Critique : Les Garçons sauvages

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Les Garçons sauvages

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Bertrand Mandico
Scénario : Bertrand Mandico
Acteurs : Pauline Lorillard, Vimala Pons, Diane Rouxel, Anaël Snoek, Mathilde Warnier
Distribution : Ufo Distribution
Durée : 1h51
Genre : Fantastique
Date de sortie : 28 février 2018

Note : 3/5

A mi-chemin entre l’orgie de fantasmes homo-érotiques et le cauchemar fiévreux, où toutes ces références phalliques sont démasquées en tant que leurre, le premier film du réalisateur de courts-métrages expérimentaux Bertrand Mandico s’emploie avec malice à frustrer la jouissance sans entrave chez les spectateurs éventuellement enclins à apprécier ce type de bizarrerie cinématographique. Car Les Garçons sauvages est moins un hommage kitsch aux œuvres les plus poisseuses de Fassbinder, Cocteau, Pasolini et Genêt, de surcroît saupoudré de l’influence indéniable de l’auteur William S. Burroughs, le maître du délire des éjaculations ininterrompues, qu’un conte sordide dont la vocation principale paraît être de museler la prise de plaisir. L’enjeu consiste alors à savoir si ce dilemme d’adhésion a été planifié à dessein, telle une manipulation sadique des nerfs lubriques chez une certaine frange du public gay, ou si au contraire l’imagination libidineuse du réalisateur s’est perdue quelque part en chemin, sur l’île paradisiaque et en même temps diabolique, où les pratiques sexuelles à peine larvées pullulent. Tout l’art de ce film foncièrement étrange relève de sa capacité à brouiller les pistes, c’est-à-dire à nous attirer, séquence après séquence, dans l’antre d’une folie sensuelle, en laissant néanmoins sans cesse l’hypothèse de la supercherie ironique, voire de la mise en abîme féministe, pointer sa face troublante.

Synopsis : Au début du XXème siècle, une bande de cinq adolescents incorrigibles tuent accidentellement leur professeur lors d’un rite sexuel, déchaînés par la consommation abondante d’alcool et une masturbation collective. Alors que le simulacre d’un procès pendant lequel ils auraient dû assumer leur responsabilité ne les condamne qu’à la séparation, Romuald, Jean-Louis, Hubert, Tanguy et Sloane se retrouvent lors de la convocation par leurs parents inquiets d’un capitaine mystérieux. Celui-ci promet de rendre la progéniture impossible tout à fait civilisée et pacifique, à l’issue d’un séjour en mer dont tout le monde n’est pourtant pas assuré de revenir. Les cinq cancres embarquent donc sur ce bateau correctionnel, en route pour une île à la réputation sulfureuse.

Fruits poilus et bites en caoutchouc

D’emblée, quelque chose sonne un peu faux dans cette histoire abracadabrante sur des adolescents méchants et presque exclusivement portés sur le sexe, qui partent en un drôle d’exil pour devenir contre leur gré les ambassadeurs d’une douceur trompeuse. La déroute des perceptions traditionnelles, à la fois en termes de langage filmique et de définition des attributs masculins, figure certes parmi les aspirations manifestes de Bertrand Mandico. Mais cet abandon à un hédonisme superficiel, qui noie en quelque sorte nos réserves pudiques sous des flots de sperme artificiel, fait tellement dans la surenchère, qu’aucun érotisme finement dosé ne pourra y subsister. En plus, cette façade scintillante des plaisirs charnels ne cherche point à se référer à une quelconque réalité, puisque elle a souvent recours à des prothèses phalliques et autres symboles visqueux de la virilité. Or, de cette surcharge dans l’agressivité exhibitionniste ne se dégage aucune tonalité pornographique à proprement parler, grâce à une narration qui fait appel à une panoplie de dispositifs, dont la voix off de Lola Créton est peut-être le compas le plus fiable pour mener le récit à bon port. Encore faudrait-il savoir où la mise en scène passablement alambiquée voudrait en venir avec cette aventure, qui pervertit presque joyeusement les repères d’un genre, qui a déjà connu des variations sensiblement plus innocentes en littérature et au cinéma ?

Voir au delà des apparences

La menace nullement feinte d’une castration plane en effet sur Les Garçons sauvages. Rien de mal à cela a priori, tant que cette perte des parties génitales s’inscrit dans un projet de mise en question, militante ou non, du rapport des forces entre les hommes et les femmes. Le curieux fanatisme avec lequel le réalisateur saisit le moindre prétexte pour montrer des figures phalliques – une démarche au moins aussi écœurante à la longue que le spectacle encore plus porté sur le pénis dans tous ses états qu’était le dernier film de Rainer Werner Fassbinder, Querelle – nous laisse cependant sérieusement douter de ses motivations. Car c’est moins l’image stéréotypée de la femme, sortie tout droit des fantasmes hétérosexuels, qui semble intéresser Bertrand Mandico qu’un être plus androgyne, rendu considérablement plus crédible par les interprétations couillues de Vimala Pons, Anaël Snoek et compagnie. Le rôle hautement ambigu joué par Elina Löwensohn, quant à lui, ne remplit hélas pas toutes les promesses qu’on aurait pu cultiver à l’égard de ce scientifique à la folie vénéneuse. Ses répliques parfois très lourdes et son ambiguïté essentielle, laissée trop souvent en roue libre, sont alors les signes d’un style qui se cherche encore, à l’image de l’aspect visuel du film : très beau, mais si confus par moments, qu’on se croirait face à une copie plus vicieuse du style assez expérimental, imposé par Guy Maddin.

Conclusion

Tandis que nous soutenons de tout cœur les films singuliers, qui osent rompre avec les codes convenus de la bienséance formelle et morale, nous sommes tout de même sortis un peu perplexes de la projection des Garçons sauvages. Ce trouble est hélas moins dû au choc salutaire que ce film iconoclaste aurait pu provoquer avec son démontage systématique d’une masculinité excessive, qu’aux messages brouillés qu’il émet avec sa conviction mi-figue, mi-raisin, au sujet d’une féminité qui se réinvente justement avec vigueur dans d’autres domaines de notre civilisation, ici et maintenant. Il s’agit indubitablement d’une œuvre d’art, plutôt plombée par son application des moyens du cinéma, qui ne transcende guère une histoire en fin de compte beaucoup trop nébuleuse.

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