Critique : Dans les pas de Trisha Brown

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Dans les pas de Trisha Brown

France, 2016
Titre original : –
Réalisatrice : Marie-Hélène Rebois
Intervenantes : Lisa Kraus et Carolyn Lucas
Distribution : Vendredi Distribution
Durée : 1h20
Genre : Documentaire de danse
Date de sortie : 6 septembre 2017

Note : 3/5

Depuis quelques années, opéra et cinéma font bon ménage. Ce constat vise autant les retransmissions régulières de spectacles lyriques dans les salles, qui font le bonheur à la fois des spectateurs mélomanes et des exploitants, qu’un nombre croissant de documentaires prestigieux sur ce sujet, de La Danse Le Ballet de l’Opéra de Paris de Frederick Wiseman en 2009 jusqu’à L’Opéra de Jean-Stéphane Bron sorti en avril dernier. Ce pouvoir de fascination, bâti sur l’échange entre les deux arts complémentaires, se fait également ressentir dans le documentaire de Marie-Hélène Rebois, qui se sert adroitement du prétexte des répétitions pour un futur spectacle, afin de mieux vulgariser la philosophie de danse selon Trisha Brown. Le processus d’apprentissage y survient d’une façon entièrement ludique, comme une formidable invitation à l’abandon des inhibitions et des conventions qui régissent le mouvement du corps des danseuses, et par procuration du nôtre. En fin de compte, Dans les pas de Trisha Brown est peut-être un peu trop court pour réellement faire le tour de l’explosion des règles contraignantes que la chorégraphe avait entreprise à partir des années 1970. En guise d’introduction passionnante à un style de danse merveilleusement fluide, il remplit par contre entièrement son contrat.

Synopsis : En 2013, la pièce Glacial decoy de Trisha Brown est à nouveau représentée à l’Opéra de Paris. Deux des collaboratrices originales de la chorégraphe légendaire, Lisa Kraus et Carolyn Lucas, sont en charge des répétitions, tout en faisant ressentir aux danseuses d’aujourd’hui le rapport au poids du corps en mouvement, qui avait révolutionné quarante ans plus tôt la danse contemporaine.

L’effort de l’apesanteur

A l’exception de quelques documents d’archives, qui montrent sur support vidéo les créations originales de Trisha Brown, toutes les séquences de ce documentaire sont situées à l’Opéra de Paris ou inscrivent tout au moins l’édifice imposant du Palais Garnier dans la topographie urbaine de la capitale française. De ce décor quasiment unique découle alors une symbiose saisissante entre ce lieu pris au piège de son faste ancien et l’activité artistique qui s’exerce en son sein, à savoir un cursus aussi mystérieux que fastidieux en façons de bouger à première vue désordonnées. L’exploit du style de danse prôné par la compagnie de Trisha Brown consiste en effet précisément à jeter aux oubliettes la tradition de la soumission à la pesanteur et à la rigidité verticale du corps pour mieux laisser libre cours à une forme d’expression corporelle plus instinctive. Or, le degré de difficulté est encore accru dans ce genre de danse par l’absence de musique et un éternel flottement de la symétrie entre les danseuses, parfois respectée et d’autres fois volontairement laissée dans le vague. Autant dire que l’effet que cette forme de danse assez abstraite peut avoir sur le spectateur variera fortement, en fonction de sa capacité toute personnelle de se libérer justement des préconçus attribués à la danse classique et de garder un esprit ouvert face à cette conjugaison exigeante de la danse moderne.

Passion partout

La qualité majeure du documentaire ne nous paraît par contre pas sa volonté plus ou moins manifeste de rendre un hommage vibrant à Trisha Brown, disparue en mars dernier, mais de se placer en position de témoin privilégié de la passion que ses inventions chorégraphiques peuvent encore provoquer de nos jours. D’abord un simple film d’apprentissage, avec ces répétitions qui ressemblent de près à des exercices d’échauffement avant d’oser le grand saut vers l’inconnu, Dans les pas de Trisha Brown se mue progressivement en une leçon astucieuse d’art, voire de vie, qui ne manquera pas d’interpeller même les esprits les plus récalcitrants à tout changement brusque et aventureux. L’agent principal de cette odyssée vers le pays des proies faussement glaciales est Lisa Kraus dont le talent de transmission prodigieux dépasse de loin les aspects typiquement américains de son enthousiasme. Elle est moins une tornade qui remporterait toutes les hésitations sur son passage qu’une initiée généreuse, en mesure d’inscrire les difficultés physiques inhérentes aux créations de Trisha Brown dans un raisonnement artistique et intellectuel facilement accessible. Grâce à sa collaboration avec la sensiblement plus discrète Carolyn Lucas, la découverte du monde de la danse moderne, version épaules en caoutchouc et têtes de vache, devient une excursion galvanisante vers une compréhension décomplexée du corps, filmée en toute circonstance avec beaucoup de finesse par la réalisatrice.

Conclusion

On ne peut faire peut-être de plus beau compliment à ce documentaire exemplaire que d’exprimer notre envie presque irrépressible, en sortant de la salle de projection, de nous lancer à notre tour dans des mouvements forcément moins gracieux que ceux des danseuses étoile de l’Opéra de Paris. La joie de regarder et de pratiquer éventuellement soi-même la danse, Dans les pas de Trisha Brown s’en fait le chantre avec une légèreté communicative. Celle-ci ne nous convertira certes pas corps et âme en fan inconditionnel d’opéra, mais elle participe en toute modestie au projet global et essentiel du partage sans œillères de l’art sous toutes ses formes.

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