Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 3/4

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le jury cinéma

La sélection des courts-métrages cinéma présentée dans des programmes séparés a été mûrement réfléchie par Marie-Pauline Mollaret qui espère pouvoir proposer plus de cinéma encore l’an prochain et accentuer encore plus le rapprochement de ces deux formats. Loin d’aller vers la facilité en proposant des films aisés d’accès, elle a su choisir des oeuvres capables de secouer l’imaginaire des spectateurs avec des films exigeants formellement. Ils interrogent eux aussi le monde dans lequel nous vivons (lutte, toujours) et les chamboulements intimes d’êtres humains qui ne sont pas sacrifiés par le soin accordé au style visuel et narratif. Le jury cinéma était composé de membres de l’association de cinéphiles La Boîte à Film, une association chaque année une centaine de films estampillés Art et Essai au Cinés Palace. Ses membres ont justifié la remise du grand prix au très fort Import de Ena Sendijarevic avec ces quelques mots : «Le scénario traite d’un sujet d’actualité : l’intégration des réfugiés. Ce qui nous a interpellé c’est la construction du film qui, sur des images très sobres, des situations absurdes voire cocasses, montrent des moments de vie de quatre personnes qui, au fil du récit, se rejoignent pour recomposer une famille pas encore tout à fait chez elle dans un nouveau chez soi». Il suffit d’une action de la mère, femme de ménage dans un hôpital, pour comprendre que dans son pays d’origine sa vie était différente, qu’elle a certainement fait des études de médecine, été docteur peut-être.

Cette sélection repose d’ailleurs sur des propositions de cinéma d’où ressort une économie dans les gestes et les dialogues et non pas sur des sujets traités de façon ostentatoire («la misère, c’est mal, être méchant, c’est pas bien, je le montre, aimez mon film et donnez-moi des prix»). C’est une belle vision du monde et des points de vue qui fut montrée à Epinal, avec une sensibilité certaine pour un cinéma de l’économie et un goût assumé pour le formalisme. Un goût qui ne demande qu’à se laisser surprendre par une œuvre aussi écrite et moins radicale dans sa mise en scène, que ne l’est La convention de Genève. Ce court-métrage, franchement drôle, pourrait tourner à la bagarre attendue entre racailles telle que filmée par un(e) cinéaste de la FEMIS en safari. Benoît Martin nous rassure très vite sur ses intentions avec des dialogues spirituels et ses personnages complexes et attachants. Une comédie de caractères portée par une jolie troupe de jeunes comédiens (chapeau au casting!) qui campent de façon distincte des personnages colorés et involontairement de mauvaise foi. Tous crèvent l’écran, une troupe sacrément homogène. Benoît Martin s’impose déjà comme un prometteur directeur d’acteurs et comme un auteur à suivre.

We Will Never Be Royals de Mees Peijnenburg suit le parcours d’un frère et d’une sœur condamnés d’avance en raison de leurs origines. La douceur de Tomas, ange traité en démon contraste avec le tempérament plus sauvage de sa sœur. Ils n’ont plus de parents, la mère disparaît avec une apparente indifférence de leur part après des années de désaffection qui ont détruit leurs années d’enfance. Ils ne peuvent compter que l’un sur l’autre et lorsqu’ils pensent avoir trouvé quelqu’un d’autre pour les comprendre, ils sont immanquablement trahis, déçus de ne pas trouver ce qu’ils rêvent de trouver dans leur regard. De la compassion, une loyauté, simplement un geste de réconfort, maternel ou amoureux. S’ils semblent différents, lui avec son humanité prégnante, elle au tempérament plus impétueux, ils partagent une même histoire qui pourrait virer au tragique. Au contraire, ce beau film de près de quarante minutes se révèle assez solaire. Le réalisateur décèle la bonté cachée derrière les apparences et les préjugés. C’est un film sur un lien intime entre des personnages fragiles mais au-delà de l’accompagnement de ces deux êtres, le sort qui leur est réservé est éminemment politique. Le réalisateur les aime et les défend, sans sensiblerie mais en appuyant sur l’injustice d’une société cruelle. Légères réserves sur le procédé de filmer les personnages de dos au ralenti, mais le film n’en abuse pas trop et est suffisamment fort pour ne pas souffrir de cette petite facilité qui n’empêche pas de déceler en Mees Peijnenburg un potentiel. Et on espère revoir ses deux têtes d’affiches, Jonas Smulders et Olivia Lonsdale.

Belle surprise avec le vote du public qui a opté en majorité pour Meral, Kizim de Süheyla Schwenk, l’histoire d’une jeune femme tétraplégique, contrainte de retourner vivre chez ses parents, confinée dans son lit alors qu’elle vivait en indépendance en colocation. Elle est à nouveau confrontée à leurs valeurs traditionnelles mais est aussi meurtrie par ses amis qui viennent la voir et ont du mal à accepter son état. À leur décharge, l’impossibilité de communiquer librement avec elle, ses parents agissant en chaperons /geôliers, ne les aide guère. Ce film de fin d’études produit par la Deutsche Film-und Fernsehakademie Berlin démontre là encore un talent certain dans la gestion du cadre, dans sa façon de faire vivre le huis-clos qui enferme  sa protagoniste limitée dans ses mouvements. La comédienne Denise Ankel fait preuve d’une belle expressivité mise en valeur par la jeune cinéaste.

Citons, au passage, la générosité de François Raffenaud, réalisateur de Chez soi également en compétition, qui a incité avec enthousiasme les spectateurs à voter pour sa consœur ! Sans posséder la même force, son film possède une belle sensibilité. Une femme de 92 ans rend visite à sa fille de 73 ans qui a choisi de rentrer en maison de retraite. Chacune veut convaincre l’autre de la rejoindre, aucune ne cède. En voyant ces deux films à la suite, on comprend rapidement ce qui les rapproche : l’indépendance d’esprit des individus et la liberté de choix quand on n’en a déjà ou bientôt plus. La mère a des pertes de repère inquiétants mais continue à boire un peu de vin rouge et fumer à sa fenêtre. Chacune reste elle-même, chez elle l’une tout autant que l’autre, la notion de «chez soi» étant variable selon les cheminements intimes.

Cette sélection invite deux courts-métrages d’animation et un autre entre la fiction et l’animation. Aucun des trois est moins destiné aux enfants qu’à leurs parents. Trois films, trois méthodes d’animation, trois sensations. Cour de récré de Francis Gavelle et Claire Inguimberty est un conte cruel qui démarre comme du Rohmer en version cours d’école primaire. Bruno aime beaucoup Delphine qui aime beaucoup Jérôme qui aime beaucoup Marjorie. Tout ne se déroulant pas au mieux pour tous, la chute sera tragique. L’histoire surprend, les émotions universelles à l’oeuvre affleurent pour mieux vous cueillir soudainement, encouragées par les dessins et les explosions de couleur qui reflètent les tourments contradictoires du sentiment amoureux, selon qu’il est partagé ou non.

L’oppressant Airport de Michaela Müller, créé avec des peintures sur verre, ne donnera à personne l’envie de se rendre en festival (Epinal, Toulouse, Berlin, au hasard) en avion. Tout comme Tesla du même auteur, présenté cette année à la Semaine de la Critique, Mynarski chute mortelle de Matthew Rankin mêle prises de vues réelles et décalage qui le place au carrefour de la fiction et de l’animation. Le cinéaste de Winnipeg relate les derniers instants de la vie d’un héros de la Seconde Guerre mondiale originaire de la même ville avec une liberté de style, triturant sa pellicule à l’eau de Javel pour créer des images originales qui ressemblent à des grattages de pellicule. Une tentative avortée de sauver un compagnon, un sacrifice apparemment inutile, un bel hommage, sorte de micro récit épique, selon les propres mots de l’auteur dont on attend déjà avec impatience le premier long-métrage dont il vient d’achever le tournage.

Dans Delusion is redemption to those in distress, Rachel essaie, avec sa famille, de quitter un immeuble qui menace de s’effondrer mais rien n’est facile dans un pays gangrené par la corruption. Fellipe Fernandes a été assistant réalisateur pour Kleber Mendonça Filho et ce n’est donc certainement pas un hasard si son sujet et celui de Aquarius se ressemblent (mais sans aboutir au même résultat), les deux ex critiques partageant également le même lieu de tournage, la ville de Recife moins connue sur la scène internationale que Rio. Regret donc plus grand de ne pas avoir laissé le hasard réunir ces deux auteurs dans la sélection de la Semaine de la Critique en 2016, le grand film de Filho s’étant lui retrouvé en compétition officielle mais étrangement non récompensé par le jury de George Miller (digression achevée). Crise immobilière, cynisme de ceux qui ont le pouvoir de changer les choses mais pas l’envie et une approche pas complètement naturaliste, accentuée chez Fernandes les rapproche au-delà de leur passé commun de critiques de cinéma. Le Brésil vit une crise politique forte qui se retrouve dans sa cinématographie qui, depuis quelques années, vit une évolution qualitative comme elle n’en avait pas réellement connue depuis l’apparition du Cinema Novo, en tout cas à une si large échelle.

Je passe un peu plus vite sur les dernières œuvres en lice, même si elles ont elles aussi de réelles qualités. Dans The National Garden de Syni Pappa, une petite fille prend très mal à sa défaite à un concours de déguisements biaisé par le népotisme et de drôles de penchants du président du jury. Justicière ou un peu radicale, la Miss ? Un peu des deux ! Il manque un petit quelque chose à mon goût pour relever ce court mais il se déroule plaisamment et intrigue presque jusqu’au bout. Le rêve et le cauchemar résument bien les deux derniers voyages dans l’inconscient : Hiwa de Jacqueline Lentzou, récit d’un rêve où la parole prend un peu trop le pouvoir sur les images alors qu’elles sont suffisamment explicites dans leur mystère (si c’est clair). AXN de Jean-Marie Villeneuve, autre œuvre auto-produite avec Chez soi, est une histoire explosée de triangle amoureux. On sent un peu trop l’influence de David Lynch dans cette construction et dans l’étrangeté des images, mais il manque l’intensité émotionnelle toujours à l’oeuvre chez le réalisateur de Mulholland Drive qui ne laisse que très rarement la forme étouffer le ressenti. Mais malgré l’absence de budget, une envie de cinéma se laisse entrevoir, avec quelques belles idées oniriques. Ne manque qu’un ressenti plus intense…

Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 1/4

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