Albi 2017 : Ôtez-moi d’un doute (Deuxième avis)

0
967

Ôtez-moi d’un doute

Belgique, France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Carine Tardieu
Scénario : Michel Leclerc, Raphaële Moussafir et Carine Tardieu
Acteurs : François Damiens, Cécile De France, Guy Marchand, André Wilms
Distribution : SND
Durée : 1h41
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 6 septembre 2017

Note : 3/5

Qu’est-ce qui définit la paternité de nos jours, où les familles recomposées sont la norme et où les dispositifs pour se créer des repères de substitution pullulent ? A cette question, vieille comme le monde, Ôtez-moi d’un doute ne cherche point à apporter une réponse définitive. Cette comédie franco-belge insiste au contraire sur la pluralité des conceptions de ce qui fait un bon père, laissant de surcroît une place de choix à une intrigue romantique en parallèle, qui se démarque par la même fraîcheur de ton que le reste du récit. Car après tout, quelle importance que des liens de sang – ou bien leur absence – compliquent nos rapports avec les gens qu’on aime, tant qu’on les aime ? Ce qui pourrait s’apparenter à une invitation joyeuse à l’inceste sous toutes ses formes ne vise pas un rapport de force aussi cru avec les conventions sociales. Le film de Carine Tardieu se démarque plutôt par son élégance harmonieuse, ainsi que par sa capacité maintes fois mise à rude épreuve de rendre crédibles par leur humanité profonde des situations à première vue incongrues.

Synopsis : Erwan Gourmelan est un démineur, spécialisé dans l’assainissement de terrains aux dangereux vestiges de guerre. Il voue un amour sans faille à son père Bastien, assez âgé pour devoir craindre la perte de son permis bateau, et à sa fille unique Juliette, qui attend son premier enfant, de père inconnu. Les tests génétiques prénatals dévoilent un secret de famille longtemps caché : Erwan n’est pas le fils biologique de Bastien. Après le choc initial, le fils illégitime engage une détective pour trouver son vrai père. L’enquête ne dure que peu de temps et révèle que Joseph Levkine, un vieux révolutionnaire diabétique, aurait eu une aventure avec la mère d’Erwan. Ce dernier décide de franchir le cap et de confronter le vieillard. En même temps, il fait la connaissance d’Anna, une femme médecin qu’il ne tarde pas à inviter dîner. Sauf qu’il apprend avec perplexité qu’elle est la fille de Joseph et que par conséquent toute aventure romantique avec elle deviendrait impossible.

En terrain miné

Des histoires sur des quêtes tortueuses d’un père ignoré pendant des années, nous en avons déjà vu plein. La première tâche du troisième film de la réalisatrice consistait donc à dégager une approche tant soit peu originale pour cette prémisse passablement poussiéreuse. Un défi remporté haut la main, puisque Ôtez-moi d’un doute enchaîne avec une aisance impressionnante les coups de théâtre, de la collision avec un sanglier – un risque apparemment aussi très répandu dans le Tarn, où nous avons pu rattraper cette sortie de la rentrée dans le cadre du Festival d’Albi – aux bombes d’une autre époque qui explosent de façon plus ou moins maîtrisée, en passant par quelques frayeurs de santé sans gravité. Le trait raffiné de Carine Tardieu, assistée au scénario par le maître de la comédie sociale à la française Michel Leclerc, réussit en effet à alterner sans à-coups notables entre le réalisme, garant d’une banalité qui rend l’ensemble des personnages hautement accessibles, et la fiction, version humaniste. Car même si le plus grand ennemi d’Erwan et de son entourage est la maladresse de chacun, à la fois dans le rapport à l’autre et dans la place à occuper au sein d’une intrigue doucement rocambolesque, ils demeurent tous, sans exception, extraordinairement attachants, comme des amis que l’on connaîtrait depuis des lustres et qu’on aurait de la peine à abandonner à la fin de la séance. Pareille évocation du naturel dans les gestes et le savoir-être n’est point donné à chaque film et compte ainsi parmi les points forts indéniables de celui-ci.

Où t’es, papa, où t’es ?

La simplicité trompeuse des personnages ne doit cependant pas induire le spectateur en l’impression erronée que le film en lui-même soit anémique en termes d’enjeux dramatiques. Outre l’équilibre délicat déjà évoqué et maintenu en toute circonstance entre les divers aspects plus ou moins anodins de l’intrigue, le rôle de la science n’est pas à négliger, notamment lorsqu’il met en péril des sursauts du cœur diamétralement opposés à son raisonnement implacable. On pourrait y déceler l’esquisse d’une société de plus en plus en guerre contre la vérité pragmatique, en voie de croire exclusivement aux sentiments au détriment des faits. Plus globalement, le propos du film nous paraît toutefois opérer une mise en question systématique du statu quoi, aussi soyeuse la voix avec laquelle il s’exprime soit-elle. Le processus d’apprentissage affectif des personnages est à ce sujet son plus grand atout, puisque tout le monde a l’opportunité de grandir humainement – mais sans le parfum écœurant du sirop édifiant, s’il vous plaît –, suite à la révélation initiale. Tandis que les pères de la vieille génération, André Wilms et Guy Marchand, tous les deux investis d’une sagesse subtile, s’accommodent encore avec une certaine réticence du changement de leur donne familiale, leur progéniture se montre déjà plus souple dans l’adaptation à l’évolution de leurs responsabilités. Dans ce contexte, ce sont surtout François Damiens en père poule constamment dépassé par les événements et Esteban en trentenaire complètement paumé, mais guère indigne, qui surprennent positivement, alors que Cécile De France y campe une fois de plus une femme forte, en proie à des doutes existentiels qu’un peu de pragmatisme romantique et / ou érotique saura résoudre rapidement.

Conclusion

Nous n’avons rien ou presque à reprocher à cette comédie douce-amère, empreinte de la première à la dernière minute d’une humanité chaleureuse, qui ne perd pourtant jamais de vue les aléas de la vie dans toute leur coquetterie. Seule la participation de Lyes Salem à Ôtez-moi d’un doute nous paraît hélas un peu superflue, tellement son personnage de collègue d’Erwan est laissé au stade embryonnaire. Mais sinon, notre confrère Jean-Jacques ne s’est nullement trompé – bien entendu sous réserve de la capacité toujours très subjective à l’enthousiasme – en admirant cette leçon d’humanité rondement menée, découverte dans son cas dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs cannoise !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici