Cinélatino 2018 : Matar a Jesus

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Matar a Jesus

Colombie, Argentine, 2017
Titre original : Matar a Jesus
Réalisatrice : Laura Mora
Scénario : Laura Mora & Alonso Torres
Acteurs : Natasha Jaramillo, Giovanny Rodriguez, Camilo Escobar
Distribution : Bobine Films
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 8 mai 2019

Note : 3/5

La Colombie, pays de drogues, pays de violence et jusqu’à récemment pays de guerre civile aussi. Les clichés ne manquent pas pour décrire cette nation sud-américaine dont le reflet cinématographique se fait plutôt discret sur les écrans européens. Toutefois, il y a eu un film colombien qui nous avait fortement impressionné au début du siècle, La Vierge des tueurs de Barbet Schroeder, un tour de force formel alors que les caméras numériques étaient encore au stade embryonnaire et surtout une plongée vertigineuse dans un monde de crime et de passion. Étrangement, Matar a Jesus a plusieurs points en commun avec cette histoire d’un écrivain tombé amoureux d’un jeune tueur, qui se fait à son tour tuer par le futur amant du personnage principal. Aucune connotation gaie n’est à signaler dans le film de Laura Mora, mais sinon l’intrigue s’apparente tout de même considérablement au film précité avec ce mélange fort ambigu d’amour et de haine, inspiré ici de l’autobiographie de la réalisatrice. Présenté en compétition au Festival Cinélatino, son deuxième long-métrage vit ainsi d’une authenticité forte, véhiculée de même par les acteurs non professionnels. C’est grâce à eux que la sensation de déjà-vu ne devient pas trop pesante dans ce film, qui dresse malgré tout le portrait d’une Colombie à cran.

Synopsis : Paula est une jeune étudiante épanouie, passionnée de photographie, quand son père, professeur à l’université de Medellin, est brutalement tué dans la rue devant ses yeux. Elle se remet difficilement du choc, d’autant plus que la police ne semble guère empressée de trouver l’assassin. Quelque temps plus tard, alors qu’elle recommence enfin à sortir avec ses copines, elle croise par hasard le tueur présumé dans un bar. Jesus est un petit criminel, toujours aux aguets, qui se laisse cependant séduire par le comportement bizarre de Paula. Or, si la fille de sa victime est déterminée dans son désir de vengeance, elle tardera à le mettre concrètement en pratique.

¡ Stockholm llamando !

Fille de bonne famille devient justicière sanguinaire à la suite d’une tragédie personnelle : dans le cadre d’une production hollywoodienne à l’idéologie tendancieuse, la prémisse de Matar a Jesus aurait sans doute pris cette direction-là, en guise d’expiation de toutes les frustrations qu’un appareil judiciaire au fonctionnement lourd et opaque peut provoquer chez des victimes impuissantes. Heureusement, Laura Mora fait preuve d’un peu plus de finesse dans le traitement d’une thématique au bagage psychologique conséquent. Sa narration sait rester dans une dynamique viscérale, comme si le stress suscité par les coups de feu venus de nulle part et pourtant responsables de l’écroulement de l’existence de toute une famille ne retombait jamais réellement. La tension demeure ainsi palpable tout au long du récit, rythmé par des explosions de rage, elles aussi imprévisibles. Et derrière cet état d’esprit fiévreux demeure en permanence un drôle de doute, qui n’est de la part de Paula ni tout à fait de la lâcheté, ni un attendrissement romantique et encore moins un abandon érotique aux avances indécises de ce sale gosse, un pauvre type qui est à sa façon une victime de l’exploitation sociale proche de l’anarchie dans les quartiers défavorisés de Medellin. Ce frein subtil à l’action, on le retrouvera à la fin du film, lorsque son titre est démenti d’une manière astucieusement optimiste.

Medellin, la ville écarlate

Quant à la Colombie, elle n’a pas vraiment le beau rôle dans cette histoire sombre. Les décors le plus souvent plongés dans l’obscurité nocturne, tout comme le milieu peu fréquentable dans lequel le personnage principal s’introduit contre toute raison participent à un sentiment diffus d’hostilité. Ce qui ne veut pas dire que les séquences d’immersion enivrante font complètement défaut au film, notamment lors de ces virées en moto la nuit, soit en bande avec des acrobaties spectaculaires, soit en couple en descendant la chaussée vers une étendue féerique de lumières de la ville. A ces moments-là, toutes les dispositions de l’étudiante endeuillée de se venger froidement ont l’air de voler en éclats ou, en tout cas, elles se voient considérablement relativisées par la découverte d’un style de vie très loin de la bourgeoisie préservée sur laquelle elle avait su jusque là compter pour construire son existence d’adolescente. Il s’agit alors moins de la confrontation caricaturale et sommaire de deux cultures diamétralement opposées que d’une leçon d’humanité et de conscience sociale à laquelle on ne se serait pas forcément attendu en tant que fruit d’un acte de violence extrême, privé de quelque explication rassurante que ce soit.

Conclusion

Même si Matar a Jesus n’a pas su ou n’a pas voulu faire l’impasse sur le motif hélas un peu trop typiquement colombien du « sicario » qui tire sans états d’âme et avec une vitesse foudroyante depuis sa moto sur une victime ignorant tout de sa fin imminente, le film de Laura Mora s’abstient sinon des poncifs folkloriques habituels. C’est un film qui sait en quelque sorte prendre le temps de la réflexion, malgré le cercle vicieux de l’urgence – selon la loi archaïque du talion – dans lequel des assassinats jamais vengés par voie légale peuvent instinctivement conduire.

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