Critique : Adieu Mandalay

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Adieu Mandalay

Myanmar, Taiwan, 2016
Titre original : Zai jian wa cheng
Réalisateur : Midi Z
Scénario : Midi Z
Acteurs : Wu Ke-Xi, Kai Ko, Wang Shin-Hong
Distribution : Les Acacias
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie : 26 avril 2017

Note : 3/5

Si l’on se fiait exclusivement au matériel promotionnel – bande-annonce, affiche et photos – de ce film, ce qui est après tout le type d’approche par lequel s’enclenche habituellement de nos jours la consommation cinématographique, on pourrait croire qu’il s’agisse d’une œuvre poisseuse et fiévreuse, en mesure de tirer un vocabulaire visuel fort de paysages exotiques et de corps langoureux. Or, Adieu Mandalay dépasse sensiblement cette seule dimension contemplative pour s’attaquer avec une pudeur jamais prise en défaut à des enjeux plus concrets, en l’occurrence le sort guère enviable des immigrés en Thaïlande, réduits à une précarité matérielle et affective pratiquement sans issue. Il s’agit donc principalement d’un conte social, qui se distingue cependant, au sein de ce genre riche en poncifs édifiants, par le respect qu’il doit aux personnages, de simples travailleurs qui ne pensent qu’à leur survie économique et à celle de leurs proches, ainsi qu’indirectement au spectateur, fasciné quoique pas complètement passionné par ce parcours du combattant, qui se termine sur un coup d’éclat à première vue en rupture avec le ton résigné du récit.

Synopsis : Lianqing a payé des passeurs afin d’immigrer clandestinement depuis son Myanmar natal en Thaïlande. Sur le chemin, elle fait la connaissance de Guo, qui rejoint Bangkok de la même façon afin d’y travailler dans l’usine de textiles gérée par son cousin. Face au refus des patrons de l’embaucher sans autorisation officielle, Lianqing finit par trouver un travail, mal payé et plutôt pénible, en tant que plongeuse dans un restaurant en centre ville. Guo a gardé le contact avec elle et ne ménage pas ses efforts pour la persuader de le rejoindre à l’usine en tant qu’ouvrière. Le besoin d’avoir des papiers en règle devient encore plus pressant pour la jeune femme, quand elle perd son emploi suite à une descente de police. Elle accepte alors la proposition de son ami, tout en cherchant par tous les moyens d’obtenir un faux permis de travail.

Calculs de clandestins

Derrière la beauté manifeste de la narration opérée par le réalisateur Midi Z, pas très éloignée d’un sentiment de transe ouatée et pourtant douloureusement réaliste, il demeure un aspect profondément pragmatique au cœur du récit. Si les deux personnages principaux ont accepté de quitter leur pays natal sur le chemin inconfortable de l’immigration clandestine, c’est pour gagner suffisamment d’argent afin de pouvoir rentrer un jour la tête haute. Ainsi, tous leurs efforts pour voir aboutir ce projet existentiel se chiffrent très tôt en sommes d’argent de plus en plus mirobolantes, depuis la différence de prix entre la course à l’avant de la voiture ou dans le coffre au début du film, jusqu’à la petite fortune déboursée pour acquérir illégalement la nationalité thaïlandaise à la fin. Cet attachement à l’argent, certes né de la précarité, quoique repris sans cesse d’une façon presque maladive, va jusqu’à exercer son influence malsaine sur le lien supposément affectif entre Lianqing et Guo. Car là où l’homme entend les questions de sous comme une autre forme de séduction, selon une tradition de la galanterie asiatique qui ne saura résister longtemps à l’assaut du capitalisme pur et dur, sans limites, ni remords, son pendant féminin a d’ores et déjà mis une croix sur quelque forme de bonheur personnel que ce soit.

Apathie des apatrides

Ce qui nous ramène à la notion d’abandon des repères, évoquée plus haut, qui dépasse en fait le cadre purement formel du film. Aussi séduisant le ton de Adieu Mandalay soit-il, grâce à la distance très juste que le réalisateur sait instaurer entre l’action et le point de vue d’observateur propre au public, il est accompagné en sourdine d’une terrible détresse. En dépit de quelques moments extrêmement rares de tendresse, comme ce plan sublime des mains tenues lors de la nuit passée chastement dans la même chambre, voire d’allégresse, la danse trempée entre collègues dans la cour de l’usine, l’immense majorité de l’intrigue se caractérise par une longue série d’abus subis stoïquement. Rien de particulièrement tragique ici dans ce quotidien passé à bosser bêtement, si ce n’est le cercle éminemment vicieux dans lequel sont enfermés depuis des siècles les individus tout en bas de l’échelle sociale. Et pourtant, la finesse de la mise en scène réussit à y introduire la sensation fourbe d’usure qui culmine dans un sursaut final de violence, pour une fois extériorisée sans le moindre ménagement. Cet éclat peut avoir de quoi déconcerter les spectateurs qui s’étaient laissés amadouer par les manifestations successives de la misère, jusque là en charge quasiment exclusive du rythme du récit, et cela d’autant plus qu’aucune explication ultérieure est susceptible de relativiser le choc, contrairement par exemple à un événement aussi sanglant dans Caché de Michael Haneke. Il nous semble néanmoins cohérent dans le contexte d’un film, dont la qualité insoupçonnée est précisément de soulever les visages multiples des méfaits que doivent hélas subir les immigrés clandestins dans n’importe quel pays.

Conclusion

Même si nous sommes enclins à relativiser tant soit peu notre coup de cœur anticipé, Adieu Mandalay reste un film très juste et sobre dans sa description d’un fait social, qui se répète sous une forme ou une autre à travers la planète. La noirceur du propos, symbolisée in extremis par l’acte du désespoir commis par Guo, y entre dans une relation conflictuelle, mais doucement délicieuse, avec une esthétique moins léchée que soigneusement travaillée. De quoi attendre avec impatience le prochain film de Midi Z, un réalisateur qui sait visiblement se servir sans fausse modestie de l’outil cinématographique !

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