L’Odyssée de Pi

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tigre

afficheL’Odyssée de Pi

États-Unis : 2012
Titre original : Life of Pi
Réalisateur : Ang Lee
Scénario : David Magee
Acteurs : Suraj Sharma, Irrfan Khan, Adil Hussain
Distribution : Twentieth Century Fox France
Durée : 2h05
Genre : Aventure, Drame
Date de sortie : 19 décembre 2012

Globale : [rating:4][five-star-rating]

Ang Lee a eu un gros loupé dans sa carrière avec l’ignoble Hulk, chose qu’on lui pardonne aisément grâce à deux films devenus, sans être trop galvaudé, des oeuvre cultes à savoir Tigre et Dragon et Le Secret de Brokeback Mountain. C’est donc avec un intérêt certain que l’on s’est rendu à la projection de son dernier long métrage L’Odyssée de Pi, surtout après s’être abîmés les yeux sur la sublime bande annonce au son du Paradise de Coldplay. Vous auriez tord de ne pas aller le voir, le film est sûrement l’un des meilleurs de cette année et peut-être le plus abouti du réalisateur.

Synopsis : Après une enfance passée à Pondichéry en Inde, Pi Patel, 17 ans, embarque avec sa famille pour le Canada où l’attend une nouvelle vie. Mais son destin est bouleversé par le naufrage spectaculaire du cargo en pleine mer. Il se retrouve seul survivant à bord d’un canot de sauvetage. Seul, ou presque… Richard Parker, splendide et féroce tigre du Bengale est aussi du voyage. L’instinct de survie des deux naufragés leur fera vivre une odyssée hors du commun au cours de laquelle Pi devra développer son ingéniosité et faire preuve d’un courage insoupçonné pour survivre à cette aventure incroyable.

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Un film naturaliste

Écrire cette critique fut un casse-tête. Il est toujours agréable d’écrire sur un film que l’on a aimé et également difficile de le partager, cela dépendant beaucoup des affects de chacun. Dans le cas de L’Odyssée de Pi c’est encore plus difficile car le film se vit comme nous l’avons vécu 2h durant, 2h de beauté, de poésie, de profondeur. Aussi, analyser rétrospectivement ceci et en faire une critique un tant soit peu construite est un exercice délicat. Disons-le tout de suite, malgré ses superbes images le film n’est pas centré sur la nature même si son propos la glorifie. Le thème central du métrage est beaucoup plus subtil et à trait au sens même de l’existence, rien que ça, d’où la difficulté d’en parler. Au fil des années, Pi (de son vrai nom Piscine, si si) n’aura de cesse de définir sa vie, au travers de la religion notamment. Non, ne vous sauvez pas en courant, s’il est vrai que L’Odyssée de Pi parle de Dieu (voir le remet en question) la religion ne représente qu’un moyen pour Pi de toucher ce divin. On rigole d’ailleurs dans une scène où, jeune, il décide d’embrasser toutes les religions à la fois afin de comprendre le courant mystique qui peut les unir. On aurait bien voulu que le film se penche un peu plus sur la question de la science (représentée par ses parents) opposée au métaphysique dans sa recherche du spirituel. Il y a également plusieurs niveaux de lecture du scénario ce qui est un plaisir pour l’intellect. Il est à noter que l’intégralité du film ne se passe pas en mer, contrairement à ce que laisse supposer la bande annonce, le passage arrive même plus tard qu’on ne le pensait. C’est très clairement casse-gueule pour un réalisateur qui doit faire preuve d’inventivité pour garder son spectateur en éveil. S’il y a en effet quelques longueurs de ci de là, le tout est quand même un exemple de maîtrise, surtout qu’au final il n’y a plus que deux protagonistes : Pi et le fameux tigre. Prénommé Richard Parker, l’animal, qui est également une métaphore de la nature et des éléments, va représenter le seul compagnon dans la solitude de Pi, compagnon qu’il va devoir apprendre à dresser, à l’image de ses émotions le long de ce périple. Le film est comme cela parsemé de nombreuses métaphores comme celle du voyage comme périple présentée comme voyage initiatique. Le film a la saveur d’un conte de par ses côtés surréalistes et métaphysiques, mais on rentre totalement dedans grâce à son univers magnifique (le générique de début est sublime). Il y a une telle recherche dans chaque plan que le film frôle la perfection dans sa direction artistique : la scène de bioluminescence avec la baleine, l’infini du ciel opposé à l’infini de l’océan, la chorégraphie des animaux, la place et la couleur des plantes…

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Quand la technique est au service de la narration

Ang Lee fait un choix assez risqué dans sa manière de raconter son histoire : Pi devenu vieux décide de narrer sa vie à un écrivain en manque d’inspiration afin qu’il en fasse son nouveau roman. Le risque est clairement d’être trop convenu dans un premier temps, mais surtout de saper l’effet dramatique des scènes de survie du jeune Pi sur l’océan : on est sûr en effet qu’il va survivre comme il raconte son histoire a posteriori. Mais le réalisateur prend le spectateur à revers en changeant son style de narration au bout d’une demi-heure. Si le début de sa vie est raconté sous forme d’anecdotes plutôt amusantes et légères, dés que le personnage va émigrer au Canada et entreprendre le voyage qui va marquer sa vie, Ang Lee change son fusil d’épaule pour une narration en forme de journal de survie dans lequel Pi adolescent va lui-même être le narrateur de l’histoire qu’il est en train de vivre. Ce choix, qui peut paraître perturbant est tout bonnement génial car il permet d’être plongé corps et âme dans cette aventure, sans qu’un élément perturbateur extérieur vienne interférer. Mais alors pourquoi avoir parié sur cette double narration, de faire raconter au départ l’histoire par le Pi vieillissant quand le réalisateur aurait pu s’en passer ? De ce choix une conséquence comme on l’avait dit : l’effet dramatique de certaines scènes est légèrement diminué car on sait qu’il va survivre. Pourtant la grande force du métrage c’est d’émouvoir amplement malgré ce parti pris, de par sa richesse visuelle et son histoire profonde. Même si cela paraît parfois un peu pataud, non, il n’aurait pas pu se passer de ce choix narratif qui lui permet de poser une magnifique conclusion surprise qui va remettre en cause l’intégralité de l’histoire précédemment établie, tout en démontrant la richesse de cette prise de risque.

Techniquement éblouissant dans ses effets numériques, dans sa colorimétrie, dans sa 3D hyper exploitée et habile, le film est un modèle d’intelligence. Ce qu’on voit à l’écran paraît découler directement du processus mental de Pi, de ses délires seul en mer, de ses aspirations, de ses rêves et de la réalité. En fonction de ce qu’il raconte, Ang Lee va même jusqu’à changer le format de son image passant tantôt du Scope traditionnel à des formats intermédiaires jusqu’au 4:3, tout en faisant sortir des bandeaux noirs de l’écran des effets 3D du meilleur goût. Rarement la technologie n’aura été autant au service de l’histoire (on pense notamment à Avatar) et pas simplement une esbroufe impressionnante. Sorte d’utopie visuelle avec une histoire complexe et passionnante, on vit un rêve éveillé.

 

Résumé

L’Odyssée de Pi est une histoire de foi. Pas spécialement en Dieu mais dans la vie, dans sa complexité, sur le sens qu’on peut lui donner. Bien évidemment le film n’apporte pas de réponse mais mène à la réflexion de tout un chacun. Sublimé par des images d’une extraordinaire beauté et d’une technicité sans faille toujours au service du propos qu’il étaye, le film est un rêve éveillé. On a été emporté, on espère que vous le serez également.

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1 COMMENTAIRE

  1. Etonnant

    Des images sublimes portées par une photographie exceptionnelle mais au final un peu trop présentes, une histoire exceptionnelle mais comportant des longueurs, une spiritualité toujours présente mais jamais poussée.
    Mais que vaut réellement cette Odyssée ?

    Elle vaut énormément par les lectures possibles qui permettent à chacun de voir un film différent. Mes deux filles ont vu un film magnifique d’un héros souvent contre mais parfois avec un tigre féroce, un joli conte d’aventures qui se termine merveilleusement bien.

    J’y ai vu une représentation graphique d’un esprit en combat pour la survie. L’explication de cette Arche de Pi comportant un homme et quatre animaux est donnée à la fin du film avec la représentation des hommes en animaux : Depardieu en hyène, la mère de Pi en orang-outang, le bouddhiste en zèbre et bien évidemment Pi en tigre

    Car Pi durant tout le film est à la fois pleinement Pi et pleinement le tigre.

    Il s’agit d’une double représentation mentale d’un « Pi blanc » et d’un « Pi noir ». Deux représentations du même être qui doivent résoudre une question fondamentale de survie : accepter ou non l’anthropophagie. Faut-il manger de la chair humaine et survire ou refuser et mourir ? Comment survivre mentalement après avoir mangé de la chair humaine ?

    Ces questionnements fondamentaux qui touchent l’identité même de l’humanité ne sont pas sans rappeler l’aventure réelle de certains de ces survivants dans la cordière des Andes avec leur nécessité de manger de la chair humaine pour survivre « corporellement » et la nécessité d’être absout par le Pape Paul VI pour survivre « mentalement »

    Car dès le début de cette Odyssée, la question de manger de la viande pour Pi est posée lors des repas
    familiaux et dans le bateau au tragique destin le seul et unique passage avec les autres passagers est pleinement et dramatiquement lié à la viande.

    Car oui, le seul et unique passage dans le bateau avec les autres passagers avant le drame est une altercation au prétexte de manger ou non de la viande. Une altercation réunissant les 4 personnages de l’Arche de Pi : le cuisinier hyène mangeur de viande et de zèbre, le zèbre-bouddhiste pacifiste, l’orang-outang-mère de Pi qui se bat pour ses valeurs et ses enfants et bien évidemment Pi le tigre à la fois tueur de hyène mais également mangeur de zèbre et peut-être de orang-outang

    Pi le « blanc » acceptera-t-il mentalement que Pi le « noir » mange de la chair humaine pour survivre ? Pi le « blanc » survivra mentalement à cela ?

    Car les deux sont indissociables : « Pi le Blanc » doit vivre pour conserver son humanité et « Pi le noir » doit vivre pour subvenir aux besoins naturels. L’acceptation de cet état se fera sur un fond de tempête ou « Pi le blanc » apostrophera Dieu et acceptera son destin comme une épreuve divine, lui permettant de dépasser son état tel le lieutenant Dan sous une tempête dans Forrest Gump .

    « Pi le blanc » acceptera alors de manger de la chair humaine pour survivre tout en sachant préserver son humanité. Ainsi l’île carnivore qui mange les hommes mais paradoxalement que Pi mange allégrement montre l’acceptation de Pi le Blanc. Une île qui évidemment possède la forme d’un corps humain allongé, peut-être même la forme de la mère de Pi, l’orang-outang de l’Arche de Pi.

    Une île qui marque aussi la fin l’Odyssée puisque achevée, « Pi le blanc » ayant accepté l’anthropophagie, par un plan brutal suivant qui n’est autre que l’arrivée sur une terre habitée.

    C’est cette acceptation qui sauvera Pi, accepter de manger de la chair humaine et peut être même celle de sa propre mère pour survivre tout en construisant un double mental lui permettant de conserver l’intégralité de son humanité.

    Le tigre ne se retournant pas, c’est « Pi le noir » disparaissant dès l’humanité retrouvée et une garantie pour « Pi le Blanc » de mieux l’oublier.

    Et les regrets de « Pi le blanc » de ne pas voir le tigre se retourner montrent la dualité de l’être humain.

    L’Odyssée de Pi est un voyage dans les fondements même de ce qui nous définit comme humain avec la même question lancinante que celle qui a hantée les survivants du vol 571 de la Fuerza Aérea Uruguaya.

    Et nous, qu’aurions nous fait ?

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