Critique : Miss Sloane

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1969

Miss Sloane

Etats-Unis, France, 2016
Titre original : Miss Sloane
Réalisateur : John Madden
Scénario : Jonathan Perera
Acteurs : Jessica Chastain, Mark Strong, Gugu Mbatha-Raw, Alison Pill
Distribution : EuropaCorp Distribution
Durée : 2h12
Genre : Drame
Date de sortie : 8 mars 2017

Note : 3/5

Dans le marécage de Washington festoient d’innombrables bestioles cupides. Toute tentative de mettre à sec cet environnement malsain, gouverné exclusivement par l’appât du gain, est condamnée à l’échec, surtout quand elle relève de l’hypocrisie suprême, déployée par exemple pendant la campagne de l’actuel occupant de la Maison blanche. Ce n’est pas un seul film, aussi bien intentionné soit-il, qui va y amorcer un changement de philosophie radical. La plus grande faiblesse de Miss Sloane est en effet qu’il prêche aux convertis, en exposant le type d’actions très louches, qui devrait de toute façon nourrir une suspicion permanente à l’égard de la classe politique chez les spectateurs les moins dupes des promesses électorales jamais tenues. En ce sens, il s’agit d’un film forcément tendancieux, qui ne lésine point sur les clichés de manipulations en tout genre, orchestrées par l’ensemble des participants dans un incessant trafic d’influences. Sous l’œil avisé d’un réalisateur plus adroit et virtuose que John Madden, cette histoire aurait pu devenir un pamphlet brûlant contre un système dangereusement gangrené par l’argent. Dans l’état, ce n’est qu’un drame engagé plutôt prévisible, qui permet au moins à son actrice principale de s’investir corps et âme dans son personnage d’une femme assez maligne pour tirer in extremis les ficelles … avec tout ce que cela implique en termes de revirements scénaristiques aux pieds d’argile.

Synopsis : Elizabeth Sloane est la lobbyiste la plus redoutée de Washington. Elle anticipe tous les stratagèmes de ses adversaires et excelle en même temps dans le sabotage de projets législatifs nuisibles aux intérêts de ses clients. Après avoir refusé l’offre de la part des fabricants d’armes à feu de redorer leur blason auprès de la population féminine, elle est abordée par Rodolfo Schmidt. Ce responsable d’une campagne en faveur d’une nouvelle loi plus restrictive contre la prolifération des armes à feu réussit à la convaincre de rejoindre la bonne cause. Il ne reste alors plus que quelques semaines avant le vote décisif devant le congrès, suffisamment de temps pour que la lobbyiste ambitieuse et sans scrupules fasse opérer sa magie jusque là infaillible. Son ancien employeur ne recule cependant devant aucun coup bas pour anéantir sa réputation.

L’Espion espionné

Pour un film qui vise le cœur d’un public en manque de redresseurs de torts et autres justiciers qui avancent masqués, Miss Sloane adopte un ton étonnamment cérébral. Ce qui ne signifie pas que le récit se démarque par une quelconque intelligence exceptionnelle. Juste que l’intrigue est plongée, du début jusqu’à la fin, dans un flou moral duquel la narration ne paraît à aucun moment vouloir sérieusement sortir. Tandis que le compas existentiel de Elizabeth Sloane est fermement bloqué sur une ambition égoïste qui borde à la mégalomanie, celui du propos du film aurait eu besoin de repères plus clairs pour prétendre à nous enthousiasmer outre mesure. A moins que la finalité du scénario n’ait été de nous faire naviguer à travers le brouillard des affaires, par ailleurs pas plus épais aux Etats-Unis qu’en France, sans jamais révéler le cap de cette odyssée à travers le monde clinquant et cruel de la capitale américaine. La succession rapide des ruses, plus fourbes les unes que les autres, suit ainsi une sorte de logique dont le but n’est justement pas de créer une structure dramatique cohérente, mais d’accentuer la nature traîtresse d’un cadre professionnel où seul le résultat compte. Malgré le maintien d’une certaine ambiguïté dans cette chasse aux votes relativement fiévreuse, l’enjeu principal du film reste désagréablement flou, aussi parce que le personnage principal se complaît dans la dérobade à toute analyse psychologique ou sociale approfondie.

A vouloir trop avoir, l’on perd tout

Faute d’aspect formel plus qu’adéquat – à l’image des autres films du réalisateur, solides quoique guère exceptionnels –, le sort de Miss Sloane dépend grandement de l’interprétation de Jessica Chastain. L’actrice, abonnée aux rôles de femmes fortes, s’acquitte honorablement de ce personnage ambivalent, dont les rares failles plus humaines ne font pas vraiment le poids face au dessein du coup de théâtre final, amené sans beaucoup de finesse. Car le dilemme primordial du film réside dans la recherche d’un équilibre, en fin de compte impossible à atteindre, entre les incertitudes d’une femme de carrière a priori sans états d’âme qui peuvent miner la gestion d’une campagne idéaliste d’un côté et l’agenda édifiant brandi à tout bout de champ, qui implique que l’héroïne aura coûte que coûte le dernier mot de l’autre. Ses antagonistes dans ce duel des conceptions du monde diamétralement opposées pâtissent des mêmes insuffisances de traits de caractère, administrés peut-être un peu trop hâtivement. Alors que nous sommes ravis de retrouver des acteurs de la trempe de John Lithgow et Sam Waterston dans des emplois à peu près substantiels, la charge symbolique de leurs méfaits, tristement typiques d’un passé politique très chargé en casseroles, est hélas un indicateur indubitable du discours global du film. Celui-ci brosse finalement trop large pour débusquer les petits grains de sable dont l’effet pervers fait réellement dérailler l’utopie démocratique.

Conclusion

Ce n’est que grâce au courage de quelques rares esprits éveillés et prêts au sacrifice que le modèle de nos civilisations occidentales n’a pas encore complètement capoté. Un film comme Miss Sloane cherche valeureusement à colporter ce type de message. Il y parvient certes avec un degré d’efficacité tout à fait satisfaisant. Mais il évite de s’attaquer sans ménagement à l’état gangrené du statu quo lui-même, hautement imperméable à ce type d’histoire au moins aussi trouble dans ses motivations et son essence idéologique que dans le domaine d’un raisonnement scénaristique basique.

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