Sony renonce à sortir L’Interview qui tue

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Triste nouvelle, la liberté d’expression aux Etats-Unis est officiellement décédée ce mercredi 17 décembre 2014 à l’âge de 223 ans. Officiellement née le 15 décembre 1791, le jour où le Premier Amendement fut voté, elle vient d’être enterrée par les terroristes (probablement commandités par les officiels nord-coréens selon les premiers résultats de l’enquête officielle, révélés par CNN) qui ont piraté les messageries de Sony et de ses collaborateurs, ont révélé des informations personnelles et professionnelles, ont menacé de mort ses employés et les spectateurs éventuels du film L’Interview qui tue, réalisé par Evan Goldberg et Seth Rogen avec ce dernier et James Franco dans les rôles principaux. Cette COMÉDIE (ce qu’il n’est pas inutile de rappeler même si cela ne change rien à cette affaire) raconte comment l’animateur et le producteur d’un talk-show sont recrutés par la CIA pour assassiner Kim Jong-un lorsque le dictateur de la Corée du Nord, fan absolu de leur émission les invite chez lui.

interview affiche

Dès la révélation de la première bande-annonce, les menaces pressantes se sont multipliées contre la promotion et la sortie du film de façon de moins en moins détournée. En juin, le ministre des affaires étrangères nord-coréen avait déclaré que ce film était un acte de terreur, une déclaration de guerre intolérable. Le 24 novembre dernier, Sony révélait qu’elle avait fait l’objet de piratages massifs de ses données. Depuis trois semaines, des informations sur les activités professionnelles de Sony ou des mails privés moqueurs ou insultants avaient fuité en public ces dernières semaines, avec la complicité de soi-disant journalistes et/ou bloggers irresponsables qui ont évoqué en large et en travers ces révélations douteuses d’un intérêt tout relatif (voir le résumé sur cette affaire sur le site du Hollywood Reporter). Au lieu de taire ces potins dont le but était de faire plier une entreprise artistique, ils se sont fait les complices complaisants de ce qui apparaissait clairement déjà comme des attaques terroristes (mais rigolotes, donc ce n’est pas grave, n’est-ce pas?) destinées à décrédibiliser les producteurs de L’Interview qui tue! et à les faire tomber. Les premiers commentaires du scénariste Aaron Sorkin (À la Maison Blanche, The Social Network) publiés le 14 décembre dernier dans The New York Times à ce sujet sont d’une justesse dans tous les aspects du problème. Sa nouvelle réaction sur les derniers développements de cette affaire ne l’est pas moins, à lire par exemple (en anglais encore) sur le site Deadline.

Aaron Sorkin (photo : Kevin Winter / Getty images)
Aaron Sorkin (photo : Kevin Winter / Getty images)

L’affaire a donc connu un rebondissement grave aujourd’hui lorsque Sony a annulé officiellement la sortie de sa production de 44 millions de dollars. Cette annonce survient le lendemain des menaces criminelles ‘de type 11 Septembre’ proférées par un groupe qui se fait appeler Guardians of Peace qui avaient déjà revendiqué la cyber-attaque. Ces menaces ont poussé les cinq principales chaînes de salles de cinéma en Amérique (Carmike Cinemas, Regal Entertainment, AMC Entertainment, Cinemark et Cineplex Entertainment soit plusieurs milliers d’écrans pour quelques centaines de salles) à déprogrammer le film. Les représentants du gouvernement américain avaient pourtant affiché leurs doutes sur la validité de telles menaces, Barack Obama allant jusqu’à affirmer qu’il encourageait les gens à aller voir le film. Mais Sony a choisi (excès de prudence ou peur légitime?) de capituler et de valider la décision de ces programmateurs en annonçant renoncer à toute forme de sortie et ce sur n’importe quel support. Aucune édition dvd ou bluray à espérer ni même de VOD pour l’instant, autant en Amérique que dans le reste du monde. Le film qui devait sortir sur les écrans à Noël est repoussé sine die. Une telle annulation de sortie condamne de toute façon tout espoir de sortie décalée d’ampleur au cinéma car il est difficile voire impossible de se lancer dans une nouvelle campagne de sortie sur un même nombre de salles. Les chaînes ne devraient de toute façon pas accepter de le reprogrammer, la peur s’est installée pour de bon autour de cette oeuvre. En annulant cette sortie, Sony crée un précédent inquiétant.

sony pictures

Dès ce mercredi après-midi, Sony a fait disparaître de son site officiel toute référence au film, les avant-premières ont toutes été annulées dont celle qui devait avoir lieu en présence de l’équipe à New-York ce jeudi 18 décembre. Le film ne disparaît pas seulement des salles, il pourrait donc être effacé des mémoires comme s’il n’avait jamais existé, d’autant plus facilement qu’il n’a été vu pour l’instant que par un nombre limité de spectateurs lors de rares projections privées et qui pourraient rester comme les seuls témoins du contenu de ce long-métrage qui se moquait ouvertement de la dictature nord-coréenne. Un tel cas de censure à si large échelle est plus que rarissime, il s’agit d’une première, les actions contre La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese en 1988 n’avaient pas empêché sa diffusion même si l’on se souvient d’incidents criminels en France avec de nombreux blessés et un décès.

Randall Park dans le rôle de Kim Jong-un
Randall Park dans le rôle de Kim Jong-un

Cette décision choquante et inacceptable d’officialiser cette annulation de la sortie d’un film dans une démocratie à cause de menaces terroristes est une atteinte grave à la liberté d’expression et doit être saisie dans sa dimension pleine et entière.

Preuve que cette affaire ne sera pas sans conséquence, le site Deadline vient d’annoncer la décision de New Regency d’annuler le tournage de Pyongyang, un thriller réalisé par Gore Verbinski et écrit par Steve Conrad (La Vie rêvée de Walter Mitty) avec Steve Carrell dans le rôle principal, situé aussi, comme son titre l’indiquait, dans le cadre de la dictature de Kim Jong-un. Si la décision avait été annoncée la veille de l’annulation officielle de Sony, les affaires sont évidemment liées.

Désormais, n’importe quel long-métrage pourra disparaître sous la menace de groupes de pressions plus ou moins légitimes. En France, la sortie était annoncée pour le 11 février 2015 puis décalée au mois d’avril mais nul ne devrait être surpris de voir cette sortie purement et simplement annulée. Certains se soulageront en disant que cette comédie est une purge, un navet ou autre synonyme. La qualité du film n’a aucune importance. Non seulement une forme de censure inédite a gagné cette bataille mais elle a peut-être remporté une guerre menée de main de maître, il faut bien le reconnaître, par des pirates doués dans la gestion de leur entreprise de terreur. D’abord les fuites anodines relayées pour discréditer une société de production, ensuite la disparition pure et simple d’un film qui déplaisait à une DICTATURE !!! De nombreuses personnalités ont réagi à cette information, nous y reviendrons…

Pour mémoire, la bande-annonce française

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