des situations du quotidien auxquelles ils devront s’adapter, coûte que coûte, suite au bouleversement inattendu du statu quo.

Du baume au cœur

Le don d’improvisation est en quelque sorte le meilleur allié d’Olivier, de surcroît soutenu avec panache par l’interprétation de Romain Duris, qui s’inscrit dans ses rôles précédents d’adorables losers, bordéliques au possible mais au cœur en or. Tout lui échappe, mais en même temps, ce retournement de situation lui fournit une formidable occasion pour s’ouvrir à celles et ceux qu’il prenait jusque là pour les rouages parfaitement huilés de son existence. Cela vaut évidemment pour ses enfants, dont il découvre avec étonnement les secrets plus ou moins mignons, ainsi que pour les autres femmes dans sa vie, dispersées au fil des générations et des divers champs d’activité. A ce sujet, la présence de Laetitia Dosch – décidément très demandée ces derniers temps, et tant mieux ! – va quasiment de soi ici, tellement le naturel désarmant de son personnage de sœur, elle aussi passablement déboussolée, s’intègre à merveille dans l’univers doux-amer de Guillaume Senez. Ce dernier se distingue à la fois par la rigueur des répliques, à aucun moment en décalage avec le milieu social de classe moyenne modeste dans lequel la famille subsiste tant bien que mal, et par la finesse avec laquelle y évoluent des motifs récurrents. Le plus parlant d’entre eux est ce geste en apparence sans importance de l’administration du baume cicatrisant sur le torse d’Elliot, dont le sens change radicalement avec une intelligence et un sens de l’observation inouïs les trois fois qu’il survient.

Conclusion

Il ne faut pas grand-chose pour nous rendre heureux d’un point de vue cinématographique, juste un film capable de prendre ses personnages et son public au sérieux, sans en faire tout un plat formel, mais en ayant pleinement conscience des enjeux de son intrigue. Nos batailles est de ceux-là, une tranche de vie entièrement réussie, car profondément touchante par sa façon de relayer le drame intimiste d’un père aux nombreux retentissements dans un monde des plus abordables.

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