Critique : Los olvidados

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Los olvidados

Mexique, 1950
Titre original : Los olvidados
Réalisateur : Luis Buñuel
Scénario : Luis Buñuel et Luis Alcoriza
Acteurs : Estela Inda, Miguel Inclan, Alfonso Mejia, Roberto Cobo
Distribution : Films sans Frontières
Durée : 1h21
Genre : Drame d’enfance
Date de sortie : 24 juin 2015 (Reprise)

Note : 3,5/5

L’Italie n’avait pas vraiment le monopole du courant néo-réaliste à l’issue de la Deuxième guerre mondiale. Ce mouvement, fait de films durs et pessimistes, y avait certes pris son élan, grâce à des réalisateurs comme Roberto Rossellini et Vittorio De Sica, mais son influence n’avait guère tardé à se propager dans d’autres pays. Y compris au Mexique, où l’Espagnol Luis Buñuel avait jeté un regard, lui aussi sans concession, sur une enfance délaissée, à mi-chemin entre le retour à l’état sauvage et une sublimation malgré tout tragique. Car Los olvidados a beau porter quelques signes de son temps, par exemple du côté des tentatives de justification psychologique pour la rébellion constante des jeunes, il n’en demeure pas moins un film poignant, avare en illusions et suffisamment empreint de réalisme pour ne pas faire de ses protagonistes incorrigibles des saints sans défauts. L’espoir dans sa forme la plus pure – et donc déjà en train de basculer du côté opposé de la noirceur – y sert de rempart contre quelque manifestation de misérabilisme que ce soit.

Synopsis : Le caïd adolescent El Jaïbo s’est échappé de prison et rejoint dans les quartiers défavorisés de la ville le groupe de jeunes voyous qui l’admirent avec ferveur. En compagnie de son ami Pedro, il compte confronter Julian, l’un des rares garçons à faire l’effort de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille, qui l’aurait dénoncé. Simultanément, P’tits yeux, fils de paysan, est abandonné sur un marché et trouve refuge en tant qu’assistant d’un vieux bateleur aveugle.

Tête-à-queue de têtes à claques

Le problème social de la pauvreté, qui génère des zones de non-droit peuplées de jeunes criminels en devenir, n’est nullement spécifique aux pays considérés eux-mêmes comme démunis depuis le point de vue occidental, surtout au début des années 1950. C’est ainsi que l’on peut comprendre le prologue de Los olvidados, qui, sur un ton un peu trop édifiant, fait passer en revue les lieux emblématiques des villes de New York, Paris et Londres, pour aboutir dans les bas-fonds de Mexico, aussi mal famés que les quartiers les plus douteux de ces métropoles, dont les décors touristiques avaient alors encore tendance à faire rêver le public de cinéma. Là-bas, loin de nos préoccupations sociales et culturelles, se trame pourtant au quotidien une lutte amère pour la survie, dans l’école de la rue où le plus fanfaron et fort sera toujours le roi d’un peuple de pauvres créatures, aux tronches déformées par la misère matérielle et affective. Ce n’est toutefois pas une galerie de monstres effrayants que Luis Buñuel nous présente d’une manière détachée, mais au contraire des enfants privés de l’âge de la découverte innocente et ludique, qui tentent tant bien que mal de se faire leur place dans un monde d’adultes dans lequel ils sont propulsés prématurément. La figure la plus fascinante du groupe est El Jaïbo, au physique et au charme d’éphèbe, qui cache avec une nonchalance malsaine des plus troublantes les motivations réelles derrière ses manipulations machiavéliques. En comparaison, Pedro, la conscience morale du récit – si une telle chose existait dans le contexte d’une intrigue ponctuée d’échecs d’intégration dans le tissu social précaire du quartier –, est traité en quelque sorte comme le vilain petit canard, abandonné lâchement sur une décharge, tandis que son complice avait eu au moins droit auparavant à un adieu aux accents de martyr.

Les erreurs se paient

Les adultes sont, quant à eux, tout sauf un repère dans ce conte moral profondément sombre. En dépit de l’appel initial aux bonnes volontés collectives et du leurre d’une voie de sortie à la misère par le biais de l’institution pénitentiaire pour jeunes récupérables, il ne paraît point envisageable qu’un personnage sans reproche vienne à la rescousse des délinquants en herbe, quoique d’ores et déjà embourbés dans des eaux morales troubles. Les premières impressions à peu près prometteuses ou en tout cas neutres de ces hommes et de ces femmes, qui devraient servir d’exemple à leur progéniture, s’avèrent ainsi vite trompeuses, dès que le regard cru du réalisateur démasque leurs propres faiblesses. Le musicien aveugle, la cible préféré des voyous puisqu’il s’agit d’une proie facile et en même temps un vecteur de pitié presque caricatural pour le spectateur, est en fait un réactionnaire vulgaire, voire un maître d’esclave dépourvu de tout compassion à l’égard des jeunes gens. La mère de Pedro, étrangement sublimée dans la séquence onirique que nous ne considérons pas comme l’aspect narratif le plus réussi du film, a un code de conduite à peine plus valeureux que celui d’une prostituée, même si le remords s’y mêle de temps en temps. Le directeur de l’école-prison a beau croire en le potentiel de chacun de ses pensionnaires, ses méthodes pédagogiques s’avèrent pitoyablement naïves face à la cruauté du microcosme urbain. Enfin, le grand-père, a priori le seul et unique dépositaire d’une autorité quelconque, se montre in extremis aussi moralement corrompu et fourbe que les autres individus, inscrits avec une résignation qui fend le cœur sur la très longue liste des exemples à ne surtout pas suivre.

Conclusion

Dans les films de la deuxième partie de sa carrière, de retour en Europe, Luis Buñuel allait développer son propre style de perversion dans la forme et dans le fond. A ses débuts, cependant, s’il affichait déjà une noirceur de propos parfois difficile à supporter, ses films se démarquaient par une certaine pureté. Comme Los olvidados, une œuvre en quête d’un réalisme social, auquel elle accède plutôt brillamment, également grâce à la photographie sans fioriture de Gabriel Figueroa.

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