Critique : Ex machina

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Ex machina

Royaume-Uni, 2015
Titre original : Ex machina
Réalisateur : Alex Garland
Scénario : Alex Garland
Acteurs : Domhnall Gleeson, Alicia Vikander, Oscar Isaac
Distribution : Universal Pictures International France
Durée : 1h48
Genre : Science-fiction
Date de sortie : 3 juin 2015

Note : 3/5

La différence entre l’intelligence artificielle et naturelle est laissée volontairement vague dans ce premier film remarquable, qu’une partie de l’équipe de notre site a déjà pu découvrir lors de sa présentation au dernier festival de Gérardmer (cf. la critique de Julien à ce sujet). Distinguer ce qui relève encore de l’humain de ce qui appartient à l’ère nouvelle des robots y sert tout juste de prémisse à une guerre des nerfs passionnante dont les maîtres mots sont l’appréhension et le malaise affectif. A aucun moment dans Ex machina, les promesses du progrès ne réussissent en effet à dissiper un climat de méfiance oppressant, qui va crescendo sans pour autant céder au règlement de compte avec une science aux ambitions divines démesurées. La maestria de l’approche de Alex Garland, à la fois scénariste et réalisateur, peut se résumer à cette intensité sourde, dont l’impact émotionnel plus efficace que tous les coups de théâtre réunis et surtout la façon presque nonchalante d’aborder différents points d’interrogation éthique sur l’évolution galopante de la science de demain nous ont sincèrement impressionnés.

Synopsis : Le jeune programmateur Caleb est l’heureux gagnant d’une loterie au sein de son entreprise, le moteur de recherche dominant Bluebook. Il aura le privilège de rencontrer pendant une semaine le grand patron Nathan dans son laboratoire isolé en Alaska. Arrivé sur place, Caleb est aux anges quand il apprend qu’il devra participer à l’évaluation de Ava, une intelligence artificielle conçue par Nathan. Dans la demeure complètement coupée du monde de Nathan, les sessions se déroulent sans accroc, jusqu’à ce que Ava mette en garde Caleb contre la duplicité de son créateur.

Rien n’arrêtera le progrès

Nathan n’est pas le seul à faire patte de velours dans ce huis-clos fascinant de la première à la dernière minute. Tous les personnages tendent à cacher leur jeu pour mieux faire évoluer la situation en leur faveur. Ce ballet prodigieux de manipulations en toutes sortes ne fournit jamais au spectateur un quelconque repère rassurant en guise de bouée de sauvetage, à laquelle il pourrait se raccrocher au cas où l’équilibre précaire du rapport de forces entre le hôte, sa créature et son cobaye humain dégénère irrémédiablement. L’aspect peut-être le plus déroutant dans ce réseau de tensions incessantes est que le ton du film est ostentatoirement paisible, comme pour mieux nous berner sur les véritables enjeux de l’intrigue qui se joue en sourdine. Dans ce contexte, l’axe de progression la plus appréciable chez Garland est qu’il n’éprouve plus le besoin de faire éclater cette bombe à retardement de faux-semblants dans un dénouement grandiloquent et aux accents criards, comme ce fut le cas dans Sunshine de Danny Boyle dont il avait écrit le scénario. Désormais, le cataclysme final s’inscrit dans le même flegme cruel et redoutable qui nous fait penser à une araignée qui embobine patiemment sa proie dans sa toile avant de lui administrer le coup de grâce.

Le meilleur des mondes

Avant l’émancipation inévitable de l’invention, le récit dresse un portrait guère plaisant de notre époque. Celle-ci se réduit ici, d’une façon hélas adéquate, à un super-riche narcissique aux airs de macho dépressif, à un petit parvenu au compas moral trop maniable, ainsi qu’à une multitude de personnages féminins, d’abord présentés comme des objets au service de l’homme avant de prendre leur revanche. Aussi beau, voire paradisiaque le cadre de vie de Nathan paraisse-t-il, il est le fruit douteux d’une misanthropie qui puise son essence vitale de la récolte des données des utilisateurs de son service, un successeur de Google à peine larvé. Dans ce récit de science-fiction à l’arrivée prochaine, celui qui tient les rênes du savoir détient également le pouvoir. Sans surprise, personne ne sait se servir de cette nouvelle suprématie de l’information à bon escient. L’issue de ce conte très subtilement édifiant ressemble par conséquent à celle d’une tragédie grecque, où tous les complots plus ou moins bien intentionnés n’auront servi qu’à l’auto-destruction d’un monde désormais dépassé par une modernité au potentiel encore indéterminé de nuisance ou, au contraire, de bienfaisance.

Conclusion

Si seulement tous les films de science-fiction pouvaient être aussi intelligents et doucement jouissifs que Ex machina ! Alex Garland y réussit brillamment sa transition du scénario à la réalisation et amène dans son sillage les interprétations inquiétantes de Oscar Isaac et de Domhnall Gleeson. Ce dernier accomplit ainsi un premier semestre 2015 de toute beauté, après ses prestations remarquées plus tôt cette année dans Invincible de Angelina Jolie et dans Frank de Lenny Abrahamson.

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