Looper: Rencontre avec le réalisateur Rian Johnson

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Willis, Gordon-Levitt

Willis, Gordon-Levitt

Jeudi 18 octobre, Paris sous la pluie, nous sommes invités par SND dans un grand hôtel du 8e arrondissement afin de participer à une table ronde avec le réalisateur Rian Johnson pour parler de son film, le très attendu Looper. C’est un homme ultra sympathique, peu avare en informations et surtout très accessible qui s’est livré au jeu des questions réponses. Retenez-bien son nom, le bonhomme est bien parti pour être l’un des gros réalisateurs de demain.

 

Quelles ont été vos influences sur Looper ?

Quand j’ai eu l’idée du film je lisais beaucoup de livres de Philip K. Dick qui a été une bonne influence, je pense que ça a avoir avec ça. Mais spécifiquement à propos du voyage dans le temps ma référence a été Terminator, parce que Terminator comme Looper ne sont pas des films qui traitent du voyage dans le temps mais s’en servent comme toile de fond. Le voyage temporel sert à confronter des personnages à une situation, ce que Terminator avait fait à merveille, ne pas l’utiliser comme une fin mais comme un moyen et c’est le point de départ de la narration.

 

Comment est venue l’idée principale du film ?

J’ai écris les prémisses de cette histoire il y a environ dix ans donc je ne peux pas me rappeler exactement comment ça a commencé. Je sais que c’est parti avec l’idée qu’un jeune homme et un homme plus âgé s’affrontent, se retrouvent à se chasser l’un l’autre. Le film est pour moi un vecteur pour étudier le tempérament humain.

 

Vous étiez déjà sur une mécanique de voyage temporel ?

C’est en fait le scénario d’un court-métrage que j’ai adapté en long. C’était un scénario de trois pages et j’ai repris la voix off de Looper qui était prévue pour le court-métrage original.

 

Vous avez fait un vrai film d’animation avec le trailer de Looper ; d’où vous viens cette idée ? (à voir ici)

Après avoir écrit le script et avant que nous attaquions le film. En fait c’est quelque chose d’assez commun aujourd’hui, parce que le script a des idées complexes à propos du voyage dans le temps et c’était un moyen de faire comprendre le film aux producteurs. J’ai donc fait un faux trailer avec des clips animés dans le but de montrer cela, ça n’avait pas d’autres buts que d’expliquer le film. Je sais que le script est complexe et je voulais le présenter d’une manière qu’il soit simple à comprendre et qu’on pouvait le vendre au public. Je pense que ça a aidé mais je ne suis plus très sur de ma manière d’aborder ce trailer aujourd’hui.

bruce willis

Vous avez réalisé ces derniers temps des épisodes de série (Breaking Bad en particulier), comment cela s’insère-t-il dans votre carrière, et aimeriez-vous développer une série télé ?

J’adore la télévision, c’est pour moi un super média. Aujourd’hui je suis surtout concentré sur le cinéma, faire mes films et raconter mes propres histoires et je suis vraiment chanceux de pouvoir faire mes propres films. Je ne sais pas combien de temps cela durera, surement pas éternellement, donc j’en profite autant que possible. Mais j’apprécie vraiment travailler pour la télé. Et quand un projet comme Breaking Bad se présente, vous ne pouvez pas refuser. Je profite du cinéma avant tout et après la télé pourra revenir ou non, cela dépendra du développement de ma carrière au cinéma.

 

L’implication de Bruce Willis est-elle venue par rapport à l’histoire ou est-ce le fait de travailler avec vous ? En tout cas cela fait un moment que l’on avait pas vu Bruce Willis dans un tel rôle et cela fait plaisir !

Il a vraiment répondu au script. Je crois que c’est la première personne à qui nous l’avons envoyé et je n’avais pas beaucoup d’espoir qu’il dise oui. Le rôle est tellement sombre que je pensais qu’il refuserait. Et il a dit oui presque immédiatement, il est revenu vers moi très rapidement, nous avons déjeuné ensemble et boum il faisait le film. Donc il n’a jamais remis en question la moindre partie du script et n’a jamais dit « ce passage est trop sombre, je ne veux pas faire ça », non ; il a entièrement crée sa performance sur le personnage tel qu’il était décrit. Il a toujours voulu faire progresser le personnage autant qu’il le pouvait.

 

Pour retourner à l’histoire telle que vous l’avez écrite, avez-vous écrit la fin au début ou est-ce que la fin est venue naturellement ? Dans quel sens le film a-t-il été écrit ?

La fin était là depuis le début, dés le court-métrage de trois pages. Tout partait de là et de la notion d’un personnage au départ très égoïste et qui finit par faire un acte totalement désintéressé. Ça a toujours été clair dans ma tête. Tant de décisions que nous avons pris sur la réalisation, le jeu des acteurs, le scénario… avaient pour unique but cette fin et faire en sorte qu’elle soit réussie. Mais j’ai commencé par le début afin d’arriver à cette fin. J’étais terrifié par la fin, c’était un moment difficile pour qu’elle soit satisfaisante pour le public. J’ai travaillé dur afin qu’elle soit telle que je me l’imaginait et pas ouin ouin ouin ouin [il mime un jingle, ndlr], ce côté beaucoup de bruit pour rien, je voulais une fin aussi puissante que je me l’imaginait dans ma tête.

 

Brick était un film noir. Comment le genre du « film noir » vous a influencé ?

J’aime travailler avec ce genre mais c’est avant tout un outil, on ne fait pas un film en prenant des éléments par-ci par là dans tous les genres différents pour les imbriquer les uns dans les autres, ce n’est pas du tout l’intérêt. Je pense que c’est l’émotion de départ pour un film et pour une histoire que l’on a envie de raconter, d’un sentiment que l’on a envie de faire passer et qu’ensuite c’est dès que l’on a ce sentiment, ce point de départ, que l’on va insérer les éléments « film noir », que l’on va intégrer pour devenir une sorte de tapis émotionnel qui va cristalliser différentes émotions au travers de différents genres. C’est un outil et pas une fin en soi.

 

Quand on voit votre film, on pense aux films de John Ford, vous en êtes-vous inspirés ?

Oui dans la seconde partie du film ça évolue vers le western de science-fiction alors que la première partie est plutôt « film noir » avec son ambiguïté morale, la deuxième partie est plus sur la solidité morale, c’est-à-dire les valeurs du western. Mais paradoxalement ce qui m’a le plus influencé a été Witness de Peter Weir avec Harrison Ford qui commence dans une gare et qui finit chez les Amish dans un village très reculé et on retrouve dans Looper les éléments de la mère célibataire qui vit dans cette ferme avec un enfant, donc oui c’est probablement Witness qui a eu le plus d’influence, plus encore que les westerns de Ford.

 

Dans les inspirations, il semble y avoir également beaucoup Stephen King, le côté petite ville, l’enfant… ?

Je n’ai dû lire que deux-trois romans de Stephen King, la série de La Tour SombreLe Talisman… Je n’ai pas beaucoup lu cet auteur. Donc non, la plus grande influence pour l’enfant fut Katsuhiro Ōtomo qui est un dessinateur de mangas japonais qui a posé les fondations d’Akira  avec un livre appelé Dōmu [Rêves d’enfants, ndlr], ce fut une grosse influence dans toute l’imagerie de la deuxième partie du film. Mais j’ai vu à peu près cent fois Charlie sur le câble quand j’étais petit donc l’influence de Stephen King n’est peut-être pas si anodine que ça (rires).

JGL

Pour en revenir à la télévision, aimez-vous Doctor Who par exemple ?

J’ai regardé Doctor Who dans ma chambre d’hôtel ces deux derniers jours (rires). J’ai commencé avec la saison 5 et j’ai regardé jusqu’à la fin, et je suis retourné en arrière pour voir la une et la deux, c’est excellent, surtout si comme moi vous aimez H2G2 le guide du voyageur galactique. Je dois regarder Firefly -C’est génial [commentaire d’un rédacteur ndlr] -Ok, je dois voir ça ! J’aime les bonnes séries sf. J’ai vu le film qu’ils ont fait après l’arrêt de la série mais je veux quand même voir la série.

 

On sait que vous êtes monteur également. Pourquoi ne pas avoir fait le montage de Looper vous-même ? Est-ce que c’est quelque chose qui vous intéresse toujours ?

C’est une bonne question. J’ai pensé à le faire et mon producteur m’a convaincu de rencontrer certains monteurs. Une chose importante est que l’étape de la postproduction commence tôt et vous devez commencer le montage lors du tournage, en parallèle. Ne pouvant me multiplier j’ai trouvé un type Bob Ducsay avec qui je m’entend très bien. Ce fut un processus de travail vraiment unique parce que je suis monteur donc Bob faisait le montage et moi le mien dans ma tête, et nous avons travaillé de manière traditionnelle: Bob était le monteur du film et était de fait très critique, j’ai eu une belle expérience de pouvoir travailler avec lui. Donc je ne sais pas, quand je tourne je pense à la façon dont les plans vont s’imbriquer les uns aux autres. Je pense que ça vient des films que je faisais enfant avec ma caméra, vous ne pouvez faire qu’un plan et le montage est immédiat, il faut donc réfléchir à la manière dont vous allez tourner, vous montez en même temps que vous filmez. Mais sur ce film j’ai trouvé en Bob une voix discordante et ça a été très utile.

 

Est-ce que Bruce Willis a été impliqué dans la performance à l’écran de Joseph Gordon-Levitt ?

Joe l’a étudié pour créer sa performance. Il n’y a pas eu de collaboration étroite, c’est surtout lui. Bruce Willis a juste enregistré les phrases des voix off du film et les a fait écouter à JGL pour qu’il sache comment les dire et s’inspirer de ça. Mais non ce fut surtout Joe qui a étudié Bruce, étudié ses films, imité sa voix et sa performance.

 

La notion d’abandon est très importante dans le film, comment devient-elle un moteur pour les personnages ? [Spoilers]

L’abandon n’est pas le moteur central, je pensais à mon final: l’acte désintéressé du personnage de JGL qui donne une nouvelle chance à Cid d’avoir une meilleure vie et je me suis posé la question de savoir ce qui justifiait ça. Il ne pouvait pas le faire uniquement par amour pour le personnage d’Emily Blunt, ou par la haine qu’il a pour le personnage de Bruce Willis, son lui-même vieux. Je me suis dit que la meilleure façon de justifier cet acte est dû au fait que Joe a perdu sa mère étant petit donc il va essayer de devenir meilleur et de donner cette nouvelle chance qu’il n’a pas eu à cet enfant. L’idée vient de là mais j’aime beaucoup jouer sur différents thèmes dans les relations entre Abe et Kid Blue, dans les relations entre Joe vieux et sa femme… C’est un thème récurrent mais qui n’est pas le thème central, c’est un thème avec lequel on joue mais qui ne sert pas de justification aux arcs scénaristiques.

 

L’enfant qui joue Cid est exceptionnel comme c’est un personnage sombre. Est-ce que ce qu’on voit dans le film est une vraie performance ou vous avez pu l’obtenir avec le montage et beaucoup de prises ?

Souvent avec les enfants on doit tourner ligne par ligne et c’est construit artificiellement. Pierce était assis et avait une scène de trois pages de dialogue. Il arrivait, récitait son texte et c’était bon pour ce qu’on voulait dans le film. Il avait 5 ans à l’époque du tournage, et il a ce côté acteur-né puisque même quand il jouait ses scènes avec d’autres comédiens, il ne faisait pas que réciter son texte mais il regardait aussi les autres acteurs, les écoutait, se nourrissait de ça. Il a beau avoir 5 ans, c’est déjà un grand acteur.

 

Pour rester sur les enfants il y a ce côté très noir dans la relation du vieux Joe avec les enfants. Mais est-ce que ça n’a pas été compliqué dans le montage final ? [Spoilers mineurs]

C’est un moment que j’ai pris très au sérieux. C’est avant tout la justesse que je recherchais, j’avais peur que si je poussais le curseur un peu trop loin dans la violence, le public le perçoive comme un moment où l’on essayait vraiment de choquer pour le plaisir alors que ce n’était pas du tout mon intention. C’est une scène très importante pour moi et j’ai joué sur de petits détails, comme le fait de rallonger des plans où l’on voit l’arme etc… Je voulais que la violence soit suffisamment importante pour qu’on la ressente mais je ne voulais pas qu’on perçoive ça comme un acte gratuit, que cela garde un équilibre entre le sens et la justesse de cette scène.

C’est marrant car plus tôt dans la journée un autre journaliste m’a demandé si j’avais envisagé de montrer l’enfant se faire abattre, c’est un problème culturel: aux États-Unis c’est absolument inenvisageable donc c’est également l’un des freins (rires).

Emily Blunt

Sur les scènes les plus violentes, est-ce que l’entourage de Bruce Willis a dit non ?

Je n’en ai jamais entendu parler !

 

J’ai entendu qu’en Chine ils avaient un extended cut avec un montage plus long. Est-ce que ça signifie que nous auront droit à un director’s cut en DVD ?

Non, le montage du film dans sa version internationale est mon director’s cut. Les scènes supplémentaires en Chine sont faites pour le public chinois. C’est parce que notre distributeur chinois s’est proposé de payer tout le voyage pour qu’on vienne tourner là-bas [initialement, les scènes auraient dû être tournées à Paris mais n’ont pas pu l’être faute de moyens, ndlr]. Mais je pense que le montage américain et européen est le meilleur !

 

Quel est votre prochain projet ?

Désolé, nous n’avons plus  le temps (rires, il se tourne vers l’attachée de presse). Une réponse très courte: j’y travaille mais c’est encore embryonnaire. Mais c’est un film de science-fiction, très différent de Looper.

 

Interview audio:

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Looper sort en salles mercredi 31 octobre. La critique.

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