Critique : Le Semeur

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Le Semeur

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Marine Francen
Scénario : Marine Francen, Jacqueline Surchat et Jacques Fieschi, d’après un roman de Violette Ailhaud
Acteurs : Pauline Burlet, Géraldine Pailhas, Alban Lenoir, Iliana Zabeth
Distribution : ARP Sélection
Durée : 1h39
Genre : Drame
Date de sortie : 15 novembre 2017

Note : 3,5/5

Le Semeur, ce titre peut inspirer toutes sortes d’images d’Épinal d’un idéal agricole que nous avons perdu depuis longtemps dans la frénésie ambiante de l’alimentation industrialisée. Il y a aussi de cela dans le premier long-métrage de Marine Francen, des images superbes de champs prêts à être fauchés qui arrivent au moment de la récolte à recréer en toute simplicité le lien oh si précieux entre l’homme et la terre. Cependant, il existe un côté potentiellement plus lubrique dans ce récit autour d’une communauté de fortune peuplée exclusivement de femmes, qui attendent le mâle presque comme le messie. C’est dans ce contexte plus sexuellement chargé que le film affiche sa véritable pureté esthétique et morale, marquée par une austérité formelle enthousiasmante que nous rapprocherions de l’immense Robert Bresson, en cinéphile aux nombreuses zones d’ignorance que nous sommes, tandis que la réalisatrice se réclame plutôt de l’œuvre plus confidentielle de Artavazd Pelechian. Quoiqu’il en soit, la beauté calme et quasiment méditative du film gagne considérablement de cette tension née des instincts les plus élémentaires. Ceux-ci arrivent à s’épanouir tant bien que mal pendant cette parenthèse moins enchantée qu’enchanteresse, qui donne un premier aperçu hautement prometteur du talent de sa réalisatrice débutante !

Synopsis : En 1852, l’armée de Louis Napoléon Bonaparte écrase sans ménagement la résistance des Républicains. Dans un petit village reculé en pleine montagne, tous les hommes sont arrêtés et emmenés. Laissées seules et sans défense, les femmes assument alors toutes les responsabilités, notamment la gestion de la récolte. Pendant que les mères s’inquiètent du devenir de leurs maris, les jeunes femmes en âge de se marier se mettent d’accord pour partager les attentions charnelles du premier homme qui remonterait jusqu’au village. Les saisons passent et aucun homme ne remet les pieds dans cette communauté féminine. Jusqu’à l’arrivée du maréchal-ferrant Jean, qui ne tarde pas à tomber sous le charme de Violette, une des rares à savoir lire et qui partage par conséquent une passion littéraire avec lui. Quand leur attirance devient plus concrète, les amies de Violette exigent qu’elle respecte leur serment.

Où sont les hommes ?

Il suffit d’une prémisse historique, sous le signe d’une libération aussi radicale qu’involontaire, pour démarrer en toute finesse l’odyssée au féminin contée dans Le Semeur. Les hommes ont beau y avoir été évacués pour des raisons vaguement politiques, qui ne sont en fait que les réverbérations d’une distribution du pouvoir encore moins égalitaire que ce qui se pratique de nos jours, même si la réplique du soldat sur l’état d’urgence qui donne tous les droits doit forcément résonner dans la France d’aujourd’hui, les rescapées ne conçoivent guère leur existence sans eux dans cette optique-là. Il s’agit avant tout de survivre à ce bouleversement du statu quo, de ramener les foins et autres fruits de l’agriculture, puis de les protéger contre des dangers aussi évidents – et pourtant filmés avec une poésie de l’intensité impressionnante – qu’une tempête automnale. Cette autarcie matriarcale fonctionne globalement en toute harmonie, si ce n’est pour quelques différents mineurs sur la marche à suivre, si jamais les hommes ne reviendraient point. Moins un brûlot féministe qu’un conte sur le caractère après tout dispensable de la gente masculine, le récit s’emploie alors à façonner une idylle bucolique, dont les aspects plus sombres, voire tragiques, inhérents à cette époque mouvementée, s’éclipsent au fur et à mesure que les femmes s’accommodent de leur nouvelle situation.

Vive les femmes !

L’habitude vite acquise de cette liberté gagnée malgré elles permet alors à l’arrivée inespérée de l’homme de ne pas chambouler encore plus la donne. Le nouvel équilibre des forces s’est en effet assez imposé pour que Jean n’ose à aucun moment remplir le rôle du chef despotique du village. Visiblement, la fonction du coq dans un poulailler en manque de faveurs sexuelles ne lui convient pas davantage. De cette gêne éprouvée à la fois par l’objet du désir et son élue principale, causée par l’effacement des repères entre l’amour romantique et le plaisir charnel, résulte ainsi la seule ombre au tableau dans ce microcosme, sinon aussi paisible que l’est le ton dans l’ensemble très mesuré du film. La narration se focalise à peine sur le personnage central de Violette, interprétée avec une innocence lucide par Pauline Burlet, préférant privilégier une structure chorale dans laquelle les préoccupations des femmes de tout âge ont autant leur place que la personnalité à fleur de peau du faux homme providentiel, joués respectivement avec un naturel fascinant par Géraldine Pailhas dans le rôle de la mère de Violette, par la vénérable Françoise Lebrun dans celui de la vieille guérisseuse qui fait office d’instance morale par intérim du village et enfin par Alban Lenoir en fantasme ambulant récalcitrant. Tout ce beau monde se met entièrement au service d’un film, qui subjugue autant par sa forme littéralement carrée – le format 1.33 oblige – et joliment épurée que par son propos doucement progressiste.

Conclusion

Quelle belle surprise que ce conte historique, qui ne paie pas de mine à prime abord, mais qui s’avère en fin de compte fort convaincant dans sa forme et son fond ! Dans son premier film, Marine Francen explore la condition de la femme sous un jour atypique. Son point de vue n’y est nullement polémique, quoique amplement conscient de l’équilibre précaire liant les femmes aux hommes dans l’épopée de l’humanité, qui vit ici un retournement de situation aussi délicat que délicieux.

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