Critique : Quelques jours de la vie d’Oblomov

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Quelques jours de la vie d’Oblomov

Russie, 1979
Titre original : Neskolko dney iz zhizni l.l. Oblomova
Réalisateur : Nikita Mikhalkov
Scénario : Aleksandr Adabashyan et Nikita Mikhalkov, d’après un roman de Ivan Goncharov
Acteurs : Oleg Tabakov, Yuri Bogatyryov
Distribution : Baba Yaga Films
Durée : 2h21
Genre : Drame
Date de sortie : 29 octobre 2014 (reprise)

Note : 3/5

Aussi marqué soit-il par des caractéristiques typiquement russes, comme le séjour estival à la datcha ou un état d’esprit fortement fataliste, ce film de Nikita Mikhalkov subjugue par sa capacité de transcender ce cadre presque folklorique, au profit de quelques vérités universelles. C’est une remarquable épopée intimiste sur un perdant, un exercice d’autant plus compliqué à accomplir que le piège de l’attendrissement ou du cynisme guette à chaque instant.

Synopsis : Ilya Ilyich Oblomov avait de grandes ambitions, quand il était parti de sa province natale pour tenter sa chance en métropole. Mais au fil des ans, son parcours était des plus médiocres. Désormais trentenaire, sa position naturelle est à l’horizontale, couché toute la journée dans son appartement dont le propriétaire veut l’expulser. Son moral neurasthénique s’assombrit encore, lorsqu’il apprend que la rente générée par les terres, qu’il a héritées de ses parents, ne suffira plus pour subvenir à ses besoins. Le seul et unique rayon de soleil de son existence morose est l’arrivée de son ami d’enfance Stolz, un homme d’affaires dynamique, qui oblige Oblomov à reprendre goût à la vie.

Maintenant ou jamais !

La dimension onirique de Quelques jours de la vie d’Oblomov devient apparente dès le premier plan du film. Celui-ci montre le protagoniste couché dans son lit d’enfant, en attendant la venue de sa mère, suivi par une introduction sous forme de retour en arrière, à une époque où l’état éveillé était encore synonyme pour ce futur fainéant invétéré d’espoir et d’exaltation. Son existence actuelle a cependant tout d’une farce navrante, rythmée par d’interminables cycles de sommeil, tout juste interrompus par des engueulades avec son fidèle serviteur Zacharie, lui aussi atteint d’un état de délabrement avancé. Dans toute sa complaisance narquoise, ce premier chapitre du film observe d’une façon tout à fait perspicace les manifestations de la dépression d’un enfant gâté. Oblomov est gros, veule et surtout incapable de faire face à une vie dont les légers contretemps le font fuir vers la douce illusion du rêve. Seul le régime draconien que lui impose son meilleur ami Stolz lui permettra de se tirer tant soit peu de cet état de léthargie généralisée. Or, n’est-il pas déjà trop tard pour ce misanthrope de se reprendre en main ou au moins de trouver une réponse satisfaisante aux questions philosophiques qu’il se pose plus à lui-même qu’à son compagnon, lors de la séquence-clef dans le sauna ?

Du romantisme bucolique

La deuxième partie du récit à forte texture littéraire procède à un changement de ton trompeur. Bien que Oblomov suive corps et âme la cure de dégraissage intellectuel et physique ordonnée par Stolz, il reste au fond de lui-même un enfant irresponsable et effrayé. L’aventure romantique qu’il entreprend avec Olga, une jeune femme par laquelle il avait été initialement intimidé au point de prendre la fuite, ne change rien au fait qu’il manque toujours d’assurance et qu’il aspire toujours à une forme d’intimité protectrice que seule une mère peut donner. La mise en scène de Nikita Mikhalkov entreprend d’ailleurs une mise en abîme habile autour de cette perte de l’innocence, qui est appelée à se répéter au fil des générations. Peu de temps avant que la voix off ne nous annonce vers la fin du film le destin futur du protagoniste, ce dernier est d’ores et déjà mis à mort, d’un point de vue sentimental, par la révélation qu’Olga avait cru bon de partager les détails de leurs échanges plus ou moins passionnels avec Stolz. La parenthèse enchantée d’un été sous le signe de l’espoir et de l’amour se referme alors sans faire de bruit, mais avec le même recul qui caractérise formellement l’ensemble de ce film, proche de la dissection nihiliste d’un parcours aussi ordinaire que tragique.

Conclusion

Devenu démesurément patriotique sur ses vieux jours, le réalisateur russe Nikita Mikhalkov était encore capable à ses débuts de percer à jour les failles de la nature humaine. Son cinquième film est ainsi habité par une sagesse mi-cynique, mi-lucide, dont le plus bel accomplissement est sa capacité de creuser au tréfonds de la mélancolie que ses compatriotes ont tendance à noyer soit dans l’alcool, soit, comme ici, dans le sommeil.

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