Livre : Continental films, l’incroyable Hollywood nazie

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Titre : Continental films, l’incroyable Hollywood nazie

Auteur : Jean-Louis Ivani

Editeur : Lemieux Editeur

Date de publication :  23 mai 2017

Nombre de pages : 284

Format : 20×13

Prix : 20 euros

Entre 1940 et 1944, une partie de la France, puis la métropole en entier, est occupée par la forces allemandes. Ces quatre années, et la Seconde Guerre mondiale en générale, sont sans doute le pan de l’Histoire qui a le plus marqué l’imaginaire collectif français contemporain. En témoignent, entres autres, les nombreux films qui depuis ces cinquante dernières années ont évoqué l’Occupation et tout ce qui l’a entourée – des rafles, toujours un sujet sensible politiquement comme on l’a vu lors de la campagne présidentielle, à la Résistance. Pas une année ne passe sans son lot de films (ou de séries) plus ou moins réussies, eux-mêmes témoins de la perception que possède la société de ces années noires. Ainsi, Louis Malle faisait polémique en 1974 en évoquant la collaboration dans son Lacombe Lucien, tandis que cinq ans auparavant Jean-Pierre Melville nous offrait dans L’armée des ombres un portrait réaliste, dur, d’un réseau de Résistance et de ses héros on ne peut plus humains. Plus récemment, la série de France 3 Un village français connaît un franc succès, et sa septième saison sera bientôt diffusée. 

Dans son livre, Jean-Louis Ivani s’intéresse lui aux films tournés pendant l’Occupation, au sein d’un studio à l’histoire singulière : la Continental Films. Un studio qui livrera de grands classiques (L’assassin habite au 21Le Corbeau …) mais financé par l’Allemagne et dirigé par un nazi notoire …

Alfred Greven, directeur de la Continental Films … et proche de Goebbels

L’auteur : « Jean-Louis Ivani est journaliste indépendant, après de longues années passées à ­­L’Humanité. Il est ­­l’auteur, avec Stéphane Troplain, ­­d’une impressionnante enquête, Le Voleur de crimes – ­L’affaire Léger« 

Le livre commence par une scène se déroulant pendant la Libération. Sur les Champs-Élysées, le Comité de Libération du Cinéma débarque dans ce qu’étaient les studios de la Continental, désormais vides. En face, au Fouquet’s, Raimu boit tranquillement. Le reste du livre contiendra aussi quelques mises en scène, mais ce n’est pas le propos : ce que cherche à faire Jean-Louis Ivani, c’est comprendre comment la Continental Films a pu exister, produire des chefs-d’œuvre, et recruter des grandes figures du cinéma de l’époque, tout en étant une entreprise nazie. C’est ainsi une véritable enquête, historique, que va mener l’auteur tout au long de ce livre. S’appuyant sur de nombreux extraits de journaux et témoignages, il retrace chronologiquement, film par film, presque semaine par semaine, l »histoire du studio, en une trentaine de courts chapitres. On assiste ainsi aux recrutements des acteurs, réalisateurs et scénaristes, à la production des films (à un rythme draconien) et enfin à leur présentation dans des salles de cinéma mythiques (le Normandie, le Biarritz …). Le tout est mis en parallèle avec les événements qui malheureusement n’ont pas lieu sur grand écran, mais dans un monde en guerre…  Continental Films : l’incroyable hollywood nazie ne se limite cependant pas aux « petits secrets » entourant les longs-métrages produits au sein du studio. Par exemple, Jean-Louis Ivani va mener son enquête sur une de ces obsessions : le sort réservé à l’acteur Harry Baur, qui travailla pour la Continental, avant d’être emprisonné pendant plusieurs mois, et de mourir à sa sortie de prison.

Le corbeau, d’Henri-Georges Clouzot, est une autre de ses obsessions. Rien qu’en lisant le synopsis, on peut se demander comment le film a pu voir le jour en 1943, en plein régime de Vichy : « Le docteur Germain, qui travaille dans une petite ville de province, reçoit des lettres anonymes signées Le Corbeau l’accusant de plusieurs méfaits ». Un  film devenu un grand classique, mais qui paradoxalement fut à l’époque mal accueilli à la fois par la presse collaborationniste et par la presse résistante. Le Corbeau n’est cependant pas une exception dans l’histoire de la Continental, car sur une trentaine de films en quatre ans, s’il y a bien sûr des comédies légères, le nombre de grands films et de films au sous-texte engagé sont nombreux. Il faut dire que Greven revendiquait ne pas vouloir faire de propagande, laissant ce rôle aux documentaires et moyen-métrages passant souvent en première partie de séance. Autre fait étonnant : les productions de la Continental n’avaient pas à passer devant la commission de censure de Vichy. Il aurait dans le cas contraire été impensable d’adapter du Zola, alors banni des librairies, ou encore d’évoquer des sujets comme l’avortement.

Mais qui dont était Alfred Greven ? C’est une des énigme auquel le livre n’arrivera pas à répondre. Cependant, comment ce nazi notoire a pu recruter d’aussi grands noms du cinéma est une affaire résolue tout au long de ces pages : des opportunistes, des gens ayant simplement besoin d’un travail, et d’autres obligés par chantage. Le « Doktor Greven » n’hésitait par exemple pas à faire comprendre à Tourneur, dont la femme était en prison, qu’il valait mieux travailler pour la Continental … Le studio était même infiltré par des réseaux de résistance, dont un certain « Jean-Paul Le Chanois », Dreyfuss de sont vrai nom, et Marceau de son surnom résistant, qui pourtant était notoirement Juif et ancien communiste …

Continental Films : l’incroyable Hollywod nazie est dont une passionnante enquête sur un studio aux apparences troubles, commandé par un non moins mystérieux nazi. On en ressort en ayant beaucoup appris, et avec l’envie de (re)découvrir les films évoqués. Et qui sait, peut-être même avec l’envie de continuer l’enquête !

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