Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 2/4

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Ces quelques jours de projections ont permis de donner aux spectateurs des idées de voyages en France ou a l’étranger. Cartes postales touristiques ou captations de beautés éternelles, on peut avoir envie de se perdre dans ces lieux dans lesquels ils se sont promenés et où ils ont trouvé une inspiration pour faire partager leur plaisir et faire (re)découvrir des lieux de culture et/ou de promenade. Ici des œuvres d’artistes (Henri Matisse, la joie de vivre de Jean-Pierre Simon), là des lieux aimés et magiques montrés dans leur beauté ou leur richesse, le Pôle Nord dans Ultima Thule du norvégien William Bruce, l’Argentine via ses centaines de variétés de cactus dans Los cardones de Claude Kies ou plus près de nous à Paris pour aller au parc de Bagatelle au fil du temps et des saisons. Ils peuvent aussi nous donner à repenser à des époques éloignées de nous, la Première Guerre Mondiale par exemple, période de prédilection des diaporamistes, grâce à des photos et à des lettres du passé, des documents familiaux parfois. Dans Se souvenir, Marie-Françoise Bordier revient avec émotion sur ceux qui ont vécu les tranchées de 14-18, dont son propre grand-père. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire est sa bande-son un peu attendue, avec la chanson Le Petit soldat de Florent Pagny ou la Gnossienne d’Erik Satie.

Parmi ces films à tendance informative, certains se sont un peu plus démarqués par la façon dont ils ont traité leur sujet. Sobrement certes, mais en piquant notre curiosité. On découvre un objet et un métier dans La lutherie, une divine passion de Gérard Duchein, Danielle Lallemand et Ramon Vilagine (oui, le jeu de mots du titre a une raison). On accompagne de sa «naissance», lorsque le bois est extrait de l’arbre jusqu’au premier son joué par le musicien qui se l’appropriera. On aurait pu le suivre plus longtemps cet instrument, jusqu’à son premier concert mais les diaporamas sont limités à 12 minutes (mais quelques exceptions sont tolérées). Ceci oblige ceux tentés par un long exposé fastidieux et bien trop longs (de quelle poutre me parlez-vous, madame ?) de se contenter de se limiter à la substantifique moelle du sujet. Un joli travail documentaire qui apporte autre chose à l’exercice du diaporama que les précédents films plus cinématographiques cités auparavant, sans pour autant démériter, loin de là.

https://youtu.be/ZRbe8AfBLII

Suzanne raconte, sans didactisme et sur une narration vivante, la vie et l’oeuvre de la peintre Suzanne Valadon. Calnevari est né d’un article dans Le Point sur un village à vendre situé entre la Californie, le Nevada et l’Arizona (d’où son nom). Poussés par la curiosité, Claude et Michelle Hébert ont rencontré l’étonnante Nancy Kidwell, propriétaire dudit village et veuve d’un pionnier local qu’elle a rencontré alors qu’il avait 62 ans et elle, 28 lorsqu’il a donné des cours de pilotage d’avion. Ensemble, ils ont transformé une partie du désert en entreprise prospère avec casino, motel et autres commodités. Son premier mari, Slim, puis le deuxième, fils du premier (d’un premier mariage attention, on n’est pas dans Game of thrones) sont enterrés côte à côte dans un terrain joliment emménagé. L’air de rien, les auteurs de ce diaporama ont rencontré en 2015 une femme qui fut mariée à un homme né en 1903, ça donne un peu le vertige !

L’idée de lutte était aussi dans l’inclusion de courts-métrages à côté et même au milieu des diaporamas, une idée qui a surpris les auteurs spinaliens, ceux qui viennent tous les ans ou presque, certaines années en compétition, d’autres comme simples spectateurs et compagnons fidèles. Ce festival riche de plusieurs décennies était jusqu’alors reconnu pour cette forme d’expression uniquement. Petite révolution, future grande, cette année dite zéro risque de devenir le premier jalon d’une évolution indispensable vers un rendez-vous hybride prometteur entre deux formats qui s’ignoraient superbement. Le monde du cinéma connaît-il cette forme d’expression ? Peu probable…

Plutôt que de donner l’impression de renier ses origines, cette nouvelle orientation pourrait bien faire découvrir à des adeptes du 7ème Art traditionnel un mode d’expression cousin mais qui bénéficie d’une reconnaissance bien moindre. Un bel exemple de cette passerelle facile à franchir malgré les apparences et les craintes de certains habitués est celui évoqué par Michel Mollaret, le président du festival. Lors de la présélection 2016, un jeune auteur, Thomas Rapenne, a tenté de présenter une œuvre étonnante, un projet de portrait tourné en une après-midi dans un garage, intitulée Hypocrisie dans la section photo. Il a plu unanimement au comité (on le comprend) mais a finalement été refusé car tourné intégralement en vidéo alors que les prises de vue doivent rester majoritairement en images fixes. On vous en épargne les conditions et de toute façon, selon la «tentative de définition» du format sur le site officiel, «l’implacable réplique « mais ce n’est pas un diaporama ! »» est un grand classique de ces festivals. Finalement, ce film est invité cette année en tant qu’oeuvre de cinéma qui a failli être reconnue comme œuvre photo dans la section De courts en courts, une première tentative, à Epinal voire ailleurs, de mêler les courts-métrages photo et cinéma. Une approche qui s’est révélée particulièrement pertinente par le choix des œuvres.

Lors de cette soirée hybride, neuf autres films étaient proposés, quatre autres cinéma en plus de Hypnose et cinq en images fixes. Un programme pédagogique dans le sens où il a parfaitement souligné les convergences. D’un côté, des diaporamas qui explorent une matière cinématographique, de l’autre des courts-métrages de cinéma qui auraient pu être créés en images fixes. Ce programme homogène inclut, entre autres réussites le post apocalyptique Le Dernier Éléphant de Gruppo Giefesse et son protagoniste portant un masque à gaz pour survivre désespérément seul dans un monde mort ; KL de William Henne et Yann Bonnin, évocation des camps de concentration qui partage la force du Fils de Saul dans son art du hors-champ à travers des photos défilent rapidement, ne révélant que le lieu décrit qu’en bout de course ; le suédois Spår (Voies) de Gunnar Bergdahl et Annica Carlsson Bergdahl, suite de témoignages de conducteurs de trains témoins de suicides ou d’accidents qui les marqueront à jamais après avoir partagé bien involontairement les derniers moments de ceux dont ils se voient souvent comme des bourreaux ou L’Immense retour de Manon Coubia, Léopold d’or à Locarno en 2016 qui s’achève sur un plan fixe de plusieurs minutes qui a décontenancé l’auditoire. Elle évoque la découverte en 1999 du corps de Georges Mallory disparu en 1924 près de l’Everest et préservé dans la glace pour l’éternité. Oui, on pense à l’histoire racontée dans 45 ans d’Andrew Haigh. Comme le disait Marie-Pauline Mollaret, membre du comité de sélection des courts-métrages à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, en charge de la préparation de ce programme intermédiaire conçu en symbiose avec son père Michel, il n’est pas utile de préciser quel est le format de l’oeuvre projetée. Certes, on le devine aisément dans chaque cas mais pourtant on peut franchement hésiter pour certains d’entre eux. Le programme n’était pas forcément très gai mais proposait quelques moments forts de cinéma.

Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 1/4

Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 3/4

Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 4/4

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