Critique : Lumières d’été

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Lumières d’été

France, Japon, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Jean-Gabriel Périot
Scénario : Jean-Gabriel Périot et Yoko Harano
Acteurs : Hiroto Ogi, Akane Tatsukawa, Yuzu Horie, Keiji Izumi
Distribution : Potemkine Films
Durée : 1h23
Genre : Drame fantastique
Date de sortie : 16 août 2017

Note : 3/5

« En France, personne ne s’intéresse à Hiroshima. » Si cette réplique, issue du premier long-métrage de fiction de Jean-Gabriel Périot, peut globalement être considérée comme juste, elle est avant tout une invitation à la révision de cette attitude blasée de la part d’un peuple, guère connu pour faire un travail de mémoire conséquent sur les sévices de son propre passé. Car les bombes nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki ont beau avoir été larguées par l’armée américaine, leur retentissement humanitaire et historique appartient à l’ensemble de l’humanité. Au fur et à mesure que les générations des rares survivants s’éteignent, à l’image de celles de la Shoah, il est de notre devoir de retenir la leçon de ce chapitre très sombre de la guerre, voire de rechercher des moyens contemporains pour en tenir compte dignement. Lumières d’été participe à cette noble tâche d’une manière curieusement détournée, comme si le temps avait guéri tant soit peu les atrocités des corps calcinés et des cheveux arrachés et que l’heure était désormais à une célébration de la vie, tout de même empreinte d’une mélancolie tenace. En parallèle du parcours du personnage principal, d’abord affecté par un témoignage de première main, puis progressivement happé par une escapade passablement fantaisiste, le récit avance ainsi de l’ombre à la lumière, sans toutefois perdre de vue la chape de plomb de cette matinée fatidique du mois d’août 1945 qui pèse à la fois sur Hiroshima et ce film fascinant.

Synopsis : Le réalisateur japonais Akihiro, installé en France depuis vingt ans, revient dans son pays natal afin d’y tourner un documentaire pour la télévision française à l’occasion du 70ème anniversaire du bombardement atomique de Hiroshima. Après avoir bouclé l’entretien éprouvant d’une survivante de la catastrophe, il s’installe dans le jardin de la paix, haut lieu de la commémoration, pour se ressourcer intérieurement. Une jeune femme engage la conversation avec lui et lui apprend d’autres faits historiques sur cette zone dévastée par l’attaque nucléaire. Elle va jusqu’à l’inviter à manger, ce que Akihiro finit par accepter, presque malgré lui. Alors qu’il aurait dû rejoindre depuis longtemps son équipe, il ne peut résister au tempérament joyeux de cette inconnue.

Dans l’œil du cyclone

Sans doute par souci d’enrichissement thématique, le distributeur Potemkine Films a eu la bonne idée de joindre en exergue le court-métrage 200 000 fantômes que Jean-Gabriel Périot avait conçu il y a dix ans à Lumières d’été. Il s’agit en somme d’un montage pendant dix minutes de photos prises depuis sa construction en 1914 du Palais de l’exposition universelle, l’édifice devenu tristement célèbre parce qu’il était le seul resté debout, malgré son emplacement à proximité de l’impact de la bombe. Cette entrée en la matière donne sobrement le ton, non pas à une tentative de toute façon vouée d’emblée à l’échec de traduire par l’image cinématographique ce qui dépasse l’entendement de l’être humain, mais à une sorte d’inscription dans le temps de ces quelques fractions de seconde, qui ont mis la métropole japonaise et le monde tout entier sens dessus dessous au petit matin du 6 août 1945. Comment peut-on continuer de vivre après avoir échappé à la fournaise atomique ? Quel sens donner à la vie alors que la mémoire collective et les alentours du dôme de Genbanku seront pour toujours marqués par les traces visibles et ressenties de la tragédie ? Et le court-métrage envoûtant, et son prolongement indirect par l’intermédiaire de la fiction tentent de répondre à ces interrogations existentielles avec une élégance formelle, qui borde parfois à l’abstraction un peu trop éthérée.

Une faveur, un train et un très gros poisson

La partie la plus insoutenable du film se trouve ainsi tout au début, avant même le générique. Une rescapée y évoque en détail ses souvenirs pénibles de ce jour-là, la caméra la quittant à peine pour scruter le visage de plus en plus tendu de Akihiro, grâce au dispositif de la prise de vues pour le documentaire sur lequel travaille ce dernier. La suite s’apparente par conséquent à une cure de désintoxication de tant d’atrocités absorbées en si peu de temps par l’image ou la parole. Ceci dit, pour être tout à fait honnête, la mise en scène aménage ce cheminement vers la réconciliation avec soi-même d’une manière suffisamment adroite pour nous laisser dans un état expectatif jamais entièrement rassurant. D’une prise de contact à première vue hautement banale découle un lien de plus en plus fort entre les deux personnages principaux, selon la formule éprouvée dans la relation sensiblement plus romantique entre Céline et Jesse dans la trilogie des Before … de Richard Linklater. Or, la véritable nature de cette rencontre impromptue est peut-être explicitée un peu trop tardivement pour avoir un impact réel sur la portée de l’intrigue. Malgré quelques indices parcimonieux qui risquent de mettre les spectateurs les plus perspicaces sur la bonne piste avant l’heure, cette cachotterie à l’égard du volet fantastique du récit nous confirme plutôt dans notre opinion que ce n’est point la nature de la compagne temporaire qui y importe, mais la prise de conscience de la part de Akihiro que tout ce qui a trait à Hiroshima n’est pas exclusivement misère et lamentations.

Conclusion

Face à l’impossibilité éthique et formelle d’aborder de front la tragédie japonaise de la bombe atomique – un dilemme auquel s’était d’ailleurs déjà confronté Alain Resnais près de soixante ans auparavant avec le sublime Hiroshima mon amour –, Lumières d’été s’en approche de biais. Il en résulte un film étrangement enchanteur, une sorte de conte de fantômes qui n’est aucunement censé faire peur, mais dont la vocation est au contraire d’apporter un peu de paix et de sérénité, là où la terreur et le deuil restent encore très vifs jusqu’à nos jours. La démarche de Jean-Gabriel Périot y est moins révisionniste que tournée vers un avenir conscient du lourd fardeau du passé et en même temps ouvert à une forme d’optimisme que seul des films subtilement engagés comme celui-ci savent distiller.

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